De Vatican I à Vatican II, de l’absolutisme romain au pouvoir partagé

Les décisions de Vatican I (1869-1870) sont souvent considérées comme dépassées par Vatican II (1962-1965). Organisation de l’Eglise, relation avec les autres chrétiens, regard sur la société: sur ces trois points, les deux assemblées œcuméniques se distinguent. 150 ans après son ouverture, éclairage sur Vatican I à la lumière de Vatican II.

Le 8 décembre est une date clé pour les deux derniers conciles œcuméniques. En 1869, s’ouvrait officiellement Vatican I; en 1965, Paul VI clôturait Vatican II. Dans des contextes historiques très différents, les deux Conciles du Vatican ont marqué l’histoire moderne de l’Eglise catholique. Chacun à sa façon.

L’expérience et les décisions prises lors du deuxième Concile du Vatican peuvent aider à mieux comprendre les enjeux du premier.

Entre continuité et nouveauté

Inachevé à cause de l’invasion de Rome du 20 octobre 1870, le concile Vatican I demeure le point de départ du concile œcuménique suivant. «Formellement, le concile Vatican II rappelle les vérités papales de Vatican I. Mais on y ajoute beaucoup de choses. Ceci pour corriger, préciser et aller plus loin», affirme le chanoine Claude Ducarroz.

Selon le prévôt émérite de la cathédrale de Fribourg, continuité et rupture caractérisent ces deux conciles. Car Vatican II n’est ni un renversement, ni juste une simple prolongation de Vatican I. En lui-même, l’événement du concile Vatican II présente des traits réformateurs, presque révolutionnaires, par rapport à Vatican I.

En effet, si Vatican I est le point culminant de l’absolutisme et du centralisme romain, Vatican II représente la prise en compte de la responsabilité de l’épiscopat dans la conduite de l’Eglise, au titre de la collégialité entre les évêques du monde entier. Non plus avec une concentration absolue du pouvoir dans la figure du pape, mais une diffusion élargie de la responsabilité épiscopale. Grâce au pape Paul VI, cette collégialité entre les évêques aboutira avec la création du synode des évêques.

Deux papes, deux mondes

Deux papes incarnent les axes différents des deux conciles: d’une part Pie IX, d’autre part Jean XXIII. La critique et l’opposition du premier aux différents «-ismes» en vogue au cours du XIXe siècle, comme le libéralisme politique et le socialisme, avaient fortement marqué les décisions de renfermement de l’Eglise de l’époque. «Car ils étaient perçus comme des ennemies de l’Eglise, à l’instar des idées des Lumières et de la démocratie», précise Claude Ducarroz. Pie IX avait, en effet, été traumatisé par les tensions du contexte politique italien. En signe de protestation, il avait décidé de fermer les portes de l’Eglise.

D’autre part, la figure courageuse et prophétique de Jean XXIII a déterminé de façon décisive l’attitude d’ouverture caractéristique de Vatican II. L’état d’esprit du « bon pape Jean », son manque de craintes à s’ouvrir au monde contemporain, sa naïveté évangélique, son envie d’un vrai aggiornamento de l’Eglise catholique, ont été décisifs.

Au-delà de la différence entre ces deux papes et leurs époques, Claude Ducarroz met l’accent sur trois points qui illustrent le changement paradigmatique que Vatican II a apporté: la conception du fonctionnement interne de l’Eglise, le rapport avec les autres chrétiens et le regard sur la société.

Conciles inutiles, après Vatican I?

À la suite de Vatican I, et notamment de la proclamation du dogme de l’infaillibilité pontificale, il paraissait superflu de convoquer un concile. Ceci étant donné le vaste pouvoir décisionnel attribué en 1870 au pape.

«Je me souviens bien comme l’annonce d’un concile, le 17 mai 1959 par le pape Jean XXIII, avait beaucoup étonné les membres de l’Eglise», se remémore le prêtre fribourgeois. «On se demandait notamment pourquoi un concile, lorsque le pape, s’il le veut, peut décider tout seul. Avec la conception ecclésiale héritée de Vatican I, la convocation d’un concile par le pape lui-même était comprise comme un contresens, un oxymore ecclésial, toutefois bienheureux!», explique Claude Ducarroz.

