Kosovo: le cimetière orthodoxe serbe de Lipljan à nouveau profané

Les tombes du cimetière serbe de Lipljan, situé dans le district de Pristina, capitale du Kosovo, ont été profanées dans la nuit du 12 au 13 juillet 2019. C’est la septième fois que ce cimetière orthodoxe est pris pour cible. Sous la pression des extrémistes albanais, la minorité serbe du Kosovo est en constante diminution.

A Pristina, la Mission de l’OSCE au Kosovo, dirigée par l’ambassadeur norvégien Jan Braathu, a vivement condamné la profanation du cimetière orthodoxe serbe. Jan Braathu, qui s’est rendu rapidement sur les lieux, a appelé les dirigeants locaux à envoyer un message clair condamnant de tels actes.

Il a rappelé sur le compte twitter officiel @OSCEKosovo que les tombes sont sacrées pour les membres de la famille et les communautés en général et que toute profanation provoque des sentiments très douloureux. L’OSCE a demandé à la police du Kosovo de réagir avec célérité et de suivre l’affaire.

Agresseurs jamais retrouvés

Il reste actuellement 800 habitants serbes dans cette ville sur les 6’000 qui y vivaient avant les troubles de 1998/1999. Les tombes du cimetière ont été profanées de nuit, dans une zone où il n’y a pas de surveillance vidéo.

«La police et des médecins légistes de Pristina sont venus, mais nous n’avons pas d’espoir que les coupables soient retrouvés, car jusqu’à maintenant on n’a jamais trouvé les agresseurs des Serbes et de leurs biens», a déclaré le représentant serbe auprès du Conseil local de sécurité.

Epuration ethnique

Non loin du cimetière est situé, derrière une haute clôture en fer, la cour du jardin de l’église de l’Entrée au Temple de la Mère de Dieu, un édifice du XIVème siècle, avec une autre église, récente, dédiée aux saints Flore et Laure, des saints originaires du lieu.

C’est le seul endroit où les Serbes de Lipljan se rassemblent. Jusqu’à présent, les deux églises se trouvaient en zone protégée, dans laquelle toute construction était interdite, ce qui va changer très prochainement, note le site orthodoxie.com. Selon les habitants du lieu, il y aura alors le risque que les Albanais offrent des sommes importantes aux Serbes du lieu pour qu’ils le quittent, de telle façon qu’il ne reste plus de Serbes dans cette ville.

Témoignage du Père Sava

Grand reporter, Vladimir de Gmeline a publié le 25 juin 2019 sur le site français Marianne.net un reportage auprès du Père Sava, à la tête du monastère orthodoxe serbe de Decani depuis plus de vingt ans. Il se trouve dans une enclave serbe à l’ouest du Kosovo, dans la vallée de la Drenica, en plein fief historique de l’UCK, la guérilla albanaise du Kosovo qui a lutté les armes à la main contre Belgrade.

D’architecture byzantine, le monastère de Decani, édifié au XIVe siècle, est classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Menacé par les extrémistes kosovars, il est toujours protégé par un détachement de la Force de maintien de la paix au Kosovo (KFOR). C’est dans ce monastère protégé par la KFOR que les Serbes vivant dans des enclaves, souvent pauvres et isolés, se rendent pour assister aux messes et aux fêtes religieuses.

Vexations et vols

«Pour ces populations qui ne forment plus que 5% de celle du Kosovo, à l’écrasante majorité albanophone, ces moments sont une respiration, l’occasion d’entretenir un lien religieux, culturel et humain, alors qu’eux aussi sont soumis à des vexations et vols réguliers, sans pouvoir se défendre ni porter plainte. Négligés par le gouvernement central de Pristina, abandonnés par Belgrade qui les utilise politiquement plus qu’il ne les aide véritablement, les Serbes des enclaves trouvent à Decani un réconfort dont personne ne sait s’il pourra durer».

