Témoignage de Hayat El Mountacir après le massacre du Vercors

APIC – Interview

La société pose des auréoles sur la tête des gourous (271295)

Par Pierre Rottet, de l’Agence APIC

La société pose des auréoles sur la tête des gourous, estime Hayat El Mountacir, chargé d’études à l’Union nationale des Associations de défenc des

familles et de l’individu (UNADFI), à Paris. Cette marocaine d’origine,

âgée de 41 ans, auteur du récent livre « Les enfants des sectes », s’étonne

du laxisme des autorités après les multiples drame dont les sectes sont à

l’origine.

Que faudra-t-il au législateur pour qu’il se dote d’une arme efficace

contre les sectes. Il n’existe même pas de définition juridique du mot secte, s’insurge Hayat Et Mountacir, après le nouveau massacre de la secte du

Temple solaire, dans le Vercors.

L’auteur de « Les enfants des sectes », un ouvrage paru en 1995 qui lève

le voile sur ce que vivent les enfants des secte, n’hésite pas: le laxisme

après les drames de Salvan et Cheiry est d’autant plus grave que trois autres gosses, de 2, 4 et 6 ans ont payé de leur vie l’endoctrinement de

leurs parents.

Dans toute les législations nationales, il existe une loi qui protège

les mineurs… Et nous sommes impuissants à les protéger dès lors qu’il

s’agit d’une secte. « Le juge d’instruction français Christian Blaes parle

maintenant de l’OTS comme d’une association criminelle. Quant au procureur

de Grenoble, il soutient qu’il ne s’agit pas d’un suicide collectif mais

d’un assassinat collectif. Ces constations n’auraient-elles pu être faites

14 mois auparavant? Je comprends d’autant moins que les deux policiers impliqués dans le premier drame ont été entendus puis relâchés. Ils sont demeurés en activité. Avec leurs armes », constate la chargé d’étude à l’UNADFI.

On ne peut pas, poursuit Hayat El Mountacir, au nom de la liberté des

parents – les deux enfants de l’un des policiers figurent au nombre des

victimes – laisser faire. Ce qui est arrivé était prévisible. Il était donc

clair qu’il fallait prendre des mesures de protection vis-à-vis d’enfants

dont les parents membres de la secte avaient survécu une première fois…

avec regret.

Le devoir d’ingérence

Trois ans de travail méticuleux, de témoignages de victimes, de parents

et grands-parents, de compilation de milliers de documents en provenance

des sources mêmes, soit des sectes, ont permis à l’auteur de « Les enfants

des sectes » de se faire une idée précise du danger des sectes violentes,

qui attentent à la dignité de l’enfant. En ayant parfois recours au viol et

souvent aux sévices corporels.

« J’ai relu encore ces jours les documents internes à l’OTS. Où l’on y

explique comment endoctriner les gens. Des personnes endoctrinées, fanatisées ne pouvaient pas, du jour au lendemain, sous prétexte que les responsables seraient morts il y a 14 mois, oublier tout ce qu’elles ont appris à

l’intérieur de la secte. On aurait dû prévoir que ces gens n’avaient qu’une

envie, celle d’aller rejoindre les membres du premier groupe ».

Dans son livre paru chez « Fayard », qui décortique les pratiques et les

endoctrinements, chers à la Scientologie, à la secte Moon, aux témoins de

Jéhovah, aux disciples de Raël ou aux dévots de Krishna, l’auteure démonte

le mécanisme des sectes, leur rôle néfaste sur la famille et sur l’enfant,

véritablement jetés dans les griffes de gourous à l’ego surdimensionné,

toujours prêts à exploiter les désarrois ici et là. A donner « clé en main »

la solution du bonheur. En février dernier, au cours d’un entretien accordé

à l’APIC, elle dénonçait. Et s’interrogeait… sur le laxisme des autorités

en la matière. Plus que jamais, confiait-elle, il nous faut recourir au

« devoir d’ingérence », dès lors que la liberté et l’intégrité de la personne

sont en jeu.

