Brésil: l’Eglise se mobilise pour les migrants vénézuéliens

Le 5 décembre 2019, le gouvernement brésilien a accordé, en une seule fois, le statut de réfugiés à plus de 21’000 Vénézuéliens. Une décision positive pour Mgr Mario Antonio Da Silva, 2e Vice-Président de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB) et évêque du diocèse de Roraima. Il évoque, dans un entretien accordé à cath.ch, la mobilisation de l’Eglise pour ces migrants.

Dans un communiqué, le ministère de la Justice et de la Sécurité publique a indiqué que cette décision était justifiée par le fait que «la situation politique, économique et sociale du Venezuela est suffisamment grave pour donner une suite favorable aux demandes de régularisations». Cette démarche a été saluée par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

Une migration géographiquement concentrée

L’essentiel de la migration vénézuélienne au Brésil passe par l’Etat frontalier du Roraima, au nord du pays (voir encadré). Depuis avril 2018, l’Acnur et l’armée brésilienne y ont construit et administrent plusieurs abris afin d’accueillir les migrants à leur passage à la frontière.

L’église catholique aussi se mobilise, notamment à Pacaraima (ville frontière) et à Boa Vista, la capitale. Objectif? Apporter une aide d’urgence et aider les migrants à élaborer leurs demandes de statuts de réfugiés. Un travail supervisé par l’archevêché de Roraima, dirigé par Mgr Mario Antonio da Silva.

Que pensez-vous de la régularisation, par le gouvernement brésilien, de plus de 21’000 réfugiés vénézuéliens?
Mgr Mario Antonio Da Silva: C’est un signal positif d’attention, d’accueil et de reconnaissance des droits des migrants et des réfugiés de ce pays. Tout le monde a été surpris par cette initiative, même si nous savons que ce n’est pas simplement un acte de bonté de la part du gouvernement (le président d’extrême droite Jair Bolsonaro est l’un des plus critiques à l’égard de Nicolas Maduro, son homologue du Venezuela, n.d.l.r.). Le plus important est que le Brésil poursuive sa politique d’accueil et permette à nos frères vénézuéliens de sortir de l’extrême vulnérabilité sociale dans laquelle ils se trouvent. Je pense enfin que cette décision au niveau fédéral restera insuffisante si elle n’est pas accompagnée de lois municipales pour faciliter l’accueil et l’installation des réfugiés vénézuéliens.

Quelle est la situation dans votre diocèse de Roraima, frontalier du Venezuela?
L’accueil des migrants s’est amélioré grâce à l’appui de différentes institutions comme l’ONU et l’armée brésilienne qui offrent un accueil dans une plus grande dignité dès le passage de la frontière. Mais l’urgence continue. Les migrants qui affluent aujourd’hui sont encore plus pauvres que leurs prédécesseurs. Ils arrivent sans argent, sans vêtements. Ils viennent avec seulement leur courage et l’espoir d’une vie nouvelle. Beaucoup sont malades. Nous notons aussi qu’il y a de plus en plus d’enfants et d’adolescents non accompagnés, ainsi qu’une augmentation notable de femmes seules avec leurs enfants. Malgré la mobilisation, seuls 20% des migrants sont accueillis et hébergés dans les structures d’urgence. Les autres vivent dans des conditions de misère dans les différentes municipalités de l’Etat de Roraima.

«Malgré la mobilisation, seuls 20% des migrants sont accueillis et hébergés dans les structures d’urgence.»

Comment l’Eglise se mobilise dans votre diocèse et dans le reste du pays?
Au niveau du diocèse, nous poursuivons les actions menées depuis l’an dernier, telles que l’aide d’urgence (aliments, vêtements, santé basique). Nous accompagnons également les migrants dans l’élaboration de leurs demandes de régularisation administrative. En octobre, en partenariat avec des organisations internationales, nous avons lancé le programme «Wash», axé sur l’eau, l’assainissement et les conditions d’hygiène, car ce sont des problèmes particulièrement sensibles et urgents. Au niveau national, nous recevons de nombreuses marques de solidarité. Mais nous avons besoin d’une mobilisation plus importante des diocèses pour recevoir et intégrer les migrants vénézuéliens. Nous attendons plus d’audace et de créativité de leur part pour répondre aux besoins.

