Le christianisme au Japon: une histoire d'espoir et de sang (1/2)

Le pape François effectuera son 32e voyage apostolique du 19 au 26 novembre 2019, en Thaïlande et au Japon. Dans ce dernier pays, l’implantation du christianisme a été particulièrement mouvementée et difficile. Retour sur les grandes lignes de cette histoire qui navigue entre espérance et désillusion.

Le 15 août 1549, le jésuite espagnol François Xavier aborde les côtes de l’île de Kyushu, la plus méridionale de l’archipel du Japon. Peu après son arrivée, il est accueilli par le Seigneur local, Shimazu. Selon la légende, ce dernier se prosterne immédiatement, lorsque le missionnaire lui présente une image de la Vierge.

Cette rencontre marque le commencement d’une épopée historique où il s’agit de «démêler un réseau complexe d’ambiguïtés, de malentendus et de relations de pouvoir», note Jean-Pierre Duteil, professeur d’histoire à l’Université de Paris VIII, dans son essai Le christianisme au Japon, des origines à Meiji.

Des débuts prometteurs

L’histoire des chrétiens au Pays du soleil levant est indissociable des relations de ce pays avec l’étranger, l’Occident au premier chef. Comment s’enrichir des apports extérieurs sans mettre à mal son identité propre? Tel a été l’un des principaux dilemmes des Japonais dans leur rencontre avec l’Europe et la chrétienté.

Le christianisme a ainsi traversé deux périodes distinctes dans l’archipel. On parle d’un «avant» et d’un «après» l’ère Meiji (1868-1912), qui représente la fin de l’isolement volontaire du Japon et le début d’une politique de modernisation du pays.

Au milieu du 16e siècle, les Japonais ne connaissent pratiquement rien de l’Europe et de sa religion dominante. Malgré cela, les premiers contacts sont plutôt bons, alors que François Xavier est autorisé à prêcher librement et convertit de nombreux habitants, dont des moines bouddhistes. «Des méthodes d’apostolat qui lui ont permis de poser les bases de l’évangélisation du Japon», note Jean-Pierre Duteil.

L’arrivée de François Xavier au Japon

Le missionnaire espagnol décède finalement en 1552, dans sa tentative d’évangéliser la Chine. Durant les décennies qui suivent son départ, les communautés chrétiennes se développent lentement, mais sans heurts très importants. En 1570, les jésuites gagnent Nagasaki, qui deviendra la «capitale» du catholicisme au japon. Ils y transforment même un temple bouddhiste en église. Ces années sont marquées par la conversion de hauts dirigeants locaux.

Dans les années 1580, deux séminaires voient le jour sur l’île de Kyushu, des premiers prêtres japonais sont ordonnés et le pape Sixte V érige le premier diocèse de Funai. En 1585, 12’000 baptêmes sont célébrés dans la seule seigneurie de Bungo, à Kyushu.

Le rosaire et l’arquebuse

Des débuts qui peuvent sembler modestes, face aux 30 millions d’habitants que compte l’archipel à l’époque, mais «qui le sont relativement beaucoup moins que dans d’autres parties de l’Extrême-Orient comme le Siam, le Cambodge ou même l’Inde», souligne Jean-Pierre Duteil.

Le fait est que les jésuites intéressent les seigneurs féodaux japonais pour plusieurs raisons, pas uniquement spirituelles. Il sont conscients que le fait de soutenir le christianisme leur permet d’attirer les «grands navires» portugais, avec lesquels ils peuvent commercer et notamment acquérir des arquebuses, les armes les plus efficaces de cette époque. L’appui des religieux catholiques peut également faire contrepoids aux grands monastères bouddhistes qui font de l’ombre au pouvoir des seigneurs.

Les chrétiens crucifiés

Ce clergé bouddhiste voit ainsi d’un très mauvais œil le développement de cette religion concurrente. Des moines se mettent donc rapidement à la manœuvre pour freiner l’expansion chrétienne.

C’est ainsi qu’en 1587, le seigneur dominant, Toyotomi Hideyoshi, promulgue un décret de bannissement des missionnaires. Une décision probablement prise sous l’influence du bonze Seiyakuin Hoin, qui aurait accusé des chrétiens d’avoir détruit des autels shintôs et des temples bouddhistes et les Portugais de se livrer au trafic d’esclaves. Il semble également que Hideyoshi ait eu peur du développement de l’influence européenne par le biais des missionnaires et des généraux japonais convertis au christianisme. Dans ce sillage, les premières exécutions de chrétiens ont lieu à Nagasaki.

«Durant les 16e, 17e et 18e siècles, «occidentalisation» et «christianisation» allaient de pair»

Les jésuites bannis, les franciscains tentent, à partir de 1595, de reprendre le flambeau de l’évangélisation de l’archipel. Le gouvernement japonais le prend comme une provocation. Le Daimyo (seigneur féodal) Hideyoshi fait crucifier six missionnaires franciscains, avec 20 autres chrétiens, les fameux «martyrs de Nagasaki».

Le Grand martyre

La mort de Hideyoshi, en 1598, met provisoirement fin aux persécutions. S’en suit une période de relative tolérance et d’expansion du christianisme. A Nagasaki, la cathédrale de l’Assomption est achevée en 1602. En 1607, le Japon compte 140 jésuites. Sept prêtres japonais sont ordonnés entre 1604 et 1614. En 1608, le pape Paul V accepte que tous les ordres missionnaires puissent entrer au Japon.

Un regain qui renforce à nouveau l’hostilité contre les chrétiens de la part des autres religions déjà implantées dans le pays. Outre les bouddhistes, les néo-confucianistes reprochent aux missionnaires d’avoir abandonné leurs familles et d’encourager au célibat.

En 1614, le Shogun Tokugawa Hidetada produit un édit «de persécution» des chrétiens. Un document «qui n’a d’autre but que la suppression pure et simple du catholicisme», jugé incompatible avec les traditions japonaises, explique Jean-Pierre Duteil. Les daimyos locaux doivent renvoyer tous les missionnaires vers Nagasaki et, de là, vers Macao, en Chine. Les chrétiens japonais doivent abjurer et retourner aux religions nationales.

Les 26 martyrs de Nagasaki (gravure 1628)

Mais de nombreux missionnaires et fidèles refusent de se soumettre et entrent dans la clandestinité. La persécution des chrétiens devient de plus en plus intense et cruelle. Les églises sont détruites, les chrétiens décapités ou crucifiés. Le 10 septembre 1622, a lieu «le Grand martyre de Nagasaki», dans lequel deux jésuites, deux franciscains et 33 fidèles sont cloués en croix. Diverses représentations de cet épisode feront le tour de la chrétienté. (cath.ch/arch/rz)

Retrouvez la seconde partie de cet article sur notre site, le 20 novembre 2019!

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/le-christianisme-au-japon-une-histoire-despoir-et-de-sang/