Mgr Erwin Kräutler déplore la vision de l'Amazonie de Jair Bolsonaro

Mgr Erwin Kräutler, évêque émérite du Xingu et personnage clé du récent Synode pour l’Amazonie, s’est confié au média indépendant brésilien Agencia Publica. Réflexions sur une Amazonie en danger et sur une Eglise qui doit répandre la bonne parole écologique.

C’est la première fois que Mgr Erwin Kräutler s’exprime publiquement depuis la fin du Synode pour l’Amazonie. Evêque émérite de l’immense prélature du Xingu (370’000 km2), dans l’Etat du Pará, au cœur de l’Amazonie brésilienne, il en a d’abord été l’évêque pendant 34 ans, sillonnant sans relâche les pistes accidentées, malgré les intempéries et les menaces de mort pour son engagement auprès des plus démunis et des peuples indigènes. Ancien président du Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI) de 1983 à 1991 et aujourd’hui vice-président du Réseau ecclésial Pan amazonien (Repam), «Dom Erwin», comme l’appellent les fidèles, a été une figure importante du Synode pour l’Amazonie qui s’est tenu à Rome, du 6 au 27 octobre dernier.

Octogénaire progressiste

Mgr Kräutler a sans doute été le premier à évoquer la question de l’ordination sacerdotale «d’hommes mariés à la vertu démontrée» (viri probati) en Amazonie. Objectif? «Offrir les sacrements qui accompagnent et sanctionnent la vie chrétienne dans les coins les plus reculés de l’Amazonie». Sujet sensible pour une partie conservatrice de l’Eglise catholique, mais largement plébiscité lors des réunions préparatoires au synode et évoqué dans l’Instrumentum laboris, le document de travail qui en a résulté, son soutien à «l’ordination sacerdotale de personnes aînées, préférablement autochtones, respectées et acceptées par leur communauté, même si elles ont une famille constituée et stable» a fini de donner à cet évêque de 80 ans, né en Autriche, un visage de progressiste.

Opposant au «Beau Monstre»

Localement, Mgr Kräutler reste celui qui a mené un combat acharné, durant plusieurs décennies, contre la construction du méga complexe hydroélectrique du Belo Monte, surnommé le «Belo Monstre» (»le Beau monstre») sur le Rio Xingu, près de la petite ville d’Altamira. Une mobilisation qui n’a pas empêché la réalisation du «chantier du siècle» au Brésil, et dont les conséquences environnementales, économiques, sociales et culturelles sont considérées comme dramatiques par bon nombre d’observateurs. Ce drame s’est d’ailleurs amplifié depuis l’élection de Jair Bolsonaro en janvier dernier à la tête du Brésil, qui a sonné comme le signal de départ d’une déforestation sauvage jamais égalée, entretenue par un sentiment d’impunité de la part des grands propriétaires terriens, mais aussi des forestiers et orpailleurs illégaux, particulièrement actifs dans l’Etat du Pará.

Invité d’emblée par Agencia Publica à porter un regard sur l’état du poumon vert de la planète, l’évêque émérite affirme qu’il existe deux visions de l’Amazonie. «Il y a ceux qui pensent que la région n’est qu’un vaste champs d’exploitation des richesses et rien d’autre», et ceux qui, comme lui, estiment «qu’il s’agit d’un lieu de vie». Pour «Dom Erwin» d’ailleurs, «si la première vision continue à prévaloir, l’Amazonie va disparaître, causant un immense préjudice pour le Brésil et le monde». Les perspectives sont d’ailleurs particulièrement sombres à en juger par les récentes statistiques de la déforestation qui font état de hausses record: +213% d’augmentation en Octobre 2019, par rapport à l’an dernier. 10’000 km2 dévastés entre août 2018 et juillet 2019 (+43%). 74% de hausse rien que sur les terres indigènes.