Le Père Sava rappelle les émeutes antiserbes de 2004, durant lesquelles trente-cinq églises ont été brûlées en deux jours, sans que la KFOR ne puisse intervenir. «Il y a eu des morts et quatre mille personnes ont quitté le pays. Ici, nous étions trente, avec un petit détachement, et 400 vétérans de l’UCK qui voulaient nous attaquer».

Menaces de Daech

«En 2000 nous avions déjà subi deux attaques au mortier. En 2007 une attaque au RPG. Et même si depuis 2008 il ne s’est plus rien passé, nous avons tout de même eu en 2014 une inscription sur le mur d’enceinte du monastère: ‘ISIS, califat is coming’ ! Et en 2016, deux hommes, identifiés comme des membres de Daech, ont été interceptés à proximité avec des kalachnikov et huit kilos d’explosifs dans leur voiture».

Le pays est dirigé par les anciens de l’UCK, déplore le Père Sava. «Avec la mairie, les rapports sont exécrables. Il y a quelques années, vingt-quatre hectares nous appartenant, ceux sur lesquels nous effectuons nos cultures, ont purement et simplement disparu du cadastre. Après de longs combats, la cour suprême a décidé que ces terres étaient notre propriété, et dans la foulée la mairie a organisé des manifestations contre nous».

Tracasseries permanentes

«Les tracasseries sont permanentes. Tous les documents administratifs que l’on nous fait parvenir sont en albanais, en ville il n’y a aucune inscription en serbe, et sur les panneaux les noms de lieux dans cette langue sont barrés. Nous n’avons aucune intention de partir mais il est clair que sans la protection des Nations Unies, on ne pourrait pas vivre», affirme le Père Sava.

Le supérieur du monastère de Decani, qui dénonce le jeu des leaders nationalistes – albanais à Pristina et serbes à Belgrade – et la corruption omniprésente, déplore que Hashim Thaci, le président du Kosovo, «reste un chef de guerre, qui laisse les populations serbes des enclaves se faire maltraiter par ceux qui les entourent». Le Père Sava affirme que le président de la Serbie Aleksandar Vucić – «un ancien du Parti radical serbe fondé par Vojislav Seslej, un leader ouvertement raciste et antimusulman» – partage le même objectif de Thaci: «diviser le pays sur des critères ethniques».

Vucić et Thaci, même combat ?

Le Père Sava considère que tous deux jouent le même jeu et permettent à la situation politique de se dégrader pour servir cet objectif. «Il n’y a pas que les Serbes qui veulent partir, il y a aussi des Albanais qui vivent dans un pays qui ne leur offre pas de perspectives. Ici, c’est la mafia de Ramush Haradinaj qui règne, et au nord c’est celle de Vucic ! J’étais bien plus optimiste il y a quelques années».

Le Père Sava a dit sur tweeter que Vucic était nationaliste et que vouloir ainsi séparer un pays en fonction des ethnies était dangereux. «Vous savez, je ne suis à l’aise nulle part, pas plus ici qu’en Serbie… La situation n’a jamais été pire dans les Balkans, elle me rappelle celle des années 1990».

Le salut devrait venir de l’Europe

Pour le religieux orthodoxe, le salut devrait venir de l’Europe, «mais pour le moment, l’UE donne des millions à un gouvernement kosovar totalement corrompu, qui ne respecte pas les règles. Nous ne voulions pas de l’indépendance, à raison, car nous constatons aujourd’hui que le deal qui était de respecter les minorités ethniques et religieuses dans ce cadre est loin d’être appliqué».

«Pour nous, l’objectif est l’intégration du Kosovo et de la Serbie à l’UE. Mais il y a encore du chemin à faire pour y arriver. (…) L’Europe doit savoir ce qu’elle veut comme modèle de pays : des pays ethniquement purs, ou des pays où les droits sont respectés ? En attendant, ici, nous vivons comme des otages dans notre propre maison!» (cath.ch/orthodoxie.com/marianne/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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