Le pape demande à l'Eglise un nouveau départ

Le 21 décembre 2019, les cardinaux ont mangé leur pain dur: le christianisme a perdu son leadership culturel, a rappelé le pape François à la Curie. Le pontife demande des changements et un esprit de mission de la part d’un «appareil d’Etat» bien campé dans ses positions.

Burkhard Jürgens, CIC/ traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

«Si nous voulons que tout reste tel quel, il faut que tout change». C’est ainsi que le pape François, avant Noël, a promis à la Curie romaine l’entrée dans une nouvelle ère. Il a emprunté cette devise à Tancrède Falconeri, personnage principal du roman Le guépard, de l’écrivain italien Giuseppe Tomasi di Lampedusa (1896-1957).

Le discours de François visait à inciter son personnel, parfois las et têtu, à prendre un nouveau départ. Une entreprise difficile. Le vent souffle fort. Le christianisme, comme l’admet sèchement le guide spirituel de 1,3 milliard de catholiques, a perdu sa prétention au leadership.

Nouvelles priorités pour la proclamation de la foi

Ce n’est pas la première fois que le pape utilise l’échange de vœux de Noël avec ses plus proches collaborateurs pour les «sermonner». Il avait notamment prévenu les employés curiaux âgés contre «l’Alzheimer spirituel «, la flagornerie et les bavardages. Cette année, il a pris un ton plus prudent. La réforme de la direction de la Curie attend depuis un an sa conclusion formelle, la publication de ses nouvelles règles.

C’est précisément dans ce document, dont le titre de travail est Praedicate Evangelium, que le pape place le point central de son discours: le cœur de la réforme doit être l’annonce de l’Évangile, comme «la première et la plus importante tâche de l’Église». Avec comme unique but du renouvellement: que ses structures «deviennent davantage missionnaires».

Cela donne aux autorités de l’Eglise qui s’occupent de la proclamation de la foi une sorte de compétence d’orientation. François a évoqué des " changements et de nouveaux accents " dans la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF) et le Conseil pontifical pour la promotion de la nouvelle évangélisation, qui n’a été fondé qu’en 2010, et dans lequel Mgr Franz-Peter Tebarz-van Elst, ancien évêque de Limbourg (Allemagne), oeuvre en tant qu’expert reconnu de la catéchèse.

Un «super ministère» de l’évangélisation?

Le pape n’a pas précisé comment ces futurs équilibres se conjugueront. Mais ce que l’on sait jusqu’à présent fait que les observateurs spéculent sur la création d’un «super ministère» pour l’évangélisation qui mettrait la CDF au second plan. Il y a seulement deux semaines, François a remplacé prématurément le chef de la puissante Congrégation pour l’évangélisation des peuples. Il y a nommé comme préfet le cardinal Luis Tagle de Manille, qui à 62 ans est relativement jeune. Le pape a une grande confiance en lui.

Le pontife ne prêche rien de moins que la mise en place «de nouveaux paradigmes». Dans les siècles précédents, le monde était divisé, d’un point de vue catholique, en deux hémisphères: les terres chrétiennes et celles qui devaient le devenir. La CDF, en tant que gardienne de la doctrine, était responsable du premier hémisphère, et la «Propaganda Fide», l’autorité missionnaire, était chargée du second. Aujourd’hui, surtout dans les grandes villes sécularisées, «nous avons besoin d’autres cartes», a souligné le pape François.

Le christianisme «n’est plus une force dominante»

François le dit sans fard: " Nous ne sommes plus en chrétienté, nous ne le sommes plus! Nous ne sommes plus les seuls aujourd’hui à produire la culture, ni les premiers, ni les plus écoutés». Le pape affirme sobrement que «nous ne sommes plus dans un régime de chrétienté parce que la foi – spécialement en Europe, mais aussi dans une grande partie de l’Occident – ne constitue plus un présupposé évident du vivre-ensemble».

Ce changement d’époque n’est pas une surprise pour le pontife. Mais il insiste maintenant sur le fait que les changements sont devenus inévitables. En utilisant une notion de prédilection de Benoît XVI, le pape fustige le relativisme et une tendance à se fier à «l’air du temps». Pour autant, il demande une nouvelle orientation dans la pastorale, un départ «vers de nouveaux rivages», qui passe aussi par de nouvelles formes de communication dans l’Eglise.

Service aux pauvres, aux marginalisés, aux migrants

Selon François, le meilleur outil de proclamation de l’Évangile est le service aux pauvres, aux marginaux et aux migrants qui «crient dans le désert de notre humanité». Il les voit comme des frères et des sœurs mis au rebut par la société mondialisée. Selon le pape argentin, l’Église doit témoigner du fait que " pour Dieu, il n’y a pas d’étranger ni d’exclu».

Dans une Salle Clémentine en ambiance de fête, le pontife n’a pas abordé les causes de la perte de crédibilité de l’Eglise, telles que le scandale des abus, le manque de transparence et le manque de participation des laïcs. Il a mis en garde son personnel de la curie, comme il l’a déjà fait maintes fois, contre la tentation de " se replier sur le passé «.

Le changement est bien le leitmotiv de Tancrède dans Le guépard. Le pape n’a cependant pas relevé qu’à la fin de l’histoire, la futilité finit par triompher du héros. (cath.ch/cic/bj/rz))

Raphaël Zbinden

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