Fribourg: Mgr Albert Rouet plaide pour un nouveau visage de l'Eglise

Plaidant pour un mode de vie plus sobre face à la mondialisation, dans la ligne de l’encyclique Laudato si’ du pape François, Mgr Albert Rouet, 83 ans, était l’une des têtes d’affiche du 11ème Forum «Fribourg Eglise dans le monde». Le colloque s’est tenu à l’Université de Fribourg les 10 et 11 octobre 2019 sur le thème de la mission aujourd’hui.

Qui de mieux, pour stimuler les débats, que l’archevêque émérite de Poitiers (1994-2011) ? Il fut, durant son épiscopat dans cette région du Centre-Ouest de la France, un promoteur audacieux du renouveau de son diocèse. Il a appelé les laïcs à partager les responsabilités – tout simplement en raison de leur baptême – dans un diocèse souffrant, comme partout en France, du manque de prêtres. «Combien reste-t-il en France de prêtres de moins de 70 ans au service de la mission de l’Eglise ?», demande-t-il d’emblée.

Pour une sobriété heureuse

Jeudi soir 10 octobre, devant une soixantaine d’auditeurs et auditrices captivé-e-s, Mgr Albert Rouet – qui n’aime pas beaucoup se faire appeler ‘Monseigneur’ – a tout d’abord plaidé pour un changement de mode de vie dans une société de consommation qui va à sa perte.

«La pauvreté nous offre une très grande liberté, la misère non!», a-t-il lancé. Une misère qu’il a d’ailleurs côtoyée de près, tant en Afrique que dans certaines régions pauvres de son diocèse, où le taux d’analphabétisme peut atteindre 6% de la population.

Partisan d’une sobriété heureuse, cet auteur de nombreux ouvrages sur les questions qui secouent l’Eglise d’aujourd’hui est né en 1936 dans une famille de cultivateurs de l’Indre. Très critique de la société de consommation, il pense qu’il n’est pas indispensable que le monde entier copie le mode de vie de «quelques pays du Nord, les nôtres!». «Il n’est pas obligatoire que chacun ait deux téléviseurs, deux voitures… Si on refuse de se voiler les yeux, on voit bien que l’on assiste à une ‘cancérisation’ de ce monde».

La mondialisation: une unité qui détruit la diversité

A ses yeux, la globalisation, la mondialisation, les lois du commerce mondial contrôlé par quelques-uns créent une unité qui détruit la diversité: «les hôtels sont les mêmes de New York au Cap de Bonne Espérance en passant par l’Alaska!» Et de relever que cette mondialisation marchande se paie le luxe de vouloir un «supplément d’âme», alors que les anciennes idéologies sont mortes et qu’il ne reste plus que l’idéologie des marchés. «Notre Eglise court le risque de devenir l’aumônier de cette mondialisation!»

Mgr Albert Rouet, avec le professeur Mariano Delgado, doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg | © Jacques Berset

«Avant, avec les incroyants et les marxistes, on pouvait débattre des grandes questions de l’Homme, maintenant, c’est fini», lance Mgr Albert Rouet. Lui-même, qui fut aumônier de lycée, membre d’une équipe sacerdotale chargée de la jeunesse, puis délégué général pour le monde scolaire et universitaire, a connu les débats d’idées dans le sillage de mai 68. «Aujourd’hui, le socle commun n’est plus Dieu, mais la planète. Attention de ne pas tomber dans une divinisation de la nature!»

L’Eglise doit changer de mentalité

Face à la tendance dominante à l’unification, l’archevêque émérite de Poitiers plaide pour le pluralisme, «un terme longtemps honni dans notre Eglise catholique!», pour la diversification de la vie ecclésiale, pour la fin d’un centralisme ecclésial uniformisant. Et de relever, au vu des documents préparatoires, que le Synode pour l’Amazonie va ouvrir des pistes, non pas mondiales, mais applicables au plan régional.

«Ce n’est pas seulement une réforme de structures dont nous avons besoin dans l’Eglise, mais bien d’un changement de mentalité«. Car une des conséquences de la sécularisation dominante dans les sociétés modernes est d’avoir changé les paradigmes. La sécularisation ne se dresse plus contre un Dieu estimé oppresseur, mais se passe simplement de toute référence à lui. «Les Eglises avaient jusqu’alors le monopole de la gestion du sacré, c’est fini, le sacré, aujourd’hui, a muté!»

La sécularisation, pas une théorie mais un mode de vie

Ce sont les stars qui l’on remplacé: le footballeur, le pilote de Formule 1, le joueur de tennis… Le sacré migre vers des lieux profanes désormais sacralisés: la Bourse, devenue «un temple», le foot «une grand-messe». Quand auparavant on faisait appel au prêtre, on se confie désormais aux spécialistes. Les grandes questions existentielles qui se posaient à l’époque du Concile Vatican II sont sorties de la tête de nos contemporains, confie-t-il à cath.ch. «On ne se pose même plus la question de l’existence de Dieu. La sécularisation n’est pas une théorie, c’est un mode de vie…»

La sécularisation de la société, à ses yeux, ne va pas reculer, et c’est paradoxalement une chance: elle oblige les croyants à s’affronter à la crédulité, «par conséquent à fonder une intelligence de la foi». C’en est fini depuis longtemps des «catholiques sociologiques» des temps passés.

L’Eglise n’a plus le monopole du sacré

Face à cela, trop souvent encore, «les catholiques parlent aux catholiques», et les autres, devenus majoritaires? Les catholiques essaient, comme en ce moment en France, d’influencer les décisions parlementaires, «mais c’est perdu d’avance!».