Rien appris du passé

Autre constat de laxisme, aux yeux de Hayat El Mountacir: la décision de

la Cour administrative de Berlin, qui vient de reconnaître le statut de religion aux témoins de Jéhovah. « Alors que cette secte, contestée, pose problèmes à travers le monde, l’organisation touchera à l’avenir les impôts

que l’Etat prélèvera à son profit ». Sans parler de la venue du « révérend »

Moon en France, en novembre, pour y donner une conférence. L’Angleterre et

l’Allemagne lui ont refusé le visa, arguant que trop de familles sont touchées par les effets négatifs de la secte. « Je crains un manque de prise de

conscience des autorités après les drames qui se sont succédé de 1978 à

Saint-Pierre de Cherennes, en passant par le métro de Tokyo. La secte Aoun

n’est toujours pas interdite au Japon. Le parlement l’a demandé. Mais la

mesure n’est pas encore prise ».

Difficile à imaginer, admet Hayat El Mountacir. Qui ne comprend pas que

le gourou de la secte de Castellane, dans le midi de la France, accusé de

viols par une jeune ex-adepte, ait pu être relâché après le versement d’une

très forte caution. « Plusieurs jeunes filles ont également porté plainte

contre lui… et pourtant. Des enfants se rendent au monastère chaque weekend. Les Chevaliers du lotus d’or y vivent retranchés. Une cinquantaine

d’enfants – dont de très jeunes – suivent une « formation ». Alors que l’on

devrait interdire l’accès des gosses au monastère. Libre aux parents de s’y

rendre. Compte tenu des plaintes pour viols encore pendantes, qu’on protège

au moins les mineurs. Il s’agirait de mesures préventives… en attendant

le jugement. Ce laxisme, ces non-mesures ne font que renforcer les adeptes

dans leur conviction que le gourou est un être à part. On aurait voulu lui

déposer une auréole sur la tête qu’on n’aurait pas fait mieux ». (apic/pr)

ENCADRE

L’urgence de d’en parler…

Pourquoi ce livre, paru en début d’année? Il était urgent de révéler la

lente destruction physique, psychologique et morale à laquelle les conduit

inéluctablement leur présence dans de nombreux groupes sectaires. Derrière

les masques des sectes, des innocents sont lentement broyés au nom du tribut à payer pour le triomphe de quelques gourous psychopathes.

APIC: En quoi se traduisent les violations des droits de l’enfant, dont

les exemples abondent dans votre livre?

H. El Mountacir: Par des atteintes affectives, intellectuelles et physiques. Dans certaines sectes, les relations affectives avec les parents biologiques sont réduites au miminum. Chez les dévots de Krishna, les enfants

sont envoyés en Ashram, en Italie, par exemple, ou en Inde, séparés des parents. C’est notamment le cas d’enfants suisses. Il faut savoir que nombre

d’enfants sont ainsi déscolarisés pour les besoins de l’endoctrinement des

sectes. La secte Sahaja Yoga envoie dès l’âge de 6 ans les gosses en Inde.

Lorsqu’ils se rebellent à l’adolescence, les jeunes sont confiés à d’autres

adultes de la communauté. Dans la secte Moon, les enfants sont séparés des

parents, pour les « protéger d’un monde impur ».

En Scientologie, les enfants fréquentent en principe l’école publique ou

privée. Même si souvent, on les envoie à l’ »Ecole de l’éveil ». Mais ils

suivent des cours de scientologie après la classe et sont progressivement

préparés à intégrer le langage et les enseignements de la secte. A Clearwater, aux Etats-Unis, les enfants sont scolarisés dans l’école du groupe.

Une jeune fille de 11 ans témoigne sur le travail à fournir: du lundi au

vendredi, dès la classe terminée jusqu’à 22h30, le samedi de 12 heures à

22h30 une semaine sur deux, le dimanche de 8 heures du matin à 22h30. On le

constate, les sectes profitent parfois des dispositions juridiques permettant la déscolarisation pour marginaliser les enfants. Quant à Raël, il

propose de faire passer des tests aux enfants à 5 ans à la maternelle et à

12 ans à l’entrée en secondaire, afin d’en extraire les génies en herbe et

les surdoués. La méditation sensuelle est l’un des axes centraux de la doctrine raëlienne.

