Le christianisme au Japon: une histoire d'espoir et de sang (2/2)

Le pape François effectuera son 32e voyage apostolique du 19 au 26 novembre 2019, en Thaïlande et au Japon. Dans ce dernier pays, l’implantation du christianisme a été particulièrement mouvementée et difficile. Retour sur les grandes lignes de cette histoire qui navigue entre espérance et désillusion.

Résumé de l’épisode (1/2): Le jésuite espagnol François Xavier a été le premier missionnaire à apporter le christianisme au Japon, en 1549. Cette nouvelle religion y connaît un encourageant essor durant les quarante premières années. Si beaucoup de Japonais se convertissent par conviction, d’autres comprennent bien l’intérêt économique et militaires de se concilier les puissances occidentales. Mais les religions traditionnelles du Japon voient cette concurrence d’un très mauvais œil, et les forces nationalistes craignent une «colonisation feutrée» des Européens. Les chrétiens subissent ainsi plusieurs vagues de persécutions, dont la plus violente commence en 1614. En 1622, a notamment lieu «le Grand martyre de Nagasaki», dans lequel deux jésuites, deux franciscains et 33 fidèles sont cloués en croix.

Même si le «Grand martyre de Nagasaki» a pu apparaître comme un paroxysme de la répression anti-chrétienne, il ne marque que le début d’une longue période de souffrance pour les chrétiens du pays.

A partir de 1623, Hidetada passe le pouvoir à son fils Iemitsu. Ce dernier ferme le pays de manière presque complète et soumet les chrétiens à une répression impitoyable. Dans les années qui suivent, des massacres massifs se produisent. 37’000 personnes, en majorité chrétiennes, sont tuées lors de la rébellion de Shimabara, au sud de l’île de Kyushu.

Une police secrète est créée en 1640 pour traquer les chrétiens. Des cérémonies sont mises en place dans le pays, où les participants doivent cracher sur un crucifix ou piétiner une représentation de la Vierge ou du Christ.

Après un certain nombre d’années, ne subsistent dans l’archipel que de petites poches de chrétiens, pratiquant leur foi dans la clandestinité et la peur perpétuelle de la dénonciation. Ces populations étaient appelées les «kakure kirishitan», les «chrétiens cachés».

Mais durant cette période de fermeture totale, où même les écrits scientifiques occidentaux sont interdits, la culture japonaise subit un profond appauvrissement. Les intellectuels s’inquiètent de plus en plus du retard sur d’autres pays, tels que la Chine, également au niveau technologique et économique.

Ouverture «forcée»

Dans les siècles suivants, malgré des assouplissements, le Japon restera un pays extrêmement fermé. A partir des années 1720, la situation économique commence sérieusement à se dégrader, avec l’apparition d’une profonde misère et de famines dans la population paysanne. Au début du 19e siècle, de nombreux chefs de clans demandent la fin du cloisonnement du pays mis en place par la dynastie Tokugawa. Un mouvement d’ouverture soutenu par les puissances occidentales.

En 1856, les Etats-Unis obtiennent la signature d’une série de traités ouvrant progressivement le Japon aux relations politiques, culturelles et commerciales. Ils impliquent l’autorisation pour les Japonais de professer le christianisme et aux étrangers de vivre sur le territoire. Une liberté qui ne sera effective qu’après une campagne xénophobe entre 1859 et 1862. Elle provoquera des représailles militaires des Occidentaux. L’impuissance manifeste du pouvoir japonais face aux marines anglaise et américaine amène, en 1867, le dernier shogun Tokugawa Yoshinobu à remettre tous ses pouvoirs à Mutsu Hito, l’empereur Meiji.

Le christianisme a resurgi au 19e siècle au Japon, après deux siècles de répression (Eglise de Mizunoura, dans les îles Goto. Photo:Waka/Flickr/CC BY-NC-ND 2.0)

A cette époque, environ 30’000 «chrétiens cachés», dont les ancêtres avaient réussi à se dissimuler et à transmettre leur religion, sortent au grand jour. Certains de leurs descendants constituent encore aujourd’hui une partie de la communauté catholique du Japon.

Les Français à la relève

Durant les 16e, 17e et 18e siècles, «occidentalisation» et «christianisation» allaient de pair. La nouvelle ouverture de l’archipel se fait cependant sur un mode différent. «Au 19e siècle, il s’agit de s’approprier un des aspects de la culture occidentale, la technologie, souligne Eglises d’Asie, l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP), dans un article de 2010. Dans cette dernière rencontre, la religion chrétienne, source essentielle de la civilisation occidentale, est complètement laissée de côté». L’évangélisation du Japon ne se fait donc plus sous l’égide des grandes puissances européennes.

Du milieu du 19e siècle au milieu du 20e, les missionnaires français des MEP prennent la relève des jésuites et des franciscains. Ils fondent plusieurs vicariats apostoliques. Des prêtres des MEP s’établissent à Nagasaki, où le missionnaire Bernard Petitjean construit la basilique des Vingt-Six Saints Martyrs du Japon en 1863.

Petite minorité chrétienne

La Deuxième guerre mondiale est une autre période très dure pour les chrétiens du Japon. Suite notamment au largage de la bombe américaine «Fatman» sur Nagasaki, le 6 août 1945. La moitié de la communauté catholique de la «capitale chrétienne» du Japon (14’000 fidèles) est tuée sur le coup ­ avec 60’000 autres personnes. La cathédrale de l’Immaculée Conception, la plus grande de l’Asie du Nord-Est, est complètement détruite dans l’explosion, alors que des paroissiens sont en train d’y prier.

Malgré cela, la population chrétienne subsiste et continue à se développer dans les décennies suivantes, notamment sur l’île de Kyushu et dans la mégalopole de Tokyo.

Les principaux lieux chrétiens se trouvent aujourd’hui encore sur Kyushu. Mais d’importants sites catholiques existent aussi plus au nord. L’île principale de Honshu abrite notamment le sanctuaire de l’une des seize apparitions mariales reconnues par l’Eglise catholique dans le monde, à Akita. La religieuse japonaise Agnès Sasagawa Katsuko y a reçu, en 1973, trois messages de la Vierge. L’endroit est devenu un important lieu de pèlerinage. Sur Hokkaido, l’île la plus au nord, est situé le couvent de trappistines d’Hakodate, fondé en 1898 par huit religieuses françaises. Un lieu connu et apprécié des Japonais.

Cinq siècles après l’arrivée des missionnaires, plus de 440’000 catholiques vivent au Japon, selon les chiffres officiels. Ils seraient en fait deux fois plus nombreux, selon Eglises d’Asie, du fait que beaucoup d’entre eux ne sont pas enregistrés dans les paroisses. Ils représentent 0,3% des 127 millions d’habitants. Plus de la moitié d’entre eux sont issus de l’immigration, principalement des Philippines. Un certain nombre sont aussi des descendants de Japonais ayant émigré en Amérique latine, où leurs ancêtres se sont convertis au catholicisme, avant de revenir au Japon.

Le Pays du soleil levant abrite également quelque 500’000 protestants de diverses dénominations, ainsi qu’environ 10’000 orthodoxes. (cath.ch/arch/rz)

Raphaël Zbinden

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