«Il est intolérable de criminaliser les sauveteurs en mer»

Le Suisse Nikolaus Gutknecht a participé, à l’âge de 82 ans, à un sauvetage de migrants en Méditerranée – avec son voilier privé. Ce fils de pasteur protestant est motivé par l’amour du prochain. Une vertu qui, pour lui, n’est pas forcément liée à la foi chrétienne.

A 82 ans, pourquoi s’engager dans le sauvetage en mer?
Nous ne faisons que venir en aide à des personnes dans le besoin. Le droit maritime international l’exige expressément et punit ceux qui s’y soustraient ou y font obstacle. Aider les exclus, les persécutés et les marginalisés était déjà une préoccupation importante de mes parents. Ils m’ont transmis ces valeurs.

Comment se concrétise votre aide?
Depuis trente ans, je vis en grande partie sur mon voilier, que j’ai conçu et construit moi-même. Durant des trajets au long cours, par exemple au sud d’Haïti, nous avons apporté pendant tout un mois des soins médicaux à la population. En ce moment, je vis principalement en Tunisie, à proximité des routes maritimes prises par les réfugiés. Je trouve intolérable que les sauveteurs en mer soient criminalisés. Comme presque tous les grands navires d’ONG ont été confisqués, nous essayons de sauver les personnes avec de nombreux petits bateaux privés.

Vous avez récemment pris part à une action de protestation avec de petits navires en Méditerranée. L’idée est que si les grands navires ne sont plus autorisés à sauver des réfugiés, ce sont les petits bateaux qui le feront. Comment s’est déroulée cette action?
Tout ne s’est pas passé comme prévu. Malheureusement, notre participation à l’opération de juin 2019 a été interrompue par le fait que deux membres d’équipage ont été gravement atteints par le mal de mer. Il était prévu de naviguer avec les autres bateaux vers la côte libyenne, puis vers Malte.

«L’Europe utilise la noyade comme moyen de dissuasion»

Avez-vous pu sauver des réfugiés avec votre voilier?
Non. C’est difficile à faire avec des bateaux privés. Il est donc d’autant plus important que les organisations professionnelles soient soutenues et non harcelées.

Considérez-vous votre engagement comme un acte de charité chrétienne?
Pas de charité «chrétienne»- trop de choses terribles ont été réalisées sous ce terme. C’est tout simplement de la charité! D’autres cultures connaissent cela, c’est un phénomène humain.

Êtes-vous croyant ?
Je crois en un pouvoir qui a créé l’univers. Cela n’a rien à voir avec l’une des nombreuses religions de ce monde. Je soupçonne que la mort signifie une transformation– mais où on va, personne ne le sait.

Qu’est-ce qui vous scandalise dans la politique européenne en matière de réfugiés?
Tout d’abord, l’Europe – et j’y inclus la Suisse – utilise la noyade comme moyen de dissuasion. Nous vivons une mentalité comparable à celle du haut Moyen Âge, où l’humanité et l’être humain ne signifient plus rien. L’Europe ne soutient en outre pas les pays périphériques – en particulier l’Italie et la Grèce – d’une façon utile et efficace. Ce sentiment que «l’Europe nous déçoit» a conduit l’Italie à être aujourd’hui dirigée par des extrémistes de droite. Je me demande également pourquoi l’UE met en place un corps de garde-côtes en Libye pour bloquer la route des réfugiés – et non pour combattre les bandes criminelles de passeurs.

Qu’attendez-vous de la Suisse?
Qu’elle ait plus de courage! Comme quelques personnes l’ont montré à l’époque nazie, Gertrud Kunz ou Paul Grüniger par exemple. La Suisse fait partie de l’Europe. L’Europe est-elle vraiment envahie de réfugiés? En moyenne, il y avait 1’133 réfugiés par million d’Européens en 2018. C’est 0,001133 %. Même s’il existe de grandes différences entre les pays.

Que peuvent faire les Suisses qui ne disposent pas comme vous d’un voilier?
Parlez, dans votre cercle de connaissances, de ce qui se passe là-bas et expliquez que nous en sommes tous responsables. Nous tous! D’autant plus que nous vivons dans une démocratie directe. Ensuite, nous pouvons tous contribuer à faire en sorte que les associations de sauvetage en mer n’épuisent pas les fonds dont elles ont besoin pour venir en aide. S’agit-il de se dérober, avec un don d’argent à ses responsabilités? Pour certains, il n’est pas possible de passer à l’action sur le terrain – par contre, les dons aident! Pas seulement à soulager sa propre conscience.

La capitaine allemande Carola Rackete est-elle selon vous une héroïne?
Elle ne se considère pas elle-même comme une héroïne, mais comme une femme qui fait ce qui doit être fait. Elle n’est pas la seule, il y en a d’autres. Vous êtes tous empêchés de suivre cet exemple à cause de la politique de la peur. Si nous ne surmontons pas cette peur de l’étranger, l’Europe échouera.

Nikolaus Gutknecht est né à Zurich. Il a travaillé à partir de 1964 comme publicitaire, puis comme réalisateur indépendant. En 1990, il a pris sa retraite de la vie professionnelle et navigue depuis lors, sur différentes mers avec son voilier qu’il a lui-même conçu. Il est actuellement basé en Tunisie.

(cath.ch/kath/rr/rz)

Raphaël Zbinden

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