«En Grèce, l’histoire va vers la séparation Eglise-Etat»

Le caractère confessionnel de l’État grec évolue-t-il? Comment se portent les relations entre les Eglises catholique et orthodoxe? À quels défis fait face la communauté catholique de Grèce? Les réponses de Mgr Sevastianos Rossolatos, archevêque catholique d’Athènes.

Par trente degrés, Mgr Sevastianos Rossolatos m’attend dans sa soutane noire, en haut des marches qui mènent au siège de l’archidiocèse catholique romain d’Athènes. Nous sommes rue Omirou, au centre-ville de la capitale grecque, juste derrière sa cathédrale. Après avoir parcouru une enfilade de pièces hautes à la fraîcheur bienvenue, nous débouchons sur un salon aux murs couleur mandarine, ornés d’imposants tableaux de ses prédécesseurs.

Sevastianos Rossolatos est originaire de l’île de Syros, où vit une importante communauté catholique. Nommé archevêque d’Athènes le 12 août 2014 par le pape François, son français et son italien, qu’il parle couramment, il les doit à ses études, d’abord au lycée franco-grec Saint-Paul à Athènes, puis durant six ans à Rome. Ordonné prêtre en 1968 dans le diocèse catholique romain de Syros et de Milos, il a occupé divers postes au sein des commissions du Saint-Synode des évêques catholiques de Grèce: chancelier de la Curie, membre du tribunal ecclésiastique et professeur de religion. Désormais à la tête d’un archevêché de 47’000 km2, et préoccupé par le sort de la population face à la crise, il a mis en garde les partis grecs avant les élections législative de juillet 2019.

L’été dernier, vous avez publiquement averti le futur gouvernement élu, quel qu’il soit, que la population ne pouvait plus en supporter davantage, et qu’elle espérait une réduction d’impôts et une augmentation de l’emploi. Le nouveau gouvernement de Kyriacos Mitsotakis répond-il à ces attentes?
De ce que j’entends pour le moment, il va dans la bonne direction en ce qui concerne l’emploi et la fiscalité. Mais pour les Eglises, il ne va rien changer. Nous sommes au même niveau de taxation de 50%, parce que l’Etat grec considère notre activité comme une activité lucrative. Or nous utilisons l’argent pour la pastorale, pour faire vivre les prêtres et il ne nous reste rien, après taxation. En ce moment, je suis en débit pour payer les taxes … 

Quel regard portez-vous sur la tentative avortée du projet de séparation Eglise-Etat d’Alexis Tsipras?
Le sens de l’histoire va vers la séparation Eglise-Etat, mais j’ignore si ce sera pour dans dix ou trente ans.

Il y a une résistance énorme de la part de l’Eglise orthodoxe. La comprenez-vous?
L’Eglise dit qu’il est impossible de séparer l’Eglise de la société, mais je pense que la vraie question est d’ordre financier. Le salaire du clergé orthodoxe est payé par l’Etat. Alexis Tsipras voulait lui allouer 200 millions d’euros par an pour que ce soit elle qui gère cette enveloppe budgétaire. Or, les prêtres craignaient que les évêques, qui disposeraient de cet argent, puissent écarter certains d’entre eux, en ne les payant plus. Les évêques ont réagi à leur tour et l’affaire en est restée là.

Le nouveau gouvernement n’a jamais soulevé la question de la séparation Eglise-Etat

Cela signifie que le projet de loi est enterré?
De ce que j’en sais, le parti du nouveau Premier ministre Kyriacos Mitsotakis (ndlr. Nouvelle Démocratie, droite conservatrice) n’a jamais soulevé la question de la séparation Eglise-Etat. 

Beaucoup, ici, disent que l’on assiste non à un statu quo, mais à un retour en arrière, notamment avec l’instauration par l’Eglise orthodoxe de la «Journée de l’enfant non né», qui sera célébrée le premier dimanche après Noël et qui vise à prévenir les interruptions volontaires de grossesse. Qu’en pensez-vous?
Selon moi, c’est un problème social et national. Le gouvernement n’a pas pris cette décision par conviction religieuse.

