Marguerite Bays: la vie d'une sainte

La couturière fribourgeoise Marguerite Bays (1815-1879) sera canonisée par le pape François, le 13 octobre 2019, à Rome. Humble femme laïque, elle est un exemple de la sainteté au quotidien.

Un lieu: le hameau de La Pierra

La Pierra, hameau de la paroisse de Siviriez, compte une quinzaine de fermes. Les parents de Marguerite, Pierre-Antoine et Joséphine se sont installés dans cette petite ferme qu’ils ont probablement construite eux-mêmes. Ils mettront au monde sept enfants dans ce lieu. Marguerite y vivra les 64 ans de son existence. A côté de son petit train de campagne avec quelques têtes de bétail, le papa exerce le métier de cordonnier. Ils vivent des produits de la terre. Marguerite est la deuxième de la famille après l’aîné Claude. Il y a ensuite Jean, Marie-Marguerite (dite Mariette) puis Joseph et Blaise qui mourra à l’âge de douze ans. Séraphique enfin est la dernière fille, née en 1826.

Marguerite fréquente l’école durant quatre ans à Chavannes-les-Forts, le village voisin. On décèle chez elle une belle intelligence, mais goûtant déjà le silence et la prière. Elle est vive et joyeuse. Ne la voyant pas fréquenter les garçons, ses proches imaginent que la jeune fille rentrera au monastère de la Fille-Dieu, non loin de là. Mais elle-même n’y songe pas. On peut en déduire qu’elle a certes ressenti un appel à une vie de chasteté et de célibat, mais en restant dans son terreau familial.

Une maison: la ferme des Bays

Pas mal de monde vit dans la petite maison des Bays. Marguerite y est d’abord avec ses frères et sœurs et ses parents jusqu’à leur décès, survenu en 1857 pour Antoine, et en 1859 pour Joséphine. Ensuite avec ses trois frères, Claude, Jean et Joseph, auxquels s’ajoutent les deux belles-sœurs, Josette l’épouse de Claude, et Marie-Joséphine l’épouse de Jean. Plus tard, sa sœur Mariette reviendra à la maison après une séparation conjugale.

Une famille: pas si exemplaire

Selon les normes de l’Eglise, la famille Bays n’est pas exemplaire. Le papa, Pierre Antoine, n’avait pas pu être syndic parce qu’il était un enfant illégitime. Le frère Claude, à l’age de 19 ans, aura lui-même un fils illégitime avec une servante, François que Marguerite élèvera. Elle avait beaucoup insisté pour éviter l’orphelinat à cet ‘enfant du péché’. Claude se mariera sur le tard avec Josette une servante qui deviendra de ce fait maîtresse de la maison. Elle aura quatre enfants dont trois mourront en bas âge.

Sa sœur Mariette, après l’échec de son mariage qu’elle vit très mal, revient vivre dans la maison. Quant à Joseph, il restera célibataire. Un peu handicapé, probablement abusé dans son enfance sur l’alpage puis devenu alcoolique, il aura des écarts de conduite qui le méneront jusqu’à la prison. Il survivra vingt ans à sa sœur qu’il appelait ‘la sainte’. Il finira par s’amender.

C’est d’abord dans ce milieu familial que Marguerite est pour tous une présence bienveillante. Elle accueille son frère qui rentre ivre à la maison après avoir abusé de l’alcool de pomme. Elle supporte les récriminations de sa sœur et surtout de sa belle-sœur Josette qui lui reproche de ne pas travailler à la ferme et d’être sans cesse ‘malade’. Elle conseille son frère Claude sur la marche de ses affaires et de celles de la commune, dont il est devenu syndic. C’est probablement de Jean dont elle se sent la plus proche. Elle aura avec lui de nombreuses conversations spirituelles sur le banc devant la maison.

Un métier: couturière  

Vers l’âge de 15 ans, Marguerite apprend le métier de couturière. L’apprentissage est relativement simple. On la dit très compétente dans ce métier qu’elle exerce à domicile, dans les familles de la région ou chez elle. Elle est non seulement couturière mais aussi tailleuse, c’est-à-dire qu’elle coupe elle-même les habits dans les pièces de tissu. Elle excelle dans la confection de l’habit de fête des femmes le ‘dzaquillon’ dont quelques-uns ont été conservés jusqu’à nos jours au Musée gruérien de Bulle. Elle a fait de ce métier une sorte de vocation. On l’appelait familièrement la couturière de la Pierra. A travers son travail dans les fermes, elle est aussi une oreille attentive pour tous les soucis de la maisonnée. On se confie volontiers à elle. Au lieu d’être la ‘gazette’ du village, elle est une confidente discrète. Ses qualités d’écoute sont indéniables.

Un souci: les enfants

Son attention de femme célibataire se porte aussi beaucoup aux enfants pauvres, orphelins ou jeunes domestiques. Ces enfants l’appellent volontiers ‘marraine’ voire même maman. Elle leur donne des habits, veille à leur bien-être. Si elle les rassemble le dimanche après-midi pour leur faire le catéchisme, c’est aussi pour leur offrir un temps de détente et de repos et les soustraire aux travaux de la ferme.

