L'Eglise est-elle anticapitaliste?

Quel regard l’Eglise porte-t-elle sur le capitalisme? La question a été discutée au «Café scientifique», à Fribourg, le 11 décembre 2019. Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg et Paul H. Dembinski, professeur d’économie à l’Université de Fribourg, ont notamment apporté leur éclairage au débat.

«Le capitalisme n’est-il pas un facteur de développement humain?» «Pourquoi l’Eglise a-t-elle si souvent soutenu des forces conservatrices pro-capitalistes?» Les questions fusent, courtoises mais critiques, en direction des quatre intervenants du «Café scientifique». C’est la règle dans cette démarche de l’Université de Fribourg, qui propose régulièrement des échanges conviviaux, sur de multiples thèmes, entre grand public et experts issus d’horizons divers.

Travail contre capital

Ce 11 décembre, la salle du Nouveau Monde, à Fribourg, accueille ainsi une quarantaine de personnes intéressées par en savoir plus sur la position de l’Eglise catholique envers le capitalisme. En face, les spécialistes de la question répondent aux interrogations d’un public plutôt jeune et pas forcément proche de l’Eglise.

Mgr Morerod «débroussaille» tout d’abord le débat en relevant que le capitalisme n’est pas un concept monolithique et qu’il peut prendre différents visages. Il souligne que l’Eglise s’oppose en tout cas aux formes de capitalisme «inhumaines», qui prônent un profit «à tout prix». Une mise en perspective reprise par Eric Collomb, directeur de l’entreprise fribourgeoise de transport Zumwald et député PDC au Grand Conseil. Se définissant lui-même comme un entrepreneur «catholique et responsable», il suggère que le problème ne vient pas forcément du capitalisme en tant que tel, mais de ses formes «sauvages», qui «détruisent l’homme et la planète».

Paul H. Dembinski, qui préside la Plateforme Dignité et Développement, groupe de réflexion romand inspiré par l’enseignement social chrétien, rappelle que selon l’enseignement social de l’Eglise, le travail doit toujours primer sur le capital. Un principe qui a tendance, dans l’économie actuelle, à subir une inversion. L’économiste déplore ainsi que cette doctrine sociale de l’Eglise soit souvent méconnue, également dans le monde catholique.

«La doctrine de l’Eglise n’est pas un programme politique»

Des valeurs bien reçues dans le café du Nouveau Monde, mais que des participants passent vite «au crible de la réalité». Certains demandent ainsi pourquoi l’Eglise s’est si souvent, dans l’histoire, alliée à des forces politiques conservatrices et économiquement très libérales ou pourquoi dans de nombreux pays, les catholiques soutiennent en majorité les partis de droite.

Jacques Benoît Rauscher rappelle que, pendant longtemps, c’est le marxisme qui a été vu par l’Eglise comme son «grand ennemi». Principalement à cause de ses orientations anti-religieuses et anticléricales. Dans ce contexte, le capitalisme était un peu vu comme «un choix par défaut».

Les quatre intervenants au Café scientifique: (de g. à d.) Eric Collomb, Jacques Benoît Rauscher, Paul H. Dembinski, Mgr Charles Morerod | © Raphaël Zbinden

Mais le dominicain alerte, en général, contre la tentation de faire de la doctrine catholique un programme politique. «L’Eglise s’efforce uniquement de proposer aux personnes une juste orientation du comportement», explique-t-il, soulignant que les papes ont condamné aussi bien les excès du communisme que ceux du capitalisme.

Le religieux assure partager les inquiétudes de participants concernant l’adhésion, dans certains pays, d’une grande partie des catholiques à une économie de type libérale. Un phénomène observé notamment en France. Jacques-Benoît Rauscher y voit une tendance à considérer que l’économie serait un domaine séparé de la morale. Mgr Morerod partage cette analyse, notant que les catholiques en France ont tendance à se regrouper dans une «niche sociologique», ce qui serait beaucoup moins le cas en Suisse.

«Main invisible» et bien commun

Un participant vient cependant «à la rescousse» du capitalisme en rappelant que ce système a été un puissant facteur de développement et qu’il a «nourri la planète». Des avancées rendues possibles par l’application du principe de la «main invisible» du marché, popularisée par l’économiste Adam Smith (1723-1790). Selon cette théorie, l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques, guidées uniquement par l’intérêt personnel de chacun, contribuent à la richesse et au bien commun.

Jacques Benoît Rauscher souligne que cette théorie a le tort de ne pas définir ce qu’est ce «bien commun». Pour l’Eglise, on ne peut pas associer le «bien», comme le conçoit la «main invisible», à l’unique confort matériel. Car l’être humain se construit également dans sa relation avec l’autre et dans le souci de réaliser le bien au-delà de son intérêt individuel.

La nécessité de la décroissance

Un principe qui apparaît en recul dans l’économie d’aujourd’hui, déplorent des intervenants. Eric Collomb constate que, dans sa profession, les relations humaines ont régressé, ces dernières années, au profit de la rentabilité immédiate. «On ne va pas pouvoir continuer ainsi, assure l’entrepreneur, les gens ne le supportent plus». S’il ne pense pas qu’il faille changer radicalement le système, il estime qu’il devrait prendre un «visage social».

Les intervenants se retrouvent en tout cas d’accord sur un point: la croissance économique ne peut pas être infinie. Elle se heurte aux limites de l’humain et de la nature. Il faut donc commencer à imaginer les conditions d’une décroissance. A cet égard, Mgr Morerod pense qu’une «sobriété heureuse», comme le préconise le pape François, est possible. Pour Paul Dembinski, il est surtout temps de se demander si le PIB et le taux d’emploi sont des indicateurs adéquats pour mesurer le bonheur d’une société. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

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