Mais c’est l’Eglise orthodoxe qui a pris la mesure et le gouvernement qui l’a appuyée? 
En effet, et le Premier ministre a annoncé une aide financière pour chaque enfant à naître. Selon moi, c’est une initiative qu’il fallait prendre, parce que la Grèce connaît un problème de baisse de natalité et le gouvernement grec ne prenait aucunes mesures pour lutter là-contre.

Pourtant, l’avortement est autorisé en Grèce … 
Malheureusement, oui. Mais là, ce n’est pas seulement une question de foi, mais une question sociale et économique.

On va toutefois vers plus de laïcité, avec notamment la suppression en 2001 de la religion sur les cartes d’identité, ou celle, en 2008, des cours de religion obligatoire. Comment voyez-vous cette évolution?
Tout est relatif, vous savez. Même si les cours de religion ne sont en effet plus obligatoires, une vaste majorité d’élèves les suit encore. C’est pourquoi, pour éviter toute discrimination, l’Eglise catholique a approuvé la suppression de la mention de la religion sur les cartes d’identité.

Nous avons choisi de ne pas être payés par l’Etat grec pour être libres.

Quel est le statut de l’Eglise catholique en Grèce, ultra-minoritaire ici?
Les Orthodoxes, les Musulmans de Thrace et les Juifs sont des communautés de droit public. Elles sont payées par l’Etat grec, alors que l’Église catholique pas. Nous sommes de droit privé. C’est nous qui avons choisi cela pour être libres. Pendant la dictature en Grèce, entre 1967 et 1974, nous avons vu  que les prêtres orthodoxes étaient obligés de prendre parti pour le gouvernement, qui était une dictature. Les catholiques ne pouvaient pas l’accepter. C’était les fidèles qui soutenaient les prêtre, non l’Etat grec. 

Et pas Rome?
Elle reçoit de Rome une aide, une fois par an, mais elle est symbolique. Pourtant, les Orthodoxes et les ministres pensent que nous sommes soutenus par Rome. Pour cette raison, nous souffrons beaucoup depuis ces dernières années de crise, à cause de la taxation. Nous avons la même taxation que les orthodoxes, soit un taux d’imposition de 50%. C’est terrible…

Aujourd’hui, la paroisse de la Cathédrale catholique d’Athènes est composée à 95% de Philippins. Autrefois, ses membres étaient presque tous grecs. Ils ont progressivement quitté le centre-ville pour la banlieue de la capitale. | © Carole Pirker

Quel est le visage de la communauté catholique en Grèce?
En Grèce, durant les trente dernières années, le nombre de catholiques a été multiplié par trois, passant de 50’000 à 200’000. Certes, depuis le début de la crise économique, en 2010, certains sont repartis, mais il en reste beaucoup. C’est aussi une communauté très diversifiée. À Kalamata, au sud de Péloponnèse, par exemple, la communauté catholique dénombre 150 fidèles de 21 nationalités! Nous avons beaucoup de Polonais, d’Albanais, de ressortissants des Philippines et d’Afrique subsaharienne, francophones et anglophones. Et à part les Ukrainiens, qui sont byzantins, tous les autres catholiques sont latins.

Beaucoup de catholiques ont été discriminés. Les orthodoxes ont un mépris envers l’Eglise catholique.

Cet afflux d’émigrés catholiques est-il un défi pour la cohésion des paroisses?
Oui, quand le nombre de Grecs et d’immigrés est équivalent, il y a une relative cohésion. Mais si l’une des communautés est majoritaire, que ce soit celle des Grecs, des Polonais ou des Philippins, comme ici à Athènes, cela devient très difficile. Nous cherchons à créer l’Église catholique, mais pour le moment, nous avons plutôt des paroisses ethniques.

