Mgr Georges Abou Khazen: Les Etats-Unis ont «trahi le peuple kurde»

Les Etats-Unis ont «trahi le peuple kurde», en le trompant quant à son éventuelle «indépendance» de la Syrie, puis en l’abandonnant par intérêt et par appât du gain à son sort, déplore Mgr Georges Abou Khazen. Les chrétiens Nord de la Syrie, tout comme les Kurdes, sont menacés.

Dans une interview à l’agence de presse italienne AsiaNews, le vicaire apostolique d’Alep commente avec une vive amertume l’escalade de la violence liée à l’offensive de l’armée turque. Il dénonce le fait que cette opération est soutenue par des groupes djihadistes et les milices anti-Assad à leur service, qui s’en prennent aux Kurdes et aux chrétiens du Nord de la Syrie.

Exécutions sommaires

Le vicaire apostolique des  catholiques latins dénonce également la passivité de l’Europe en qui il n’a pas du tout confiance: «Nous sommes au sixième jour de conflit et rien n’a été fait jusqu’à présent, si ce n’est des paroles creuses et des proclamations», alors qu’il y a déjà, selon l’ONU, plus de 130’000 réfugiés. Il craint les représailles des forces qui mènent l’invasion du territoire syrien, car il y a beaucoup d’histoires de personnes tuées sur le terrain d’une façon horrible, à la manière de Daech [acronyme arabe pour l’Etat islamique, EI], avec les mains liées et sommairement exécutées.

Parmi les victimes, ajoute-t-il, il y a «non seulement des Kurdes, mais aussi des chrétiens arméniens, des Assyriens, des Chaldéens qui ont déjà connu la persécution à l’époque de l’Empire ottoman». Aujourd’hui, ce sont leurs petits-enfants et leurs arrière-petits-enfants qui paient le prix. Dans le bombardement de Qamishli, «les premières victimes furent précisément deux chrétiens» et si les Turcs poursuivent leur offensive, beaucoup tenteront de s’échapper, «ce qui provoquera un nouvel exode».

La rhétorique d’Erdogan

Mgr Abou Khazen dénonce la rhétorique du président turc Recep Tayyip Erdogan, qui dit «sur papier» qu’il lutte contre le terrorisme kurde et veut éliminer les djihadistes de Daech, alors que sur le terrain, il favorise la renaissance de ces derniers.

«Les djihadistes – assure Mgr Georges Abou Khazen – opèrent et combattent sous l’égide de l’armée turque». Ils utilisent le prétexte de réimplanter les réfugiés syriens qui se trouvent en Turquie dans ces territoires, alors que là où il y a déjà des habitants. En réalité l’objectif est celui d’un nettoyage ethnique, afin de mettre d’autres réfugiés sur ces terres. Ils font la même chose à Afrin». Pour le vicaire apostolique d’Alep, ces guerres ne résolvent pas les problèmes: au contraire, elles jettent les bases d’autres guerres, encore plus dévastatrices.  

Des guerres «par procuration»

De son côté, le cardinal Mario Zenari, nonce apostolique à Damas, affirme que le conflit en Syrie ne pourra se résoudre qu’à travers les Nations Unies. En Syrie, les puissances mondiales se font la guerre «par procuration», dénonce-t-il, dans un court entretien au Corriere della Sera le 14 octobre 2019.

Représentant pontifical en Syrie depuis 2008, le cardinal Zenari n’a pas quitté le pays malgré le conflit qui dure depuis 2011. Il se considère donc comme un «nonce de campagne» à l’image de ›l’Eglise hôpital de campagne’ appelée de ses vœux par le pape François. Celui-ci a d’ailleurs salué le ministère du diplomate puisqu’il lui a remis en novembre 2016 la barrette cardinalice, une situation inédite pour un nonce en poste à l’étranger.

Daech, un «authentique fléau»

Au Corriere della Sera, le cardinal Zenari explique avoir initialement eu une opinion sur les causes du conflit et les parties présentes. Toutefois, la situation est désormais tellement embrouillée qu’elle empêche tout jugement. En effet, que ce soit sur terre ou dans les airs, «cinq puissances mondiales s’affrontent et se font la guerre par procuration». Pour lui, ce conflit peut seulement se résoudre à travers les Nations Unies.

Le cardinal diplomate n’exonère pas de sa responsabilité le président syrien Bachar el-Assad qu’il a pu rencontrer à trois occasions. Si pour lui le chef d’Etat ne ressemble pas à un homme comme Saddam Hussein, «cela ne lui retire pas la responsabilité de ce qui se passe en Syrie». Il reconnaît toutefois comme «en partie vraie» l’affirmation par Bachar el-Assad de protéger des chrétiens. D’autant plus que Daech, l’organisation Etat islamique, est un «authentique fléau».

Le pape François qualifie la situation de «dramatique»

Déchirée par une guerre civile depuis 2011 dans laquelle se sont invitées les puissances mondiales, la Syrie doit désormais faire face à l’entrée de l’armée turque dans une partie de son territoire.

Le 13 octobre 2019, à la fin de la messe de canonisation de cinq nouveaux saints, le pape François a parlé d’une nouvelle «dramatique» et a pressé les puissances en présence à «s’engager sincèrement, avec honnêteté et transparence, sur la voie du dialogue».

Les chrétiens du Rojava menacés par les Turcs

Les chrétiens syriaques participent à l’auto-gouvernance du Rojava (l’ouest ou Kurdistan occidental, en kurde, c’est-à-dire le Kurdistan situé sur le territoire de la Syrie), qui n’est pas uniquement kurde. Ils se sont alliés aux Kurdes depuis le déclenchement de la guerre, précise Tony Vergili, co-président de l’Union syriaque européenne (ESU).

Le président états-unien Donald Trump avait pourtant promis à plusieurs reprises qu’il allait protéger les chrétiens syriaques au nord de la Syrie et le système fédéral démocratique de Syrie du Nord, qui réunit dans cette région les chrétiens syriaques, les Kurdes et les Turkmènes. Ils gouvernent ensemble les cantons d’Afrin (qui, entretemps, est tombé sous contrôle de rebelles pro-Turcs), de Kobané et de la Djézireh, au nord-est du pays.

Tony Vergili explique à l’agence d’information catholique belge Cathobel que les chrétiens de la région ont des raisons de craindre la Turquie. «Nous connaissons notre histoire», explique le porte-parole des chrétiens syriaques. «L’Etat turc n’est pas seulement celui des génocides arménien, assyrien et pontique de la fin de la Première Guerre mondiale, mais aussi celui de maintes persécutions depuis lors. Il n’y d’ailleurs plus que vingt mille chrétiens en Turquie…» (cath.ch/cathobel/asianews/imedia/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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