Urban Federer: «À l’horizon 2030, divers monastères auront fermé»

Depuis 220 ans, la statue de la Vierge noire du monastère bénédictin d’Einsiedeln attire des nombreux pèlerins suisses et étrangers. Pour longtemps encore? L’abbé Urban Federer fait le point sur la situation actuelle et les défis qui attendent le célèbre lieu de pèlerinage schwytzois.

Abbé Urban Federer, quelle est la situation actuelle de votre communauté?
Actuellement, nous sommes 47 religieux ici à Einsiedeln, âgés entre 30 et 92 ans. Nous sommes actifs dans l’accueil des pèlerins et des visiteurs de l’abbaye. Mais nous nous engageons aussi dans l’accompagnement spirituel, différents ateliers ainsi que dans la formation. On compte en effet cinq de mes confrères parmi les professeurs de notre école.

Nous ne sommes toutefois plus assez nombreux pour réaliser toutes les tâches. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin de l’aide précieuse de personnes externes. Nous employons environ 200 personnes dans nos différents domaines d’activité. C’est une chance, car cela nous permet de collaborer avec d’autres personnes, de s’enrichir de leurs idées, de leurs expériences et de leur foi. Cette situation nous aide à explorer de nouvelles pistes, pour vivre notre vocation monastique au XXIe siècle.

L’étude et la formation font partie de l’ADN des bénédictins. Comment se porte votre école?
350 étudiants fréquentent cette année notre institut scolaire [ndr. secondaire I et lycée]. Environ 10% vivent en internat. Ils proviennent traditionnellement de la région d’Einsiedeln. Mais grâce à l’amélioration importante des transports en commun, nous avons de plus en plus de jeunes de la région de Zürich ou de Pfäffikon.

Je suis loin d’être pessimiste, même si les défis sont nombreux. Je me définis comme un réaliste, car comme chrétien, j’observe la réalité telle qu’elle est, soutenu par l’espérance que nous donne la foi en Jésus Christ.

Urban Federer

Nous bénéficions d’un soutien financier du canton de Schwytz, qui reconnaît la maturité, tout en restant indépendants. Grâce à la longue histoire et à notre collaboration avec le Canton, nous pouvons regarder l’avenir avec espoir.

Avez-vous la même confiance à propos de l’avenir de la communauté?
Oui, je suis loin d’être pessimiste, même si les défis sont nombreux. Je me définis comme un réaliste, car comme chrétien, j’observe la réalité telle qu’elle est, soutenu par l’espérance que nous donne la foi en Jésus Christ.

Il faut être réaliste: aujourd’hui il y a trop de monastères en Suisse. Au cours des dix prochaines années, plusieurs d’entre eux devront fermer. Cette évolution s’explique notamment par des raisons de changements sociétaux. Jusqu’au début du XXe siècle, les familles catholiques étaient nombreuses. Parmi les enfants, un des garçons devenait traditionnellement prêtre ou moine, une des filles religieuse. Ce contexte culturel a désormais disparu. Mais ce n’est pas grave. Nous devons nous adapter et trouver de nouvelles pistes pour vivre notre vocation monastique à notre époque…

À quelles pistes pensez-vous?
Il faut porter davantage d’attention aux nouvelles technologies, Google, par exemple. Je m’explique: nous nous réunissons six fois par jour dans notre église pour prier. C’est beaucoup. On pourrait en déduire que les pèlerins qui entrent dans notre église peuvent aisément entendre et participer à nos prières. Google nous a toutefois appris que le pic des visites se situe entre 12h30 et 15h00, c’est à dire à un moment où il n’y pas de prière communautaire. Cela nous montre bien que la plupart des personnes ne nous entendent pas. Que faire? Nous devons être plus présents!

Le rythme de vie et la prière communautaire sont nos ressources principales mises au service de nos contemporains.

Urban Federer

Dès lors, mes confrères ont commencé, par exemple durant le temps de Noël, à rester dans l’église durant une ou deux heures, proposant des entretiens ou des bénédictions personnelles. Le succès est énorme. Les gens qui viennent visiter l’abbaye attendent ce genre de présence. Mais nous n’y avions pas pensé auparavant… Cet exemple nous montre bien comment fonctionne l’homme d’aujourd’hui et quels sont ses besoins spirituels.

Les nouvelles technologies peuvent donc être au service d’une tradition monastique bénédictine toujours en devenir…
Oui, nous sommes ouverts à ces nouveautés, tant qu’elles ne modifient pas le rythme de vie ou ne dérangent pas la prière de la communauté. Car ce sont nos ressources principales mises au service de nos contemporains.