Comment se portent les relations entre les Églises catholique et orthodoxe? 
Il y a des relations personnelles avec quelques évêques ou certains prêtres orthodoxes, qui sont sincères, vraiment, et ouvertes. Mais il n’y a pas de relations d’Eglise à Eglise. Dans ce pays où 98% de la population est orthodoxe, beaucoup de catholiques ont été discriminés. Il n’était pas facile pour eux d’être employés d’État ou d’être gradés à l’armée. Les orthodoxes ont un mépris envers l’église catholique.

Cette discrimination existe-t-elle encore, aujourd’hui?
Oui, c’est la société qui est imprégné de cette mentalité, parce que l’Eglise orthodoxe reste très puissante. La mentalité où l’orthodoxie prévaut à toute autre religion a encore cours aujourd’hui. La plupart ont peur des catholiques. On dit aux fidèles orthodoxes de les éviter.

Pourquoi?
Il y a un fanatisme, car pour eux, nous sommes des hérétiques. Il n’y a pas de ligne commune parmi les théologiens orthodoxes, mais une même disposition d’esprit. Quand une église se sépare de l’orthodoxie, ils disent qu’elle perd la validité des sacrements, qu’il n’y a pas de vrai sacerdoce et que les évêques ne sont pas de vrais évêques.

Nous avons dû lutter dix ans pour obtenir un professeur de religion catholique!

Vous avez enseigné la religion. L’État grec autorise-t-il l’enseignement d’une autre religion que la religion orthodoxe dans les écoles publiques? 
Il y a une loi encore en vigueur de 1939, il me semble, qui donne la possibilité aux non-orthodoxes, s’il y a un nombre suffisant d’élèves d’une confession, d’avoir un enseignement de leur religion. Comme c’était le cas pour les élèves catholiques dans les îles grecques, nous avons demandé en 1980 au ministère de l’éducation le droit d’avoir un professeur catholique. Eh bien, nous avons dû lutter dix ans pour l’obtenir! Le Ministère de l’éducation et des cultes se montrait d’accord, mais les métropolites (ndlr. les évêques orthodoxes) refusaient et leur volonté obligeait le Ministère à décliner notre demande. Finalement, une préfète a donné son autorisation et c’est grâce à elle qu’il y a encore aujourd’hui un enseignement catholique dans les écoles publiques des îles de Syros et Tinos. (cath.ch/cp)

Les relations Eglise-Etat: un véritable serpent de mer
En Grèce, où l’Eglise orthodoxe a pratiquement le statut d’Eglise d’Etat, la question de la séparation Eglise-Etat apparaît dans les années 80, à l’initiative du PASOK, le parti socialiste. Si elle reste difficile à accepter pour de nombreux Grecs et leurs représentants religieux, elle débouche sur quelques acquis importants, dont la reconnaissance du mariage civil (1982) et la suppression de la mention de la religion sur la carte d’identité (2001). Dès 2018, les Grecs se montrent majoritairement en faveur d’une séparation Eglise-Etat et l’ancien premier ministre Alexis Tsipras propose un projet de loi: les membres du clergé devraient perdre leur statut de fonctionnaires, l’Etat continuant à verser 200 millions d’euros par an pour leur salaire et retraite.

Le 6 novembre 2018, il signe dans ce sens un accord avec le chef de l’Eglise orthodoxe, l’archevêque Jérôme. Mais le clergé, qui redoute de perdre les avantages liés au statut de fonctionnaire, s’y oppose frontalement. Le 20 février 2019, les négociations sont ajournées et reportées sine die. Fragilisé lors des élections européennes, Alexis Tsipras convoque des élections législatives anticipées en juillet 2019 et se fait battre par la droite conservatrice. Pari perdu. Le 17 juillet 2019, Niki Kerameos, la nouvelle ministre de l’éducation et des cultes, rencontre l’archevêque Jérôme et lui réitère l’engagement du gouvernement de Kyriakos Mitsotakis de protéger les droits du clergé en matière de salaire, d’assurance et de retraite. Le projet de loi est enterré.

Carole Pirker

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