Bible et stérilité: d'autres façons de donner et promouvoir la vie

Pour la bibliste Monique Dorsaz, la stérilité est une épreuve face à l’appel biblique à «fructifier et à se multiplier». Si le récit des femmes stériles, à qui Dieu accorde un fils, souligne le miracle de la vie et le don de Dieu, enfanter n’est pas la seule façon de donner et promouvoir la vie.

Carole Pirker

La maternité est-elle une condition fondamentale du statut de la femme?
Si la question de la maternité est cruciale, le terme «mère» ne désigne pas seulement celle qui a enfanté. La juge Déborah, par exemple, est désignée comme «mère en Israël» (Jg 5,7) alors qu’on ne lui attribue aucun enfant. Dans un sens biblique, le terme «mère» est donc plus large et invite à d’autres façons de donner et de promouvoir la vie. C’est fondamental pour toute femme.

L’homme semble ne jamais être considéré comme étant la cause de l’infertilité…
Ce n’est pas le cas! La Bible évoque «la stérilité masculine» dans un texte du Deutéronome: «Il n’y aura chez toi pas d’homme stérile, ni de femme stérile» (Dt 7,14). C’est dire qu’à une époque ancienne, on avait peut-être des préjugés machistes, mais on n’ignorait pas qu’un homme pouvait avoir des problèmes de stérilité.

Monique Dorsaz | © B. Hallet

Comment la stérilité est-elle considérée et vécue dans la Bible?
Face au besoin de poursuivre la lignée et d’être reconnues comme femmes, l’incapacité à enfanter est vécue comme une véritable épreuve. Socialement, elle est aussi l’objet de mépris, d’opprobre et de souffrance. «Donne-moi des fils ou je meurs» (Gn 30,1), exhorte Rachel à l’encontre de son mari Jacob. Anne, elle, se laisse aller au chagrin, pleure et refuse de manger (1 S 1, 7). Les sentiments qui lui sont liés vont de la jalousie face aux autres femmes qui enfantent (Gn 30,1), à la honte (Gn 30,23 ; Lc 1,25).

Y a-t-il à cet égard une différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament?
Oui, le Nouveau Testament n’est plus focalisé sur la procréation. Il valorise davantage une fécondité plus large, tel un arbre qui porte de bons fruits, avec l’idée de faire fructifier la vie en nous et autours de nous (Lc 6, 44).

La stérilité est le lot commun de figures féminines importantes. Comment le comprendre?
C’est vrai qu’il y a une tension entre l’invitation à «fructifier et à se multiplier» et la difficulté d’enfanter. Stérile, Sarah doit attendre d’être âgée de plus de quatre-vingt-dix ans pour donner un fils à Abraham. Rachel, quant à elle, est jalouse de sa sœur Léa à la fécondité insolente. Anne, la future mère du prophète Samuel, est aussi dans ce cas. Leur récit renvoie à un thème récurrent de la Bible, un fils accordé par Dieu à une femme stérile.

Que nous racontent aujourd’hui ces naissances tant attendues?
Elles soulignent l’improbabilité, le miracle de la vie. Cette attente prolongée nous fait deviner qu’il va s’agir d’un enfant à la destinée exceptionnelle. C’est le cas d’Isaac, Jacob et Esaü, Joseph, Samuel, Samson puis Jean-Baptiste. Si la longue attente avive la «prise de conscience» que cet enfant est un don de Dieu, ces cas particuliers soulignent que toute naissance est extra-ordinaire. Elle est, cela dit, un don, et non un «dû» ou une possession, Anne en a clairement conscience. Elle qui n’avait vécu que dans le désir d’avoir un enfant, le «cèdera» à Dieu (1 S 1,27-28). C’est en présentant son enfant au temple, qu’Anne prononcera d’ailleurs l’un des plus beaux cantiques de la Bible.

À quelles solutions ces femmes infertiles recourent-elles?
Il y a la solution pragmatique : tout comme Sarah, Rachel et Léa envisagent une maternité de substitution en invitant leur mari à aller vers la servante (Gn 16,2 ;30,3.9). Une autre option est «la médecine naturelle»: Rachel et Léa se transmettent des «pommes d’amour», aux vertus soit aphrodisiaques, soit curatives contre la stérilité (Gn 30,14-17). Il y a aussi la solution croyante: Anne prie au temple et demande un enfant à Dieu.

Stérile, Anne s’est rendue au temple pour demander à Dieu un enfant (haut). Elle donna naissance à un fils (bas). William de Brailes, vers 1250, encre et pigment sur parchemin | Domaine public

Les hommes aussi cherchent des solutions à l’infertilité…
Abraham pense d’abord à l’adoption, avant d’obéir à sa femme. Isaac intercède auprès du Seigneur (Gn 25,21). Quant au mari d’Anne, Elqana, il fait aussi un vœu (1 S 1,11.21).

«Mères de substitution», nous ne sommes pas loin de la gestation pour autrui …
Oui, il y a des ressemblances et aussi des différences. Les nouvelles techniques de procréation nous replacent face aux questions déjà présentes dans la Bible: que peut-on faire en respectant l’identité de chacun. La Bible ne donne pas de recette toute faite à ces questions actuelles. Elle prend en revanche soin de ne pas brouiller les identités. Elle ne dit par exemple jamais qu’Ismaël, fils d’Abraham et de la servante Agar, serait le fils de Sarah. C’est un élément important par rapport au droit de l’enfant de connaître ses géniteurs.

La conception virginale et de la naissance de Jésus est le point culminant d’une série biblique de guérisons de stérilités par miracle. Comment l’appréhender?
Le fait qu’un enfant soit conçu trop tard ou trop tôt – ce qui le cas de Marie – est une sorte de signature de Dieu. La virginité de Marie est «signe» claire de son intervention. La prophétie d’Isaïe a aussi été lue ainsi: on attendait un tel signe sortant de l’ordinaire.

Quel message la Bible offre-t-elle aux couples stériles?
Elle donne des compagnons de route à ceux qui ont mené le parcours du combattant contre la stérilité. Elle invite surtout à voir plus large. Il est réducteur de ne penser la fructification que par rapport aux enfants. Il existe tant de façons de devenir un arbre qui porte de bons fruits (Ps 1,3), ou de porter les fruits de l’Esprit (Ga 5,22).

Comment la nativité peut-elle être reçue par eux?
Comme une très bonne nouvelle pour tous. Personne n’est le maître absolu de sa fertilité. Il y a cependant un appel adressé à tous à nous laisser engendrer d’en-haut. Chaque temps de l’Avent et de Noël est une occasion de lui demander comment il veut prendre chair en moi, s’incarner aujourd’hui parmi nous. (cath.ch/cp)

Rédaction

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