Migrants vénézuéliens au centre de Boa Vista | © Jean-Claude Gerez

Comment financez-vous l’aide d’urgence?
C’est un défi permanent. En 2019, nous avons pu compter sur l’aide de différents diocèses, de Caritas Brésil et de différentes congrégations. Nous avons surtout pu nous appuyer sur une aide de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), puisque 40% de l’enveloppe du Fonds national de solidarité, provenant de la Campagne de Fraternité 2019, a été octroyée au travail entrepris avec les migrants. Nous espérons que cette aide sera renouvelée, mais nous n’avons pas de garantie. C’est pour cela que nous nous mobilisons pour trouver de nouveaux financements pour l’année 2020.

Règne t-il toujours un climat de tension entre les habitants et les migrants?
Actuellement, il n’y a pas de tensions particulières comme celles qui ont eu lieu en août dernier à Pacaraima, par exemple. (n.d.l.r. le 18 août 2018 des habitants avaient détruit les campements improvisés de centaines de migrants, occasionnant plusieurs dizaines de blessés et un vent de panique chez les migrants). Mais il y a des endroits où l’on sent des résistances à prêter assistance aux migrants, alors que beaucoup d’entre eux vivent dans des conditions de misère. De l’autre, il faut reconnaître également que beaucoup de citoyens de l’Etat de Roraima se mobilisent pour soulager leurs frères vénézuéliens.

«La cause des migrants du Venezuela n’a même pas réussi à mobiliser la moitié des fonds récoltés pour la réhabilitation de la cathédrale Notre-de-Dame de Paris.»

L’Europe est-elle, selon vous, suffisamment sensibilisée au drame des migrants vénézuéliens?
Nous savons à quel point la question migratoire en général est sensible en Europe. Mais nous aimerions que le drame des migrants vénézuéliens touche d’avantage le cœur des riches du monde. Très peu d’investissements ont été réalisés pour venir en aide aux migrants de ce pays. Certains articles de presse disent que la cause des migrants du Venezuela n’a même pas réussi à mobiliser la moitié des fonds récoltés pour la réhabilitation de la cathédrale Notre-de-Dame de Paris. Avec tout le respect dû à ce patrimoine mondial, j’ai l’impression qu’il manque quand-même beaucoup de sensibilité pour que la communauté internationale, chrétienne ou pas, soit touchée par les nécessités des migrants, en particulier des Vénézuéliens, et des autres migrants d’Amérique latine. Et pourtant, il y a urgence, car nous sommes aujourd’hui confrontés à une situation qui a dépassé toutes les limites et prévisions possibles. (cath.ch/jcg/bh)

Des milliers de migrants vénézuéliens ont récemment franchi la frontière avec le Brésil | © Jean-Claude Gerez

800 vénézuéliens entrent chaque jour au Brésil
D’après l’ONU, 3,4 millions de vénézuéliens ont déjà fui leur pays depuis 2015. La plupart se trouvent aujourd’hui en Colombie et au Pérou. Entre 240’000 et 500’000 (selon les sources) ont opté pour le Brésil. Selon le gouvernement brésilien, entre 500 et 800 Vénézuéliens entrent chaque jour dans le pays.
Le point d’entrée principal est la petite ville frontière de Pacaraima, dans l’Etat amazonien du Roraima. C’est d’ailleurs dans cet Etat que se concentre aujourd’hui la majorité des migrants vénézuéliens au Brésil. Depuis avril 2018, 15’000 migrants ont pu bénéficier du «Programme d’Intériorisation» consistant à délocaliser des familles de réfugiés dans d’autres états de la République Fédérale du Brésil. JCG

Jean-Claude Gérez

Portail catholique suisse

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