Hauteville House: l’atelier d’un créateur

Victor Hugo est immense et encyclopédique, alors que d’autres poètes recherchent l’excès, la folie, la radicalité. J’ai appris au Gymnase, de mon maître Gérald Schaeffer, ami d’André Breton, à respecter autant Hugo que Nerval, Rimbaud ou Baudelaire.

L’été nous permet de nous décentrer et de nous recentrer. J’ai décidé cette année de découvrir enfin l’île anglo-normande de Guernesey, où Victor Hugo choisit de s’exiler de 1854 à 1870 après un bref séjour à Jersey dès 1852. C’est à Guernesey, dans sa demeure de Hauteville House, qu’il écrivit notamment Les Misérables (1862), Les Travailleurs de la mer (1866) et L’Homme qui rit (1869).

Il termina d’abord un autre de ses chefs-d’œuvre, Les Contemplations, en 1856, recueil poétique monumental, tout entier bâti autour de la tombe et du souvenir de sa fille Léopoldine, morte par noyade avec son mari en 1843.

A la fin de mes études gymnasiales, en 1966, j’ai rédigé un travail de concours sur Les Contemplations. Cette étude m’a beaucoup marqué. J’y tentais une sorte d’analyse structurale de l’ouvrage hugolien, en montrant, à l’aide des meilleurs critiques littéraires, la place cardinale occupée par le tombeau de Léopoldine.

Le poème central de la partie Pauca meae (quelques rares souvenirs de ma fille) est un des plus simples et des plus beaux jamais écrits par Hugo.

 

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.

J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.

Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

 

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,

Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,

Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,

Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

 

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,

Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,

Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe

Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

 

(3 septembre 1847)

Un autre poème du même ensemble est également très pur :

 

Elle avait pris ce pli dans son âge enfantin

De venir dans ma chambre un peu chaque matin;

Je l’attendais ainsi qu’un rayon qu’on espère;

Elle entrait, et disait: Bonjour, mon petit père ;

Prenait ma plume, ouvrait mes livres, s’asseyait

Sur mon lit, dérangeait mes papiers, et riait,

Puis soudain s’en allait comme un oiseau qui passe.

Alors, je reprenais, la tête un peu moins lasse,

Mon œuvre interrompue, et, tout en écrivant,

Parmi mes manuscrits je rencontrais souvent

Quelque arabesque folle et qu’elle avait tracée,

Et mainte page blanche entre ses mains froissée

Où, je ne sais comment, venaient mes plus doux vers.

Elle aimait Dieu, les fleurs, les astres, les prés verts,

Et c’était un esprit avant d’être une femme.

Son regard reflétait la clarté de son âme.

Elle me consultait sur tout à tous moments.

Oh! que de soirs d’hiver radieux et charmants

Passés à raisonner langue, histoire et grammaire,

Mes quatre enfants groupés sur mes genoux, leur mère

Tout près, quelques amis causant au coin du feu !

J’appelais cette vie être content de peu !

Et dire qu’elle est morte! Hélas! que Dieu m’assiste !

Je n’étais jamais gai quand je la sentais triste ;

J’étais morne au milieu du bal le plus joyeux

Si j’avais, en partant, vu quelque ombre en ses yeux.

 

Qui est le plus grand poète de langue française? Si André Gide avait pris la mesure du génie de Hugo, il n’aurait pas lâché son mot tristement célèbre – «Victor Hugo, hélas».

A Guernesey, Hugo s’est remis au travail. Entre poésie et roman, son œuvre (dessins compris) ne cesse d’allier le romantisme et le fantastique, mais aussi la pureté du cœur et le rappel de la vie simple. Quand on visite sa maison récemment rénovée sur ›territoire’ britannique, en face du Cotentin, on replonge avec délices et émoi, j’en suis sûr, dans l’activité créatrice d’un des plus grands écrivains du XIXe siècle.

Denis Müller

7 août 2019

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