L’Enfant et les enfants

«Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris». Il faut sans doute avoir atteint mon âge pour se souvenir de ce vers de Victor Hugo et convenir naïvement que le poète avait quelque raison de penser ainsi.

Certains de nos contemporains poussent la chansonnette encore plus loin, faisant de l’enfant un petit roi, pour ne pas dire le petit tyran qui impose sa loi à son entourage. Etait-ce pour une mission de recadrage que je fus invité ces dernières semaines à tenir un prêche sur l’obligation faite aux adultes à transmettre à l’enfant valeurs et connaissances et à exiger de sa part obéissance et docilité. Autrement dit, l’éduquer, au sens traditionnel de ce terme. Je n’en fis rien, me réjouissant même de transgresser les directives qu’on avait cru bon de m’imposer…

Tout d’abord, il n’est pas vrai que l’enfant soit toujours accueilli par les cris de joie du cercle de famille. Surtout pas par le cercle des disciples de Jésus qui les «rabrouent» dès qu’ils s’approchent d’eux. A leurs yeux, ces gosses sont quantité négligeable, comme leurs mères du reste. Marmaille qui ne mérite pas d’être comptée parmi les convives du pain multiplié.

Après deux mille ans d’évangile, j’ai encore connu ci et là des enfants des rues, ignorant le nom de leur géniteur, mendiant ou chapardant ce qu’ils trouvaient, exclus de l’école et des églises, pourchassés par la maréchaussée soucieuse de nettoyer les beaux quartiers de cette vermine. Des «sales gamins», comme on les appelait.

«Laissons donc vivre les enfants, ne les manipulons pas»

Sans doute va-t-on me reprocher d’évoquer aussi la souffrance d’autres enfants, témoins muets de la mésentente de leurs parents, tiraillés dans leur affection après un verdict qui arbitre les conflits des adultes sans trop tenir compte de leur progéniture.

Mais encore l’enfant «bâton de vieillesse» des générations qui le précèdent. Sa venue au monde n’est saluée que comme un capital social nécessaire à la survie de nos fonds de pension. La naissance de ces enfants-là est applaudie non pour le renouveau et l’espoir qu’ils apportent à une humanité déprimée, mais parce qu’ils assurent sa survie.

Parle-t-on dans nos chaumières des «droits de l’enfant», une Convention onusienne promulguée voici trente ans? Un texte clair et généreux qui reconnaît l’enfant comme un sujet de droit et non comme le jouet de ses parents ou la dernière chance d’une société en voie de déclin.

Laissons donc vivre les enfants, ai-je envie de répéter. Ne les manipulons pas. L’avenir leur appartient. Comme il appartenait déjà, il y a plus de deux mille ans, à cet enfant de pauvres, dont on nous dit qu’il naquit dans une mangeoire d’animaux parce que les portes de la maternité étaient cadenassées aux gens de sa condition.

Cet Enfant fut notre maître, non pas notre élève. Il nous apprend à inverser les rôles. Aucun adulte n’entre dans son royaume à moins de devenir enfant.

Guy Musy

18 décembre 2019

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