Un synode pour sauver l’Amazonie et l’Église (1/3)

Le Synode pour l’Amazonie se tiendra à Rome du 6 au 27 octobre 2019. Plus de 200 évêques de la région vont évoquer le destin d’une Église catholique en perte de vitesse dans une zone plus que jamais menacée par une destruction irréversible. Craints par les politiques et l’aile conservatrice de l’Église, ces débats pourraient pourtant constituer un moment historique dans l’histoire de l’institution.

C’était la dernière des «Brésiliens» avant le Synode, du 28 août au 31 août 2019, dans un couvent situé à Belém, dans l’État du Para. Au cœur de l’Amazonie brésilienne, près de soixante évêques du pays et autant de prêtres, religieuses et laïcs, se sont réunis pour se pencher une dernière fois sur l’Instrumentum laboris, le document de travail qui servira de base de réflexion lors de la réunion des prélats à Rome. Sur la photo finale, les participants offrent des sourires de circonstance. Mais les réunions plénières et les ateliers en petits groupes ont été empreints de gravité et d’inquiétude pour une forêt amazonienne actuellement ravagée par les flammes.

«Nous défendons l’Amazonie d’une manière intransigeante, ont martelé les évêques à l’issue de cette rencontre. Nous exigeons que les gouvernements prennent des mesures urgentes face à l’agression violente et irrationnelle de la nature, la destruction sans scrupule de la forêt qui tue la flore et la faune millénaires, à travers des incendies provoqués de manière criminelle». Et les prélats de conclure: «Nous, évêques de l’Amazonie, considérons que ce synode arrive à un moment crucial de notre histoire».

«Un test décisif pour l’Église»

Avec le thème «Amazonie: nouveaux chemins pour l’Eglise et pour une écologie intégrale», le Synode regroupera au Vatican plus de 200 évêques venus de neuf pays (Brésil, Bolivie, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou, Suriname, Venezuela et Guyane Française). Souhaité par le pape François, pour qui «l’Amazonie constitue un test décisif pour l’Église», le synode cherchera à montrer le visage d’une Eglise «courageuse dans la proclamation de l’Evangile et dans la défense de la Création et des peuples autochtones», comme l’a annoncé le Secrétariat général du Synode des évêques.

Un peu plus de quatre ans après la publication de l’encyclique Laudato si’, rédigée par le pape François sur le thème de «la sauvegarde de la maison commune», ce synode intervient alors que les menaces qui pèsent sur ce territoire de 5,5 millions de kilomètres carrés, constituant l’une des plus importantes réserves de biodiversité de la planète et contenant 20% des eaux douces non congelées, n’ont jamais été aussi lourdes. Incendies donc, mais aussi déforestation, exploitation minière, construction de barrages hydroélectriques, non respect des droits des peuples autochtones… Rien n’est épargné au «poumon de la planète».

«Besoin de nouveaux chemins»

Au-delà de la nécessité de protéger la «Maison Commune» et les peuples autochtones qui y vivent, le synode va aussi devoir proposer des solutions pour soulager une Église catholique amazonienne qui souffre à la fois d’un manque criant de prêtres et de religieuses, et qui perd chaque jour des fidèles au profit des innombrables Eglises évangéliques. Dans cette perspective, le cap à tenir a été clairement désigné par le cardinal brésilien Claudio Hummes, président du Réseau ecclésial pan-amazonien (Repam), et rapporteur général du synode : «Nous avons un grand besoin de nouveaux chemins, de ne pas redouter la nouveauté, de ne pas l’empêcher ni y résister».

Les propos du cardinal Claudio Hummes s’appuient notamment sur l’Instrumentum laboris, rendu public le 17 juin 2019. Ce document, fruit d’une large consultation à travers la région amazonienne, s’articule en trois parties: «la voix de l’Amazonie», «le cri de la terre et des pauvres» et «Église prophétique en Amazonie: défis et espérances». La première partie du document présente toute la richesse de la zone amazonienne et rappelle combien la vie dans cette région est menacée. Dans la deuxième partie, la réflexion se développe autour de l’idée d’écologie intégrale, déjà au cœur de l’encyclique Laudato si’ du pape François. Dans la troisième et dernière partie, les évêques sont invités à réfléchir sur les nouveaux chemins à explorer pour établir une Église à l’identité amazonienne, selon le souhait du pape François.

Viri probati au cœur des débats

Sur ce dernier point, la question de l’ordination sacerdotale «d’hommes mariés à la vertu démontrée» (viri probati) est incontestablement la plus sensible. À partir des conclusions de l’Instrumentum laboris, et face au manque criant de prêtres et de religieuses, l’Église pourrait en effet décider de «procéder à l’ordination sacerdotale de personnes aînées, préférablement autochtones, respectées et acceptées par leur communauté, même si elles ont une famille constituée et stable, dans le but d’offrir les sacrements qui accompagnent et sanctionnent la vie chrétienne». Ces viri probati pourraient alors exercer leur ministère dans les zones les plus reculées, sur des territoires marqués par les distances et l’isolement des communautés. Car il est important, précise le document, «de passer d’une ‘Église qui visite’ à une ‘Église qui reste’ au plus près des communautés».