Et de se demander alors comment être missionnaire là où l’on ne nous attend pas, là où l’on ne nous écoute pas, là où l’on affirme savoir d’avance ce que nous allons dire. L’indifférence est désormais ancrée au cœur de notre société contemporaine. L’évêque émérite relève, avec une pointe d’ironie, que depuis le Concile Vatican II, nous avons prié pour que nous ayons une Eglise pauvre, et maintenant on l’a ! Alors on se pose des questions de «fin de règne», notamment sur le nombre de chrétiens que l’on a encore, «comme si on pesait les chrétiens au kilo…», lance-t-il avec une pointe d’humour.

La paroisse: héritage du système féodal

Mgr Rouet constate que les clercs ne peuvent plus s’avancer comme auparavant en terrain conquis: ils doivent être aimables pour être reçus. «Si nous ne savons pas accueillir, nous ne pouvons pas parler aux autres. Le premier principe de la mission, c’est de savoir recevoir, l’échange, c’est fondamental !» Pour l’évêque émérite de Poitiers, il est absolument de changer de mentalité, car tout baptisé a quelque chose – notamment ses dons – à apporter à la communauté. «Mais, regrette-t-il, nous ne sommes par organisés pour cela…»

La paroisse – près de 36’000 en France, épousant le territoire des communes – est  un héritage du système féodal, un système centralisé où tout passe par le prêtre. «La paroisse ne peut faire que ce que décide le curé. Depuis 1905, avec la Loi de séparation des Eglises et de l’Etat, le curé a tout le pouvoir, il contrôle tout, notamment les finances».

Tout le pouvoir au curé

Il faut un nouveau visage de l’Eglise, souligne-t-il, en évoquant brièvement l’expérience des communautés locales mises en place à Poitiers. L’évêque a voulu dans son diocèse promouvoir une Eglise de communion dans le sillage du Concile Vatican II. Il a constitué de nouvelles structures qui évitent la centralisation. Il a inventé d’autres modalités d’exercice du ministère presbytéral, et ce que d’aucuns appellent une «révolution copernicienne»: passer de laïcs aides d’un prêtre autour duquel tout tourne, à des communautés locales responsables, constituées d’une équipe de base animatrice, avec un prêtre.

Mgr Rouet affirme que la paroisse doit changer de forme quand son organisation joue «à guichets fermés»: les regroupements de paroisses réunissent des convaincus en un point géographique mais retirent d’autres localités les forces dont elles ont besoin pour tenir. Dans maints endroits, on est passé d’un diocèse comptant des centaines de paroisses à une vingtaine, parfois moins, avec un curé qui ne fait que se déplacer en voiture d’un culte à l’autre, sur d’importantes distances.

D’apôtre à administrateur

Du travail pastoral qu’il envisageait à son ordination, de son rôle d’apôtre, le prêtre se transforme en administrateur, auquel on adjoint des laïcs, mais c’est toujours le curé qui a la vue d’ensemble et qui a tout le pouvoir

«Ce système-là ne fonctionne pas. Ce qui est en cause, ce n’est pas la taille de la paroisse, c’est son mode de fonctionnement, qui remonte au Moyen Age». Ce qui fait l’Eglise, c’est que la Parole soit annoncée, que l’espérance soit proclamée, que la charité soit agissante, que la prière soit récitée. Mais son modèle n’a pas suscité que des approbations: «Certains m’ont accusé de vouloir une Eglise sans prêtres, de ‘protestantiser’ l’Eglise…»

Mgr Albert Rouet, archevêque émérite de Poitiers, promoteur audacieux du renouveau de son diocèse | © Jacques Berset

Faire confiance aux laïcs

Depuis le synode diocésain de 2001-2003 le diocèse de Poitiers a constitué des communautés locales permettant de garder des structures au niveau de chaque village ou de chaque ancienne paroisse, pour que l’Eglise reste missionnaire, au plus près des personnes.  Chacune a une «équipe locale d’animation» avec un délégué pastoral, un délégué aux affaires matérielles, un à la prière, un à l’annonce de la foi, un à la charité, et éventuellement d’autres sur des missions spécifiques. Ces responsables sont élus par la communauté, pas désignés par le curé. «Il faut redonner au peuple chrétien sa fierté d’être chrétien, en lui faisant confiance».

Ce nouveau visage de l’Eglise, qui subsiste à Poitiers depuis le départ de Mgr Rouet pour raison d’âge, en 2011, existe dans d’autres régions. «Ce qu’on a fait à Poitiers est habituel en Amérique latine, dans des diocèses au Congo, dans celui de Baie-Comeau, au Québec, et je l’ai vu moi-même en Indonésie». Interrogé sur l’expérience pastorale du diocèse de Poitiers, Mgr Rouet relève qu’elle se poursuit, et qu’elle a même attiré l’attention d’une septantaine d’autres diocèses, venus à Poitiers souvent avec leur évêque. «Mais ils n’ont pas adopté le modèle, car chez eux, les délégués pastoraux ne sont pas élus par la communauté, mais choisis et désignés par le curé. C’est toute la différence!» (cath.ch/be)

A l’occasion du mois missionnaire extraordinaire lancé par le pape François, l’Institut pour l’étude des religions et le dialogue interreligieux (IRD), le Centre d’études pastorales comparées (CEPC) et le Centre Foi et société de la Faculté de théologie avaient choisi pour ces deux jours de réflexion le thème «Baptisés et envoyés: quel Evangile et quelle Eglise pour le monde aujourd’hui?»

Jacques Berset

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