Homélie du 25 août 2019 (Lc 13, 22-30)

Mgr Charles Morerod – Basilique Notre-Dame, Lausanne

Il y a des textes de l’Evangile qu’on écoute plus volontiers que d’autres, il y en a qui nous rassurent, d’autres qui nous dérangent et nous inquiètent, et nous avons bien sûr tous tendance à mettre l’accent sur ceux que nous préférons. Pas seulement cela, mais aussi à se dire – et là je pense surtout à des générations qui précèdent la mienne : « On nous a trop éduqués par la peur, on nous a traumatisés. Maintenant je suis heureux – moi aussi d’ailleurs mais il faut comprendre comment – d’avoir un Dieu qui nous aime ». Et puis on se demande ce que signifie « juger » pour Dieu.

Dieu veut que nous soyons avec lui

En fait, pour voir l’Evangile, il faut le prendre tout entier et quand on entend un texte comme celui-là, « la porte est étroite », « beaucoup d’invités, peu d’élus », rappelons-nous plusieurs choses  en même temps : d’abord, Jésus nous dit par ailleurs que la porte, c’est lui. Regardons son attitude vis-à-vis de nous. Il nous dit aussi que si on est avec lui, son joug est léger car il le porte avec nous. Et puis, finalement, on voit que si certains ne viennent pas, il en appelle d’autres. Ce n’est pas dit dans l’évangile d’aujourd’hui, ça l’est dans d’autres, mais on l’entend dans la première lecture, dans l’Ancient Testament (Isaïe) ; Dieu, connaissant leurs actions et leurs pensées, dit que si on ne  veut pas le suivre il en invitera d’autres : « Je vais rassembler toutes les nations de toutes langues ». Il ajoute même : « Je prendrai même des prêtres et des lévites parmi eux ». Or pour être prêtre et lévite, il fallait appartenir à la famille, au clan de Lévi ; mais Dieu dépassera cette limite. En d’autres termes :« Si vous ne voulez pas être avec moi, j’irai en prendre ailleurs ». Il y a là un grand signe d’espérance qui nous montre une chose : C’est que Dieu veut que nous soyons avec lui. Mais comment ?

On peut poser la question de ce comment en disant : « Pourquoi est-ce que Dieu nous a faits ? Pourquoi est-ce que Dieu veut qu’il y ait des êtres à son image et à sa ressemblance ? Et qu’est-ce que cela dit à propos de Dieu lui-même ? » Il n’a pas besoin de nous. Il pourrait ne pas nous créer. S’il nous crée, c’est parce qu’il veut que nous soyons heureux en étant avec lui. Comme Dieu est bon et qu’il aime, il veut faire partager à d’autres – et nous y sommes invités – la joie de son amour. Ça, c’est un signe fondamental d’espérance. S’il ne voulait pas cela, il ne prendrait pas la peine de nous faire.

Mais ensuite, qu’est-ce que cela signifie en pratique ? Qu’est-ce que cela signifie, aimer Dieu, aimer Dieu pour lui-même et répondre à son amour ? Il y a une image de l’amour qui est, je pense, un bon exemple de ce qu’il faut éviter. Vous savez peut-être qu’on peut faire des robots domestiques qui tiennent compagnie à des gens. Ces robots peuvent avoir forme humaine ou d’un chien ou d’un chat. Ils ont été bien programmés pour, avec leurs capteurs, voir d’abord les signes faciaux de la personne en face, interpréter, grâce à leurs programmes, comment va cette personne et puis, toujours selon leurs programmes, répondre à l’autre d’une manière qui va lui faire plaisir. C’est une illusion, mais ça peut marcher. D’ailleurs c’est une compagnie d’autant plus agréable qu’on peut la programmer un peu autrement ou bien la débrancher quand on part en vacances. C’est donc une espèce de réponse automatique programmée qui n’implique, de la part de ce robot, absolument aucune liberté et aucun choix. Il n’en a pas besoin. Il est dirigé par ses programmes. Est-ce que c’est ainsi qu’est Dieu ? Et est-ce qu’il veut que nous – image et ressemblance de lui-même – nous soyons cela ? En d’autres termes veut-il que, de toute façon au bout du compte, comme il nous a programmés, nous soyons avec lui, indépendamment de ce que pourrions souhaiter ? Est-ce que c’est ça notre idéal humain et, si j’ose dire, notre idéal divin ? Ce programme automatique est-il de l’amour ?

