Etats-Unis: le débat sur l'avortement investit le champ culturel

La culture, aux Etats-Unis, est devenue un champ de bataille privilégié entre les partisans du droit à l’avortement (Pro-Choice) et les opposants (Pro-Life). Vidéo clips et long métrages de fiction servent de plus en plus aux deux camps à diffuser leur message.

Plus de 130 musiciens américains, dont des stars internationales, ont lancé fin août 2019 une pétition pour soutenir le Planned Parenthood (PPFA, planification familiale), principal contributeur aux avortements dans le pays. Beaucoup de signataires sont des artistes de musique pop internationalement connues, telles que Lady Gaga, Katy Perry, Miley Cyrus, ou encore Ariana Grande. La pétition est disponible sur un site internet dénommé istandwithpp.org. La plateforme présente toute une série d’arguments en faveur du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

La démarche de ces acteurs culturels survient dans un contexte de durcissement du débat sur l’avortement aux Etats-Unis. Plusieurs Etats ont récemment renforcé les restrictions en la matière. La PPFA est également menacée. Les forces conservatrices menées par des républicains et des évangéliques ont gagné en juillet 2019 une bataille juridique en obtenant la restriction du subventionnement public de l’organisme privé, qui accompagne 300’000 avortements par an. La PPFA a ainsi perdu 10% de son budget annuel.

Quand l’avortement s’invite dans les clips

C’est notamment face à ces attaques contre le droit à l’avortement que de nombreuses célébrités ont réagi. Parmi les signataires de la pétition, certains artistes ont décidé d’utiliser leurs propres canaux pour faire passer leur message. C’est le cas de Miley Cyrus. Après que l’Alabama ait voté l’une des lois les plus restrictives des Etats-Unis concernant l’IVG, elle a posté sur son compte Instagram une photo d’elle léchant un gâteau sur lequel est écrit «l’avortement est un soin de santé " (abortion is healthcare). Dans son dernier clip intitulé «Mother’s Daughter», la chanteuse met également en scène une femme qui porte sur son corps le slogan phare des partisans du droit à l’avortement «Mon corps, mon choix» (My body, my rules).

D’autres stars de la culture contemporaine américaine, telles que la chanteuse Rihanna ou l’actrice Emma Watson se sont publiquement insurgées contre les nouvelles législations dans les Etats américains.

Censure «Pro-Choice»?

Au-delà de la musique, le débat sur l’IVG a débordé sur le monde du cinéma. Les grands distributeurs Disney et Netflix ont notamment menacé de délocaliser leurs activités des Etats voulant interdire ou restreindre l’avortement.

C’est sur ce même terrain du septième art que les «Pro-Life» ont amené la lutte. En avril 2019, le long métrage Unplanned, racontant la conversion d’une cadre de la Planned Parenthood en militante anti-avortement, a connu un succès imprévu au box office américain. Le film n’a été devancé que par le blockbuster Us. Le film, censé décrire une histoire vraie, a été produit par le studio Pure Flix, qui se définit lui-même comme chrétien. L’oeuvre a connu un important succès malgré une promotion restreinte. La plupart des chaînes câblées sollicitées ont en effet refusé de lui vendre de l’espace publicitaire. Le film a également été classifié comme interdit au moins de 17 ans par l’Association des studios américains. Les milieux «Pro-Life» y ont vu une manœuvre de censure.

Clivage générationnel

Ces militants estiment en général que les milieux de la culture effectuent un lobbying largement en faveur du droit à l’avortement, tout en ne représentant qu’une minorité de l’opinion publique américaine. «Ces artistes (les signataires de la pétition, ndlr.) sont déconnectés de la majorité des femmes aux Etats-Unis», affirme ainsi au média américain Catholic News Agency (CNA) Molly Sheahan, de l’organisation We Are Pro-Life Women. Selon elle, les trois-quarts des Américains, et près de 80% des femmes noires et hispaniques, sont favorables à une restriction de l’accès à l’IVG. Des chiffres toutefois non confirmés par les sondages. Une enquête Gallup de mai 2019 révélait qu’en 2018, une part tout à fait égale (48%) des Américains s’identifiaient comme «Pro-Choice» et comme «Pro-Life». Par contre, la part des partisans du droit à l’avortement était largement majoritaire chez les 18-29 ans (62%), alors qu’elle n’atteignait que 37% chez les plus de 65 ans. Une donnée qui renvoie effectivement à un clivage d’ordre culturo-générationnel entre partisans et opposants à l’IVG (cath.ch/cna/ag/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/etats-unis-le-debat-sur-lavortement-investit-le-champ-culturel/