Doris Wagner: «Abus sexuels et abus spirituels marchent ensemble»

Ueli Abt kath.ch / traduction adaptation Maurice Page

L’abus sexuel dans un cadre religieux marche pratiquement toujours main dans la main avec l’abus spirituel, estime l’ancienne religieuse Doris Wagner. L’auteure allemande était l’invitée, le 18 novembre 2019, à Zurich, de la réunion annuelle des commissions diocésaines suisses d’experts sur les abus sexuel dans le contexte ecclésial.

L’abus spirituel est une violation de l’autodétermination, explique Doris Wagner, elle-même victime au sein de la communauté «Das Werk». Toute personne a le droit de déterminer sa propre vie spirituelle. Chaque être humain doit pouvoir la mener librement. Entre autres choses, il doit déterminer pour lui-même «comment il interprète sa vie, si, quoi, quand et comment il prie, si et quelle religion il pratique, à quels services religieux il participe».

Une personne doit pouvoir déterminer par elle-même dans quelles histoires elle veut inscrire sa propre vie et avec quels modèles elle peut s’identifier. Personne n’a le droit de la forcer à faire quoi que ce soit au sujet de sa vie spirituelle. Aussi subtile la pression soit-elle. 

Trois niveaux d’abus spirituel

Doris Wagner a identifié trois formes principales d’abus spirituel, qui se suivent étape par étape. Au début, il y a la négligence spirituelle. L’auteur cite l’exemple d’une femme qui, après une fausse couche au cours de la huitième semaine de grossesse, demande un rite à un agent pastoral. Celui-ci refuse de le faire, considérant ainsi la perte de l’enfant comme insignifiante.

La manipulation est souvent l’étape suivante. Elle se produit lorsque les gens veulent à tout prix que d’autres se joignent à un mouvement. Pour cela ils flattent, mentent, poussent, et font pression.

La troisième étape est celle de la violence. Pour Doris Wagner c’est le cas lorsqu’une personne est consciente qu’elle ne veut pas d’une telle spiritualité, mais qu’elle ne peut s’en défendre. Par exemple des religieuses qui ne peuvent pas quitter une communauté en raison de leur dépendance financière.

Personne ne peut forcer quelqu’un à se confesser à lui

Pour garantir l’autodétermination spirituelle des fidèles, l’Eglise doit changer fondamentalement, comme l’auteure allemande l’a expliqué à kath.ch en marge de la conférence.

«Dans certains endroits, il est déjà possible de façonner sa vie spirituelle de manière autonome, mais je crains que ce ne soit plutôt l’exception.» Les deux logiques coexistent dans l’Eglise: d’une part, l’autodétermination spirituelle résulte déjà de l’Évangile. Elle se reflète aussi dans le droit canonique. Par exemple, il n’y a aucune obligation de se confesser, et personne ne peut forcer quelqu’un à se confesser à lui.

La logique autoritaire, en revanche, suppose qu’il n’y a pas de droit à l’autodétermination. Selon cette logique, il n’y a aucun moyen de contourner le curé de la paroisse. S’il fait bien son travail et qu’il est attentif aux personnes, tout va bien. Sinon, les gens vont sombrer et n’auront pas la possibilité de mener leur propre vie spirituelle d’une manière autodéterminée, à moins qu’ils ne changent de paroisse. Tant que cette structure subsiste, c’est toujours une question de chance qu’ils puissent se décider librement ou non.

L’abus spirituel peut être partout

L’abus spirituel peut être partout. Mais dans les communautés religieuses, cela peut vraiment devenir un piège, parce que toute la vie d’une personne s’y déroule. Dans ces communautés, la manipulation se fait souvent consciemment et les personnes sont isolées et rendues dépendantes, estime Doris Wagner. Il est très difficile d’en sortir. D’un autre côté, si une communauté est marquée par une certaine spiritualité qui ne correspond pas à quelqu’un, cela a des conséquences beaucoup plus graves.

Pour Doris Wagner, l’abus spirituel n’est pas un problème spécifique de l’Église catholique. Il se produit partout, même au-delà des communautés spirituelles. La plupart des gens donnent un sens à leur vie, ont des rituels et des modèles. Partout où ces modèles sont manipulés pour rendre les gens moins libres, il y a abus.

Le pouvoir du clergé

D’un autre côté, c’est un problème catholique particulier dans la mesure où la vie spirituelle y est très fortement liée au clergé et au don des sacrements. Seul le clergé possède l’autorité. Son pouvoir est à peine contrôlé. Il est peu transparent, organisé de haut en bas. Les fidèles deviennent donc plus facilement dépendants du clergé. Les prêtres qui administrent les sacrements peuvent facilement devenir les auteurs d’abus.

Le plus important est que l’autodétermination spirituelle soit reconnue comme la norme de base. Ce n’est pas le cas pour le moment. L’abus spirituel doit cesser. Partout où il y a eu des incidents, comme des abus sexuels, les auteurs doivent être tenus pour responsables conclut Doris Wagner. (cath.ch/kath.ch/ua/mp)

Doris Wagner
Ancienne membre de la communauté «Das Werk», Doris Wagner (aujourd’hui Reisinger) y a subi des abus spirituels et sexuels de la part de prêtres. Après avoir quitté l’œuvre, elle a livré son témoignage dans de nombreux médias ainsi que dans des livres. Elle est régulièrement invitée à en parler.    

Maurice Page

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