Sahel: l'arabisation et l'islamisation en marche

Tagespost/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Les pays du Sahel souffrent de plus en plus de la terreur installée par les groupes djihadistes. Un récent rapport de la Conférence épiscopale allemande (DBK) sur la situation des chrétiens et l’état de la liberté religieuse dans la région alerte sur un phénomène croissant d’islamisation et d’arabisation.

La région sahélienne est l’une des plus pauvres du monde. Entre 40 et 50% de la population y a moins de 14 ans. «La région du Sahel est marquée par une situation sécuritaire fragile due au terrorisme, une forte croissance démographique, un faible niveau d’éducation et des services de santé déficients», souligne Mgr Ludwig Schick, archevêque de Bamberg, en Bavière. Le prélat, en sa qualité de président de la Commission «Weltkirche» (Eglise universelle) de la Conférence épiscopale allemande, s’est rendu au Tchad du 11 au 15 juin 2019 pour une visite de solidarité. Avec Mgr Edmond Djitangar, archevêque de N’Djamena, la capitale du Tchad, il a présenté une brochure de 20 pages sur les chrétiens persécutés et opprimés dans la région du Sahel.

33 millions de personnes souffrent de malnutrition sans cette zone, qui s’étend de la Mauritanie au Soudan en passant par le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigeria et le Tchad. «Les gens ont faim et doivent tous les jours se battre pour survivre. C’est plus visible à la campagne qu’en ville», note l’archevêque de Bamberg. Beaucoup de gens quittent la campagne pour la ville dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure – ce qui souvent n’est pas le cas».

Le Tchad face à la terreur de Boko Haram

Au Tchad, chrétiens et musulmans ont vécu ensemble pacifiquement pendant très longtemps, explique Mgr Schick. Dans ce pays, le soufisme, un courant spirituel de l’islam, est prédominant. Mais l’organisation islamiste radicale Boko Haram réalise régulièrement des incursions dans le pays depuis l’ouest pour attaquer la population. Les djihadistes veulent établir un Etat islamique dans la région et exige la soumission des habitants. A partir de la zone de Maiduguri, dans l’Etat nigérian de Borno, la milice terroriste déstabilise, depuis 2009, une grande partie de la région du lac Tchad. Boko Haram a tué 20’000 personnes et enlevé un nombre incalculable d’habitants.

Le groupe terroriste a également provoqué le déplacement d’1,8 million de personnes au Nigeria, au Niger, au Cameroun et au Tchad. A cause de cela, l’agriculture et le commerce transfrontalier sont au point mort. Le Tchad est touché de manière significative: La peur de Boko Haram, à elle seule, a déplacé 130’000 personnes à l’intérieur du pays. Dix mille autres se sont réfugiées sur son territoire depuis les pays voisins. Ces populations sont totalement déracinées et survivent grâce à l’aide humanitaire. La brochure de la DBK note que le Tchad est également touché par le terrorisme d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), une organisation qui agit depuis le Mali voisin.

Le Tchad, qui est le cinquième plus grand pays d’Afrique en superficie, est une ancienne colonie française. L’Eglise catholique y est relativement jeune. En raison de l’immensité du pays et des rivalités entre les puissances coloniales, l’activité missionnaire n’y a commencé qu’en 1929, quand le premier poste missionnaire catholique a été fondé dans le sud du pays. Aujourd’hui, le Tchad compte 250 prêtres catholiques, 530 religieuses et 40 religieux. Les 15 millions de Tchadien se répartissent en 120 groupes ethniques. 58 % d’entre eux sont musulmans et 35% chrétiens, dont 18,5% catholiques.

L’ombre de l’Arabie saoudite

L’Arabie saoudite exerce dans le pays une influence de plus en plus perceptible, relève la brochure de la DBK. Riyad y promeut un islam de type wahhabite, qui colporte une vision radicale de la religion. Cette nouvelle donne a considérablement accru les tensions entre musulmans et chrétiens dans la région, affirme le rapport allemand. «Les chrétiens et les adeptes des religions traditionnelles africaines craignent une arabisation et une islamisation progressives du pays», avertit la brochure. La télévision d’Etat accorde aux programmes islamiques un temps d’antenne important, par exemple pour les concours de récitation du Coran. Pendant le Ramadan, ces programmes remplacent d’autres émissions. Des voix s’élèvent régulièrement pour demander que les programmes quotidiens débutent et se concluent par des versets du Coran.

La situation des droits de l’homme s’est détériorée dans le pays au cours des trois dernières années. Avec de plus en plus d’arrestations illégales et arbitraires, des conditions de détention indignes, des tortures et d’autres formes de traitements cruels, inhumains et dégradants, note la brochure. Les détenus doivent attendre une éternité avant de pouvoir obtenir les verdicts les concernant. Au 31 décembre 2016, 7’596 détenus attendaient officiellement un verdict sur l’ensemble du territoire national.

Promotion du dialogue interreligieux

Dans ce contexte, le centre culturel «Al-Mouna», à N’Djaména, dirigé par Sœur Aida Yazbeck, facilite le dialogue entre les groupes religieux et ethniques. L’institution est soutenue par les œuvres d’entraide catholique allemande Misereor et protestante «Brot für die Welt».

«Le dialogue islamo-chrétien est juste impossible avec certains groupes de l’islam. C’est un fait, commente Mgr Schick. Mais il est tout à fait réalisable avec les autres. Nous nous sommes toujours efforcés de rassembler les groupes pacifiques et prêts au dialogue et de les mettre en relation, de telle sorte que les radicaux soient isolés». Au Tchad, une station de radio catholique promeut ainsi publiquement les droits de l’homme et tente, à travers l’information de la population, de désamorcer les tensions sociales.

«Par rapport à d’autres Etats de la zone sahélienne, le Tchad est celui qui a su le mieux préserver sa tradition de tolérance, avec peut-être le Burkina Faso. Ceci est lié à l’orientation de l’islam traditionnel local», assure Mgr Djitangar. Même si de nouveaux mouvements salafistes suscitent des craintes dans l’Etat tchadien. «Les salafistes visent principalement le système éducatif et le sapent de l’intérieur », affirme le prélat africain.»L’ambassadeur d’Arabie saoudite considère tout à fait officiellement comme sa mission diplomatique d’agir sur le plan religieux. Pour lui, il est de son devoir de pouvoir dire, après la fin de son mandat au Tchad, qu’il y a construit 100 mosquées».

Le prélat tchadien déplore en outre que l’Église catholique ait dû abandonner, par manque de soutien financier, des centres de formation dans les zones rurales. «La création de l’Union européenne a conduit à une rupture de l’ancien partenariat entre l’Eglise au Tchad et les Eglises en Europe, explique Mgr Djitangar. Les exigences formelles de l’UE pour la mise en œuvre de projets pour l’Eglise au Tchad étaient trop élevées. Entre-temps, des efforts ont été réalisés, par le biais de cours de formation en travail administratif et comptabilité, pour créer un modèle positif d’utilisation des fonds.

La brochure sur la liberté religieuse au Sahel a été publiée dans le cadre de l’initiative «Solidarité avec les chrétiens persécutés et opprimés de notre temps», fondée en 2003 par la Conférence épiscopale allemande. Elle a pour but d’attirer l’attention sur la discrimination et la persécution des chrétiens dans différentes parties du monde. La démarche s’accompagne chaque année d’une visite de solidarité d’un évêque allemand sur place et de la réalisation d’un rapport sur la situation locale. (cath.ch/tp/rz)

Raphaël Zbinden

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