Mgr Eleganti: «Les lois anti-discrimination nous réduiront au silence»

Alors que la Conférence des évêques suisses a renoncé à donner un mot d’ordre sur l’extension de la norme pénale antiraciste à la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, Mgr Marian Eleganti s’est exprimé contre cette révision. L’évêque auxiliaire de Coire y voit une marque de terrorisme de l’opinion et d’intolérance.

Le peuple suisse sera amené à se prononcer le 9 février 2020 sur le référendum contre la révision du code pénal étendant la norme antiraciste à l’orientation sexuelle. Le référendum a été lancé par l’Union démocratique fédérale et les jeunes UDC.

La Conférence des évêques suisses a rappelé, en décembre 2019, que la doctrine de l’Eglise catholique se prononce «sans exception contre tout appel à la haine et à la discrimination de personnes ou de groupes». Mais pas question pour elle de donner un mot d’ordre pour la votation du 9 février 2020. «Ce sera aux citoyennes et aux citoyens de juger si ce principe est déjà suffisamment ancré dans la législation en vigueur ou s’il faut l’élargir», a expliqué Mgr Felix Gmür.

Dans une tribune publiée en allemand sur le site internet Zukunft.ch, Mgr Eleganti revient longuement sur les enjeux de ce vote et la question de la liberté d’opinion, sans aborder directement la question de l’orientation sexuelle.

Relativisme et tolérance ne font pas bon ménage

«On pourrait penser que le credo relativiste produirait automatiquement une culture de débat tolérante. Loin de là! L’opinion selon laquelle chacun devrait pouvoir vivre comme il le souhaite, sans qu’une société puisse élaborer des normes communes à cet égard, se transforme en terreur de l’opinion et en intolérance», constate d’emblée Mgr Eleganti. «A cause des lois anti-discrimination, nous allons être réduits au silence – et punis – par des décisions de justice.»

«Puisque chacun a ou construit sa propre ‘vérité’, seuls prévalent ses propres intérêts et sensibilités»

Pour l’évêque, on assiste aujourd’hui dans de nombreux débats sociopolitiques et éthiques à une ‘émotionnalisation’ et une personnalisation désastreuses du débat. L’effort d’objectivité sur la base d’arguments rationnels communs, dans un dialogue ouvert, cesse également. Puisque chacun a ou construit sa propre ‘vérité’, seuls prévalent ses propres intérêts et sensibilités, ses modes de vie et surtout ses émotions.

Contradiction = haine?

Dans ce contexte, toute personne qui contredit ou s’oppose à une opinion est perçue comme un ‘ennemi personnel’, et non plus comme un ‘adversaire de débat’. Comme si une contradiction sur un fait signifiait déjà le rejet et la haine de la personne qui le représente.

Pour Marian Eleganti, cette perversion d’un effort cognitif raisonnable, selon la formule «contradiction = haine» est systématiquement mise en œuvre politiquement par le lobby LGBTQ. Toute opinion qui s’en écarte est stigmatisée comme discours de haine et comme une condition préalable à la violence physique.

Ainsi, avant même qu’un véritable crime violent n’ait lieu, le représentant d’une opinion dissidente est menacé d’une sanction judiciaire ou d’un boycott de sa liberté d’expression par des blocages et autres harcèlements. Il en découle une violence bien réelle, utilisée sans rougir par rapport à son propre credo pluraliste proclamé haut et fort.

La vérité blesse

«Où est passée notre culture de la discussion et de la prétendue tolérance?» s’interroge le prélat. Les universités ne sont plus des lieux de discussions ouvertes, d’objectivité scientifique et de recherche de la vérité. «Les ‘zones de protection’ empêchent les débats ouverts: Quelqu’un pourrait se sentir blessé. Pourquoi? Parce que je dis la vérité?»

«Au lieu d’argumenter, on préfère étiqueter l’autre comme xénophobe, fanatique, fondamentaliste ou extrémiste de droite».

A ce défi, l’évêque oppose la pensée catholique, en particulier celle de Thomas d’Aquin dans sa façon d’apprécier et de réfuter des points de vue opposés. La doctrine catholique distingue ainsi méticuleusement entre la personne et l’opinion, entre le pécheur et le péché. Aimer la personne ou le pécheur n’empêche aucunement de s’opposer à ses opinions ou sa pratique.

Distinguer la personne et la chose

Pour Mgr Elenganti, «ce sens de l’objectivité et de la vérité, cette distinction entre la personne et la chose, ont été complètement perdus dans notre société.» Dans les forums internet, les blogs et les disputes sociales, on ne voit que des émotions exprimées de manière imprudente, sans aucune décence ni respect de la personne. En cas de divergences d’opinions, pas le moindre effort n’est fait pour comprendre l’autre, avant de combattre ses vues. Au lieu de les réfuter avec des arguments raisonnables, on préfère immédiatement l’étiqueter comme xénophobe, fanatique, fondamentaliste ou extrémiste (de droite).

L’autre moyen de défense est de dénoncer les phobies. Les personnes qui tentent d’argumenter raisonnablement sont cataloguées comme des phobiques avec lesquelles, il n’est même pas nécessaire de parler. Marian Eleganti y voit «une façon assez perfide de les museler» et une tentative de bannir purement et simplement leurs opinions raisonnables, telles que le fait qu’un enfant a besoin d’un père et d’une mère.

Facebook et twitter, les nouveaux tribunaux d’inquisition

Ceux qui ne suivent pas le courant de pensée dominant sont bloqués, poursuivis ou stigmatisés socialement. «Twitter, Facebook, Google et autres sont les nouveaux tribunaux d’inquisition sociale, qui décident depuis le back office ce qui peut être pensé et dit (politiquement correct).»

«Les aspects divergents sont réfutés par des arguments rationnels et une vérification des faits»

Les règles du Moyen-Age

Les universités du Moyen-Âge avaient élaboré des normes pour la dispute scientifique ou sociale, rappelle Mgr Eleganti. La première consiste à comprendre et à exprimer dans ses propres mots l’opinion adverse qui diffère de la sienne. La deuxième étape consiste à demander à l’adversaire si son opinion a été correctement comprise.

Lors de la troisième étape, les aspects de la vérité de l’avis de l’adversaire sont appréciés et, si possible, inclus dans son propre point de vue. Ensuite les aspects divergents sont réfutés par des arguments rationnels et une vérification des faits. Enfin, la dernière étape est la tentative de synthèse, le progrès de la connaissance, l’approfondissement.

«Comme notre société pourrait être différente si ces règles étaient appliquées par tout le monde», conclut l’évêque auxiliaire de Coire. (cath.ch/com/mp)

Maurice Page

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