Les témoins raconteront combien ce contact fut important pour eux. Elle ne supportait pas que les enfants travaillent le dimanche, surtout que beaucoup des petits domestiques n’allaient pas à l’école. Elle les rassemble pour la prière à la chapelle de Notre-Dame du Bois. «Mais ses prières n’étaient jamais longues’. Elle avait conçu et construit dans sa chambre une crèche de Noël avec des petits personnages en cire qu’elle confectionnait elle-même. Sa ‘crèche’ s’étendait à d’autres scènes de la vie du Christ, y compris la passion et la résurrection.

Une attention: les malades

Marguerite est aussi très active dans l’accompagnement des malades auprès de qui on l’appelait souvent. «Ses paroles touchaient au coeur» dit-on. Notamment auprès des agonisants. Elle n’a jamais de livre pour accompagner les mourants. Sa parole et sa prière sont spontanées. Elles viennent du cœur et sont le plus souvent prononcées en patois. Elle leur porte aussi des soins matériels concrets.

Une femme forte et sévère

Sa bonté et son naturel souriant n’empêchent cependant pas Marguerite d’avoir un fort caractère. On craint ses réprimandes, qu’elle n’hésite pas à formuler fermement lorsqu’elle estime inconvenants certains comportements ou certaines paroles. Pour son biographe Robert Loup, «c’est justement à cause de cette sévérité – dure parfois comme une sentence – qu’elle se fit auprès de certaines personnes une réputation de méchante femme». «Avec elle, dit-on, il faut marcher de règle, sinon gare aux réprimandes et aux reproches.» Sévère pour elle-même, elle ne tolère pas que l’on parle avec légèreté ou médisance.

Une grande marcheuse

Bien qu’elle ait toujours vécu dans sa maison natale de La Pierra, Marguerite se déplace beaucoup, presque toujours à pied, été comme hiver. Elle se rend chaque jour à l’église de Siviriez à 1,5 km. Elle circule de ferme en ferme dans la région pour y exercer ses talents de couturière. Les témoins racontent que son frère Jean s’arrange pour aller la chercher avec une carriole les soirs de gros temps. Romont et la Fille-Dieu, à 5 km, font aussi partie de ses déplacements réguliers. Elle vient aussi à Fribourg pour se rendre chez les Filles de Saint Paul à la rue de Morat ou à Notre-Dame de Bourguillon. Elle fréquente Notre-Dame des Marches, aux portes de Broc, à une vingtaine de kilomètres.

Mais ses plus grands périples furent les pèlerinages à Notre-Dame des ermites à Einsiedeln. Marguerite s’y rendra onze fois sa vie durant. Toujours à pied. Les quelque 190 km sont parcourus habituellement en trois jours. Munis d’un baluchon au bout d’un bâton, les pèlerins franchissent la première étape qui les conduit jusqu’aux environs de Berne. La deuxième jusqu’à Lucerne et enfin on atteint Einsiedeln le 3e jour. Après un ou deux jours de dévotions, les pèlerins reprennent le chemin en sens inverse. En ramenant quelques pieux souvenirs, images, médailles, chapelets, ou statuettes. Selon Robert Loup, Marguerite aurait fait en train, dans les dernières années de sa vie, le pèlerinage à Notre-Dame de Lourdes.

Une communauté paroissiale: Siviriez

Marguerite a une place importante dans sa communauté paroissiale de Siviriez. Non seulement Marguerite est assidue à la messe quotidienne et aux offices, mais elle est active dans les divers groupements existants. Elle instaure dans sa paroisse l’Enfance missionnaire. Elle quête de ferme en ferme au profit des bonnes œuvres. Elle a de bons contacts avec les prêtres qui encouragent cet engagement et accompagnent sa vie spirituelle. Et la protègent de toute curiosité trop insistante.

Guérison miraculeuse et stigmates

En 1854, Marguerite souffre d’un cancer aux intestins. Le 8 décembre 1854, jour de la proclamation de l’Immaculée Conception, elle est miraculeusement guérie. Peu après, elle reçoit les stigmates dans ses mains, ses pieds et sa poitrine.

Malgré ses stigmates, Marguerite, bien qu’affaiblie, continue à travailler. Elle ne veut pas être une charge pour sa famille. Elle ne se déplace plus dans les fermes, mais les gens viennent lui apporter du travail chez elle.

La mort de Marguerite

A partir de 1878, Marguerite est fortement affaiblie et passe de longues périodes alitée. Le 27 juin 1879, elle vit une dernière fois la passion mais n’en reviendra pas. Pour la population, sa mort fut une grande émotion. Certains disaient «Notre paratonnerre n’est plus, notre sainte est morte». Pendant les trois jours qui précèdent les funérailles, la foule défile devant son cercueil installé dans sa chambre.

L’enterrement fut ‘beau’. Il y régnait à la fois tristesse et espérance. «N’oubliez pas qu’on enterre une sainte, dans quelques temps on l’exhumera» aurait déclaré le fossoyeur. Sur son monument funéraire l’épitaphe est touchante: «Vénérée sœur, chère et tendre marraine, n’oubliez pas ceux que vous avez laissés sur terre». Dès le jour de son enterrement les gens viennent se recueillir sur sa tombe et lui confier leur vie.
Maurice Page
dessins: Raphaël Zbinden

Sur les pas de Marguerite…

L’humble couturière fribourgeoise Marguerite Bays (1815-1879) sera canonisée à Rome, le 13 octobre 2019. Elle est un exemple de la sainteté au quotidien chère au pape François. cath.ch vous emmène sur ses pas.

Rédaction

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