À la formule «ordination des hommes mariés», Mgr Erwin Kraütler, lui, préfère celle des «personnes mariées». Après plus de 35 ans passés à la tête du diocèse le plus vaste d’Amazonie (370’000 km2), le désormais évêque émérite d’Altamira, dans l’État du Para, a été nommé par le pape François pour préparer le synode. L’ancien président du Conseil indigéniste missionnaire (Cimi) -entre 2006-2015- assure que «de nombreuses femmes mariées président les communautés catholiques indigènes sur le territoire du diocèse. Ces femmes, poursuit-il, ne se contentent pas de célébrer la liturgie de la Parole les dimanches. Elles baptisent aussi, préparent les personnes pour le baptême et la communion, et visitent les malades». Dès lors, interroge Mgr Kräutler, «pourquoi ne serait-il pas possible d’ordonner ces femmes? Et pas uniquement en cas d’absence de prêtres ou d’hommes mariés à ordonner».

Un synode «hérétique»?

De telles prises de position ne sont pas sans générer des critiques de la part de l’aile la plus conservatrice de l’Église dans le monde. Les attaques les plus dures, notamment sur la possibilité des viri probati, proviennent des cardinaux allemands Gerhard Muller et Walter Brandmüller. Dans un texte publié le 27 juin 2019 sur le site du blogueur de la droite italienne Sandro Magister, les deux prélats ont en effet déclaré que «l’agenda du Synode pour l’Amazonie est hérétique». Le cardinal Brandmüller a même affirmé que cet agenda «contredit l’enseignement obligatoire de l’Église sur des points décisifs». Quant au cardinal Müller, il a exprimé son accord avec son collègue et indiqué avoir trouvé le document «extrêmement confus». Le même cardinal qui, dans son livre «Rencontres Romaines», publié récemment, accuse le pape François de travailler à la dissolution de l’Église. «La sécularisation de l’Église selon le modèle du protestantisme n’est pas le premier pas de sa modernisation, mais l’ultime de son auto-élimination».

Ces désaccords au sein de l’Église ne surprennent pas Rodrigo Coppe Caldeira, professeur de Sciences de la religion et historien à l’Université de Belo Horizonte, au centre du Brésil. Considérant que «l’Église catholique latino-américaine mais aussi mondiale va peut-être vivre un moment unique de son histoire», le chercheur estime que «les critiques proférées autour de ce synode sont en fait un nouveau chapitre du conflit qui a débuté avec l’élection de Bergoglio comme pape». Selon lui, il existe en effet deux courants en lutte, tous deux héritiers du Concile Vatican II. «Le premier, en accord avec les positions du Saint-Père, se considère comme l’héritier légitime du Concile. Il cherche à faire avancer l’Église dans la direction de nouvelles perspectives comme l’ordination d’hommes mariés, ou l’ouverture au diaconat féminin». Le second courant, en revanche, «est très réticent au pontificat de François et perçoit le synode pour l’Amazonie comme une tentative de changement profond de l’Église».

Le synode espionné

Les critiques à propos du synode proviennent aussi de l’extérieur de l’Église. Les plus véhémentes ont été proférées par le président brésilien Jair Bolsonaro, qui a pris ses fonctions en janvier 2019. Alors que plus de 60% du territoire amazonien se trouve au Brésil, le président d’extrême droite, climato-sceptique notoire et largement soutenu dans sa conquête du pouvoir par le lobby de l’agro-négoce, considère que les thèmes portés par l’Église catholique -changements climatiques, déforestation, situation des peuples indigènes- sont «de gauche». Pourtant, les critiques émanant du Vatican sont particulièrement redoutées. Au point que le président n’a pas hésité à faire espionner certaines réunions préparatoires du synode par les fonctionnaires de l’Agence brésilienne d’intelligence (Abin), comme il l’a reconnu le 31 août devant un groupe de journalistes. En justifiant sa décision en affirmant: «Il y a beaucoup d’influence politique dans cette démarche de l’Église».

En coulisses aussi, et alors que les incendies étaient condamnés par la communauté internationale, le gouvernement a tenté de désamorcer les conséquences du futur synode. Henrique da Silveira Pinto, le nouvel ambassadeur du Brésil au Vatican, a reçu des instructions pour aller s’entretenir avec les représentants du Saint-Siège à propos des préoccupations du gouvernement brésilien sur le contenu des débats épiscopaux. De son côté, le Ministre-chef du Cabinet de sécurité intérieure, le général Augusto Heleno, a espéré que la rencontre des prélats à Rome «se limite à débattre de questions religieuses».

Un «contre-synode»

Des députés brésiliens conservateurs, liés à l’Église catholique, se sont également mobilisés contre le synode. Reprenant les arguments du gouvernement Bolsonaro, notamment sur une supposée attaque à la souveraineté de l’Amazonie brésilienne, les élus ont décidé d’organiser les 4 et 5 octobre, à Rome, une rencontre pour contester la manière dont le Vatican pourrait aborder la question environnementale. En particulier en rejetant d’office les «politiques environnementales qui priveraient de développement la population de la région amazonienne».

Ce «contre synode» n’a pas l’air d’émouvoir la hiérarchie catholique. Le cardinal Lorenzo Baldisseri, Secrétaire général du Synode, s’est d’ailleurs préparé aux critiques. «Nous savons d’ores et déjà que le Synode pour l’Amazonie va provoquer des réactions dures, a t-il assuré. Mais l’enjeu est trop important pour s’y soustraire». «L’Amazonie concerne tout le monde, a pour sa part rappelé le cardinal Claudio Hummes au quotidien catholique italien Avvenire, en marge d’une rencontre qui s’est tenu du 19 au 21 mars derniers à l’Université de Georgestown, à Washington. C’est là où le futur de la planète et de l’humanité est en jeu. Car sans l’Amazonie, le monde ne survivra pas». (cath.ch/jcg/rz)

Jean-Claude Gérez

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