Pas d’amour sans liberté

En fait Dieu sait – et sait mieux que nous – qu’il n’y a pas d’amour sans liberté. Et qu’on peut lui répondre ou ne pas lui répondre. Qu’on peut lui répondre « oui » ou lui répondre « tu ne m’intéresses pas » ou lui répondre « je ne veux pas être avec toi ». Et qu’on peut ensuite changer, bien sûr, durant cette vie. Heureusement que Dieu est ainsi. Mais cela implique bien sûr que nous puissions lui dire « non ». Et cette possibilité de dire « non » est fondamentale. Et en plus – on peut l’observer un peu : quand on voit comment Jésus s’adresse à nous après notre mort (ça on le voit dans un autre texte qu’on appelle le Jugement dernier), on voit que tout le monde est surpris parce qu’à certains, il dit, un peu comme dans l’Evangile d’aujourd’hui :

A d’autres il dit :

Je reste marqué par une expérience que j’ai faite où, alors que je m’étais perdu après avoir longuement couru et marché dans un endroit très chaud qui n’était pas la Suisse, de rencontrer finalement une serveuse de restaurant qui servait le petit déjeuner à des lève-tard et qui, quand je lui ai demandé mon chemin, m’a offert une bouteille d’eau et m’a accompagné pour que je voie où je devais aller. Elle m’a donné à boire et elle a fait deux mille pas avec moi alors que je lui en demandais mille. Je me suis dit : « Elle vit l’Evangile. Est-ce qu’elle le sait ? » Peut-être pas. Mais c’est aussi là qu’on répond à Dieu. Et si nous en sommes conscients, si nous connaissons l’Evangile, eh bien prenons-le au sérieux. Souvenons-nous de ce que le Seigneur nous dit : « Comment vous êtes avec moi ? Eh bien suivez-moi, écoutez-moi et regardez ceux qui sont autour de vous. Comme vous les traiterez, vous me traiterez moi-même ».

Il n’y a pas très longtemps, j’ai entendu une histoire magnifique que je garde dans la discrétion. Quelqu’un m’a dit : « J’ai vu devant la porte d’une église un homme complètement désemparé loin de chez lui et je me suis senti obligé à retourner vers lui et à rester, et finalement même à lui trouver un endroit où passer la nuit. Et quand je l’ai quitté, je l’ai vu complètement transformé et je me suis dit :  Je ne savais pas, maintenant je suis devant le Seigneur ».

Voilà comment Dieu nous invite à utiliser notre liberté en suivant ses impulsions. Si nous croyons que le Christ est la porte et que ce qui est impossible pour nous n’est pas impossible pour Dieu, eh bien, disons-lui simplement :

« Ce qui me semblerait être la porte large et facile, c’est de tout diriger moi-même, toute ma vie, celle des autres peut-être, mais c’est une illusion. Seigneur, c’est toi la porte. Cette porte me semble étroite. Je sais que ton joug est léger. Aide-moi, que j’en sois conscient ou non – car toi tu le peux – à  être avec toi. Et je sais que si je suis avec toi, toi qui nous aimes et qui m’aides à t’aimer librement, eh bien ce sera vraiment une bonne nouvelle pour le monde. Car le monde a besoin d’avoir des disciples du Christ, qui choisissent cette porte étroite qui implique aussi même d’aimer nos ennemis et de leur pardonner. ».

Beaucoup de disciples du Christ qui est la porte étroite et dont le joug est léger, c’est la Bonne Nouvelle.


21e DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE
Lectures bibliques : Isaïe 66, 18-21; Psaume 116, 1, 2; Hébreux 12, 5-7.11-13; Luc 13, 22-30


 

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