Droits indigènes menacés

L’ancien président du CIMI a d’ailleurs évoqué le sort d’un peuple indigène isolé (sur)vivant à moins d’une centaine de kilomètres au sud-est du barrage du Belo Monte. «C’est un peuple isolé et, donc, sans contact avec la société non indigène, a-t-il expliqué. Si l’on détruit leur terre, cela revient à détruire ce peuple. Car l’environnement est leur habitat». Et le prélat n’hésite pas au moment de désigner le responsable de la situation. «Aujourd’hui, il existe de la part de la Présidence de la République une campagne anti-indigène qui cherche à remettre en cause les articles 231 et 232 de la Constitution, qui garantissent les droits des peuples natifs. C’est donc un pas en arrière des droits constitutionnels». Et lorsque Dom Erwin est interrogé sur la manière dont Jair Bolsonaro appréhende l’Amazonie, l’évêque répond: «Il ne connaît par l’Amazonie. Dès lors, comment peut-il en avoir une vision? On ne peut pas aimer ce que l’on ne connaît pas».

«Quand je dis ‘vivre’, je parle des peuples qui habitent l’Amazonie, mais aussi de la faune et de la flore, car la vie est la question centrale»

Dans cet entretien, Mgr Kräutler évoque également les travaux menés au cours du Synode. «Le synode a deux objectifs: l’Eglise en Amazonie et de nouveaux chemins pour l’Eglise. Quand nous cherchons de nouveaux chemins, nous disons que les chemins passés ont besoin d’être rénovés, actualisés. La deuxième dimension est l’écologie intégrale, qui n’est pas une vision de l’écologie d’un côté et nous de l’autre, mais de dire que nous faisons partie d’elle et que sans l’environnement nous ne survivrons pas. Il est scientifiquement prouvé que l’Amazonie a un rôle de régulateur du climat de la planète. Donc si elle disparaît, les es conséquences seront néfastes».

Face à l’ampleur du défi,  «Dom Erwin» estime que les projets pour sauver l’Amazonie doivent être gouvernementaux. «Le rôle de l’Eglise est de sensibiliser le peuple et de lui faire prendre conscience des enjeux. Dans la Prélature du Xingu, il y a plus de 800 communautés. Il faut mettre au centre l’écologie intégrale pour que nous puissions vivre et annoncer un monde différent est notre mission. Quand je dis «vivre», je parle des peuples qui habitent l’Amazonie, mais aussi de la faune et de la flore, car la vie est la question centrale. Quand je vois un enfant au bras de sa mère, je me demande quelle sera sa vie dans 30 ans si nous continuons ainsi. Il n’aura pas les conditions pour survivre. Et c’est notre responsabilité».

«Se libérer du pêché écologique»

Mgr Erwin Kräutler a enfin été questionné sur les conflits pour la terre qui ne cessent d’augmenter dans la région. Le problème vient, selon lui, de l’absence d’une politique foncière. «La cupidité pour la terre est tellement importante qu’il n’y a pas de place pour les petits», souligne-t-il. «Depuis que je suis ici, j’ai toujours vu des problèmes liés à la terre. Il y a énormément de terre, mais aussi l’avidité de certains de posséder d’immenses propriétés au détriment de petits agriculteurs et de leurs familles».

«La cupidité pour la terre est tellement importante qu’il n’y a pas de place pour les petits»

Et l’évêque émérite de préciser: «Lorsque nous parlons d’écologie, nous parlons également des pêchés de l’écologie: par exemple les dix commandements parlent de ne pas tuer. Mais ôter les conditions de vie aux peuples et à des familles entières revient à tuer, et cela va à l’encontre des commandements de Dieu».

Le prélat conclue le raisonnement en s’appuyant sur le commandement «tu ne voleras point». «Quand on expulse des personnes qui vivent depuis de très nombreuses années d’un lieu précis, depuis le temps de leur arrière-arrière-arrière grand-père, cela revient à voler les conditions de vie de ces personnes. Tout cela a des conséquences, y compris en terme de morale, et pour l’éthique de la personne. Et l’Eglise a le devoir d’attirer l’attention sur ces problèmes pour que les personnes pensent et se libèrent de ce pêché écologique». (cath.ch/jcg/bh)

Jean-Claude Gérez

Portail catholique suisse

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