Fin du siège de la forteresse

Deuxième différence importante: le rapport avec les autres Églises chrétiennes. «Au concile Vatican I, l’Eglise se considérait une forteresse assiégée, dit le chanoine Ducarroz. Les autres chrétiens étaient en concurrence. Parfois il existait même des sentiments d’inimitié envers eux».

Si Pie IX a voulu défendre l’Eglise et la préserver dans une période de forte opposition politique, un des buts principaux de Jean XXIII fut de travailler à la réconciliation entre les chrétiens. C’est la raison pour laquelle il invita des représentants d’autres confessions chrétiennes à participer aux travaux conciliaires.

Contrairement à ce qui était arrivé lors de Vatican I, l’invitation à Vatican II a été acceptée par les autres Eglises. Cette acceptation peut être interprétée comme un des fruits du virage à 180 degrés de l’Eglise catholique vis-à-vis des autres chrétiens: un regard accueillant, qui initie un chemin de dialogue avec eux. Selon Claude Ducarroz, on peut considérer cette étape comme l’entrée officielle de l’Eglise catholique dans le mouvement œcuménique.

En revanche, même si les évêques de l’Eglise orthodoxe avaient été invités à Vatican I, ils avaient refusé d’y participer. Avec les conceptions qui circulaient à l’époque à propos de la primauté juridictionnelle universelle de l’évêque de Rome, l’orthodoxie ne voulait, en effet, pas se sacrifier sur l’autel du primat romain.

Un chemin d’ouverture qui a porté à la publication de Ut unum sint (1995). Dans son encyclique, Jean Paul II demande notamment que le ministère de Pierre se convertisse et que les autres Eglises chrétiennes l’aident dans la définition de son rôle au sein de la chrétienté. Une attitude d’humilité bien loin de la posture présentée à Vatican I.

Regard empathique envers la société

Le rapport que l’Eglise catholique envisageait d’entretenir avec la société civile et le monde contemporain est le troisième aspect révélateur de la transformation vécue entre les deux siècles.

La stratégie d’ouverture du nouveau concile permet à Jean XXIII de dépasser la fermeture sur elle-même de l’Eglise issue de Vatican I. Le pape Roncalli invite non pas à regarder la société avec suspicion, mais avec empathie. «Car il était conscient que ce que vit le monde nous dit quelque chose. Et l’Eglise peut même prendre des leçons quelquefois», soutient Claude Ducarroz.

Cette transformation du regard, par rapport à celui de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, trouve sa concrétisation dans la constitution Gaudium et Spes de Vatican II. «Avec le temps, on a estimé qu’on n’avait peut-être pas été assez prudents dans le rapport au monde. Il fallait tout de même rester critiques et prophétiques», précise le théologien fribourgeois.

Un héritage en chemin

Le rôle du pape a été très variable au cours de l’histoire de l’Eglise. Le concile Vatican I en représente une étape historique, mais pas la dernière. Car l’Eglise se transforme de façon continue. «En établissant une relation renouvelée entre les évêques et le pape, Vatican II n’a pas contredit ce qu’avait décidé Vatican I. Il a plutôt montré que le premier Concile du Vatican n’avait pas tout dit à ce propos et qu’on avait d’autres choses importantes à vivre en Eglise», conclut le prêtre fribourgeois.

Tout en reposant la question de la primauté du pape, Vatican II n’a donc pas effacé les décisions de Vatican I. Confirmant que l’Eglise ne pouvait pas faire sans le pape, il a mis en exergue que le successeur de Pierre a un rôle fondamental à jouer dans la vie de toute la chrétienté. C’est peut-être le plus important héritage que le premier Concile du Vatican a laissé à l’Eglise en chemin. (cath.ch/dp)

Davide Pesenti

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