APIC: C’est la démission des parents. Et même de la société…

H. El Mountacir: Oui. Dans les sectes, l’intégrité physique de l’enfant,

à des degrés divers, n’est pas respectée. Cela va de la maltraitance physique au refus du droit à la santé – c’est notamment le cas chez les Témoins

de Jéhovah -, en passant par l’exploitation sexuelle. A la Citadelle, les

enfants sont battus pour en « chasser les démons ». Cet acte est accompagné

par la lecture de versets. Tout aussi significatif est le cas d’Ecovie qui

allie pour ses adeptes la malnutrition à de mauvaises conditions d’hygiène

provoquant des maladies infectieuses. Dans les sectes, le gourou codifie la

violence faite aux enfants et induit le comportement de la famille qui

obéit à ses directives. A travers les actes violents dirigés contre les

gosses, le gourou contrôle l’émotion des parents. Ceux-ci ne se révoltent

pas. Même, ils y participent pour prouver leur adhésion passive et totale à

la secte.

APIC: Vous évoquez des violences… allant jusqu’au viol parfois…

H. El Mountacir: Chez les raëliens, le châtiment corporel est souhaité

depuis le plus jeune âge, sous prétexte de respecter la tranquillité des

adultes. Plus grave, le mouvement, qui milite pour la liberté sexuelle des

enfants, ne fait pas la nuance entre adultes et parents… Et les relations

équivoques entre parents et enfants sont entretenues.

APIC: La croissance des sectes dans le monde occidental est une réalité.

Quel but poursuivent-elles, avec quels discours?

H. El Mountacir: Les sectes, avec leur organisation pyramidale, proposent le bonheur « clé en main »… La pratique de l’ésotérisme vise à découvrir le surhomme qui sommeil quelque part en nous. La secte va justement

faire miroiter un peu de miracle. En flattant l’individu, en lui disant au

départ qu’il est le meilleur. En fait, les sectes font leur le questionnement qu’opère l’individu sur lui-même. Elles s’y engouffrent en donnant des

réponses rapides à ses problèmes existentiels. En disant: « Ne réfléchissez

plus: on le fait à votre place ». Les sectes exploitent le désarroi des individus dans la société d’aujourd’hui et jouent sur l’angoisse. Elles ont

trouvé là un créneau très important. Il faut croire et expérimenter, disent-elles. Ce stade de l’expérimentation correspond à notre société rationnelle. Et c’est en cela que les sectes récupèrent le côté rationnel de nos

sociétés, non pas dans une finalité libératrice, mais « manipulatoire ».

APIC: Combien de Guyana, de Waco, de Cheiry et Salvan la société devrat-elle encore vivre avant que les mesures qui s’imposent ne soient prises.

On s’étonne du laxisme des autorisés face aux sectes, puissantes financièrement et politiquement?

H. El Mountacir: Les sectes, c’est vrai, sont puissantes politiquement

et financièrement. Elles ont du reste leurs comptes en banque en Suisse et

au Liechtenstein, notamment. Politiquement, elles arpentent les lieux où se

prennent les décisions… Au Conseil de l’Europe, au Parlement européen,

par exemple. On envoie des dossiers bien ficelés juridiquement, avec l’aide

d’avocats sûrs et bien payés. Il est clair qu’il faut respecter la liberté

de conscience, la liberté religieuse. Mais dans une certaine limite et dans

la mesure où elle ne porte pas atteinte à la dignité humaine. Le problème

n’est pas simple à résoudre. Vu au niveau international, seule la liberté

religieuse est prise en compte. Et cette notion est en passe de prendre le

pas sur les libertés individuelles. Ce qui fait que les agissements attentatoires aux droits de l’homme par les groupes sectaires relèvent du droit

commun. Or pour saisir la justice, il faut une infraction. Mais tout se

passe à l’abri des regards, dans le secret. Et comme les enfants sont « protégés » par les parents… et que ceux-ci sont soumis aux gourous!

Un père avait un jour réussi à soustraire son fils aux dévots de

Krishna. Conseillé par la secte, le fils est reparti la rejoindre. Les parents ont fait procès, qu’ils ont perdu. Le tribunal a invoqué la liberté

d’adhérer à la religion de son choix. En 1993, la Cour européenne de Justice a donné tort à un tribunal autrichien, qui avait confié la garde d’un

enfant au père dans le cadre d’un divorce. Motif: atteinte à la liberté religieuse réclamée par l’épouse adepte des Témoins de Jéhovah. Les exemples

pourraient se multiplier… toujours au détriment de l’enfant. (apic/pierre

rottet)

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