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Lausanne: Après neuf siècles, « faut-il réhabiliter l’idée de croisade? »

Un cuisant échec militaire, humain et théologique (291095)

Lausanne, 29octobre(APIC) Quel bilan tirer des croisades neuf siècles

après le lancement de la première d’entre elles en novembre 1095? Le professeur Michel Grandjean, de Genève, a tenté vendredi lors de la cérémonie

d’ouverture des cours de la Faculté de théologie de Lausanne de répondre à

cette question. Il a présenté un bilan très sombre des croisades, au cours

desquelles la chrétienté occidentale ne trouva une certaine unité qu’au

travers de cuisants échecs militaires, humains et théologiques.

Le 27 novembre 1095, le pape Urbain II prononçait un discours qui, en

substance, appelait les chrétiens à libérer la Terre Sainte par un « pèlerinage ». Mais qui oserait revendiquer aujourd’hui le terme de croisade?,

s’interroge le professeur Michel Grandjean, maître d’enseignement et de recherche à la Faculté autonome de théologie de Genève et professeur invité

de celle de Lausanne. De nos jours, on n’évoque plus le vocable de « croisade » que lorsqu’il s’agit de s’attaquer à la drogue, à l’alcool, etc. Dans

le domaine religieux ce terme n’a cours qu’aux Etats-Unis et en Afrique.

Ali Agça, l’agresseur du pape en 1981 ne déclarait-il pas vouloir éliminer

le chef des croisés? « C’est là une récupération idéologique d’un passé que

les musulmans savent peser sur la conscience occidentale », estime le professeur Grandjean.

Quel bilan tirer des croisades? Sur le plan militaire, elles furent un

échec total, sauf la première. En 1099, les croisés réussirent à prendre

Jérusalem et à forcer le verrou d’Antioche. Mais les combattants regagnèrent leur terre natale aussitot leurs dévotions accomplies. La deuxième

croisade jette Damas dans les bras des ennemis. Une génération plus tard,

les occidentaux préfèrent pactiser avec leurs adversaires musulmans. Richard Coeur de Lion ne put prendre Jérusalem et saint Louis échoua contre

l’Egypte, puis contre l’émir de Tunis. Avec la chute de St Jean d’Acre en

1291, c’est le rêve croisé tout entier qui s’écroule après plus de deux

siècles de larmes et de sang.

Sur le plan économique, les villes portuaires tirèrent un grand profit

des allées et venues des croisés, mais beaucoup de barons rentrèrent ruinés. En outre, le but principal des croisades n’était pas commercial; il

consistait à restaurer l’unité de la chrétienté. Sur ce plan, l’échec fut

cuisant. En 1204, les Vénitiens détournèrent sur Constantinople l’ardeur

des croisés. « Comment ne pas voir dans l’établissement du royaume latin de

Constantinople l’origine de l’affaiblissement du christianisme oriental »,

interroge M. Grandjean.

Sur le plan religieux, les croisades ont-elles favorisé les contacts

avec l’islam? Dans son principe, la croisade n’impliquait pas la haine des

musulmans; elle n’était pas conçue comme une sorte de « djihad » chrétien.

Mais sur le terrain… En outre les croisés ne tardèrent pas à se tourner

contre d’autres non-chrétiens sur leur passage: les juifs d’Europe. L’antijudaïsme allait contraindre les israélites à choisir entre le baptême et la

mort. Les pogroms se multiplièrent dès le XIe siècle, suite aux accusations

de « meurtres rituels » dont on accablait les juifs considérés comme les

meurtriers du Christ. Selon le professeur Grandjean, « en définitive, c’est

l’échec humain qui marquera le plus l’histoire des croisades, au vu des

massacres de populations entières, femmes et enfants compris. » De plus, la

« gent païenne » comprenait certainement nombre de chrétiens orientaux que

les croisés ne prenaient même pas la peine de distinguer. Le bilan est donc

totalement négatif.

Aux yeux de certains pourtant, l’âge des croisades eut l’avantage de

mettre en évidence la supériorité de la vie contemplative sur la vie active. Certains considérèrent ainsi les croisades comme « l’acte de naissance »

de la chrétienté occidentale du Moyen-Age central, qui a donc, d’une certaine manière, trouvé son unité par les croisades.

La « volonté de Dieu » en otage

On observe chez certains auteurs une nostalgie de ce temps où la chrétienté se constituait et où chacun, laïc ou prêtre, pouvait trouver sa place et jouer un rôle dans l’Eglise. A cette nostalgie, Michel Grandjean apporte une réponse théologique: l’unité souhaitée pour le christianisme ne

peut se fonder que sur l’unité de Dieu lui-même. Mais celui-ci – c’est aujourd’hui encore l’avis général – ne parle pas assez. Et les croisés firent

ce que les hommes font souvent: ils mirent leurs propres paroles dans la

bouche de Dieu: « Le Christ l’ordonne! » Les peuples répétèrent le mot d’ordre: « Dieu le veut! » Bernard de Clairvaux lui-même appuiera la deuxième

croisade en soutenant que le meurtre commis en Terre Sainte « répond à la

volonté du Seigneur ». Dans le cri de guerre « Dieu le veut », le professeur

Grandjean discerne la racine même du fanatisme (du latin fanum, lieu sacré). Le fanatique agit en être désorienté qui croit posséder son propre

temple portatif. « Mais c’est une chose bien différente de dire, comme saint

François d’Assise, ’fais de moi un instrument de paix’ que de proclamer ’ce

que je fais, Dieu le veut », conclut l’orateur. (apic/spp/mp)

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