Timothy Radcliffe: «Osons l’aventure risquée de la foi»

par Bernard Litzler, de retour de Rome. Images: Grégory Roth

Lors du colloque sur la «Joie de l’Evangile» du pape François, tenu au Vatican fin novembre 2019, le dominicain Timothy Radcliffe, ancien maître de l’Ordre des Frères Prêcheurs, a rappelé la nécessité de laisser l’Esprit saint parler au cœur de l’Eglise, en dialogue avec le monde.

«J’ai redécouvert l’exhortation La Joie de l’Evangile. Et notamment la partie consacrée à l’Esprit saint, confesse Timothy Radcliffe. Renoncer à tout contrôle pour que l’Esprit puisse nous guider, cela va à l’encontre du paradigme technocratique qui veut tout gérer, contrôler, mesurer.»

Le dominicain britannique, avec sa dégaine unique, tunique blanche et ceinture brune retombant sur un pantalon défraîchi, n’a pas l’habitude de tourner sa langue dans la bouche. Et il galvanise les 1300 auditeurs réunis à l’Aula Paul VI du Vatican pour le colloque sur l’exhortation du pape François: «Si vous aimez, vous risquez d’être tué. Mais si vous n’aimez pas, c’est que vous êtes déjà mort…».

Le religieux rejoint les propos du pape François: Il faut donner la priorité aux actions comportant de nouveaux processus dans la société. Car l’Esprit saint est à l’œuvre dans nos vies et il engendre des processus.

«Globalisation de la superficialité»

«Dieu nous aime, tel est le message central». Or, aujourd’hui, les nuances sont estompées, voire abolies, notamment avec les réseaux sociaux. Et la grande menace dans la société contemporaine, c’est celle «de la globalisation de la superficialité». A coups de «J’aime ou J’aime pas» familiers de Facebook, on s’éloigne de ce qui est humain.

Pourtant «le monde a besoin de gestes, comme celui de François d’Assise qui vient jeter ses habits aux pieds de son père pour embrasser la pauvreté», estime le Père Radcliffe. Et «l’Eglise souffre de se parer de trop de mots et manque d’actes». Le «génie des gestes», le religieux le perçoit aussi chez le pape François, qui demande à la foule de le bénir au moment où il apparaît, la première fois, au balcon de Saint-Pierre en 2013.

Ou qui, dans une prison romaine, va laver les pieds de jeunes détenus, au nombre desquels figure une jeune musulmane.«Qui aura le courage du geste? Lesquels pourront toucher nos contemporains?», se demande le Père Radcliffe. «Or Jésus a parlé avec les publicains, avec les prostituées.»

«Une psychologie de la tombe»

Sur le thème de l’évangélisation de la culture, cher au pape François, le Père Timothy se fait incisif: «Nous vivons trop une psychologie de la tombe avec des chrétiens transformés en musée. Mais l’Esprit saint vivifie et anime le monde».

La crainte des jeunes, en notre temps, est de «n’avoir pas commencé à vivre pleinement leur vie». «Nous, nous aimons tellement la vie que nous sommes prêts à la perdre, dit-il en se référant aux moines de Tibhirine, restés en Algérie malgré les menaces de mort en 1996.

Tout le monde n’est pas appelé au sacrifice comme ces moines, mais il existe aussi le «martyre blanc», de devenir un don pour le monde. «Je suis une mission sur cette Terre», indique le religieux en citant le Saint-Père

La tribalisation permanente

Reste à proclamer les vérités de l’Eglise de manière vibrante. Pas évident avec le paradigme technocratique qui remet tout en cause. «Mais il faut aussi avoir l’humilité d’apprendre ce que les autres ont à nous enseigner. Rien d’humain n’est étranger au Christ», fait remarquer le religieux.

Mais, dans une culture globale, la différence fait peur. Or sans différence, il n’y a pas de vie. Danger, la modernité porte en elle «le paradoxe de la tribalisation permanente». Pourtant, «la peur de la différence est étrangère au catholicisme. Car notre ADN nous porte à la différence: il y a quatre Evangiles, plus l’Ancien et le Nouveau Testament, un Sauveur à la fois humain et divin. En nous conformant à l’esprit du temps, on abandonne ce qui fait le cœur du catholicisme».

«Osons nous embarquer dans l’aventure risquée de la foi. Osons proclamer l’amour infini de Dieu. Car le monde en a besoin»: un homme en blanc, dominicain, a pris appui sur les propos d’un autre homme en blanc, le pape jésuite. Décapant. (cath.ch/bl)

Bernard Litzler

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