L’identité des visiteurs du monastère a en effet fortement changé ces dernières décennies. Une bonne partie de nos hôtes ne nous rejoint plus le matin pour participer à la messe comme auparavant. Ils montent à Einsiedeln plutôt au cours de l’après-midi, pour échapper au brouillard de la plaine. Et une fois arrivés, ils visitent l’abbaye. Ils rentrent dans l’église, s’arrêtent un instant, allument une bougie. Et après, que font-ils? On ne le sait pas vraiment.

Il nous faut donc réfléchir à ce que ces personnes cherchent. Il faut que les nombreux projets de rénovations répondent à ces personnes et permettent de trouver ce que nous pouvons et voulons leur offrir.

Urban Federer avec la version française de son livre «Aux sources de l’amitié de Dieu», publiée dernièrement | © Davide Pesenti

À propos de votre vie communautaire: comment vivez-vous l’appel à la pauvreté lancé dernièrement encore par le pape François?
Le moine est pauvre par vocation. C’est inscrit dans notre spiritualité d’être pauvres, en tant que moines, mais pas en tant que communauté. En tant que moines, nous n’avons pas de fortune personnelle. Nous partageons tous nos biens. Si on a besoin d’argent pour un voyage, par exemple, on s’adresse au prieur.

Saint Benoît nous dit qu’il faut donner ce dont on a besoin. Avec la sensibilité écologique croissante, nous discutons régulièrement des limites de notre pauvreté ou encore de la nécessité de l’utilisation de nos deux voitures.

Notre première tâche est et doit demeurer l’accueil de nos hôtes. Et ceci en toute simplicité.

Urban Federer

Quels sont les principaux défis que vous entrevoyez pour votre communauté monastique?
En tant que communauté, nous nous interrogeons régulièrement sur le cœur de notre histoire. Nous sommes ici depuis 1426 ans et depuis le commencement, notre monastère a été un lieu de pèlerinage et d’accueil. Dans ce sens, notre première tâche est et doit demeurer l’accueil de nos hôtes. Et ceci en toute simplicité, dans le sens de ce que le pape François nous invite à faire: accueillir les personne à l’église, mais aussi autour du monastère, être là pour elles, avec leurs questions et leurs quêtes existentielles….

Comment vivez-vous concrètement cette vocation à l’accueil?
Notre présence auprès des visiteurs ne doit pas rester un concept abstrait, mais se concrétiser notamment dans les différents projets de restauration qui nous attendent. À l’image de ce que nos prédécesseurs ont fait au cours des siècles passés. Le but doit rester de donner nos réponses dans le cadre des bâtiments. Car les personnes, même si elles n’en sont pas conscientes, ressentent qu’il y a quelque chose de spécial dans ces lieux. J’aimerais donc continuer sur cette piste: restaurer, en donnant au visiteurs des clés et des réponses, sans tout leur expliquer, sans imposer nos vérités…

Avez-vous un exemple?
Ces derniers temps, on parle souvent de développement durable. Le monastère peut être considéré comme un lieu qui essaye de vivre dans une telle attitude de sensibilité à l’écologie et à la durabilité. Saint Benoît ne voulait pas que nous vivions en dehors. Pour cette raison, le monastère est organisé de telle façon que nous puissions prier, travailler, manger et dormir au même endroit. Nous ne nous déplaçons pas beaucoup et nous ne prenons pas l’avion. Car notre vie est structurée dans un endroit déterminé.

Le monastère peut être considéré comme un lieu qui essaye de vivre dans une attitude de sensibilité à l’écologie et à la durabilité.

Urban Federer

Mais il ne s’agit pas seulement de mouvement extérieur. Un des mots-clé pour notre fondateur est habitare secum, «vivre en soi-même». C’est une réponse concrète que nous pouvons donner en tant que monastère aux hommes et femmes de notre temps, qui sont très souvent en voyage et ne peuvent pas être à la maison lorsque quelqu’un frappe à la porte. Sans oublier l’importance du silence…

Quels projets de mise en valeur de votre patrimoine vous tient particulièrement à cœur?
Beaucoup de personnes m’ont demandé pourquoi je ne créais pas un musée ici à Einsiedeln, comme il en existe dans d’autres abbayes. Je leur ai répondu que nous ne pouvions pas faire un musée dans notre propre maison: nous vivons ici!

Après réflexion, j’ai tout de même proposé à mes confrères de créer un musée, mais avec un concept moderne. Ça serait un musée où l’on est en marche, dans lequel on voit autre chose que des vieux calices, d’où on sort avec la tête pleine, sans n’y avoir rien compris

Vous pensez plutôt à un chemin…
Je souhaiterais en effet plutôt créer un chemin à la découverte de la foi chrétienne; un chemin qui permette d’apprendre quand est-ce qu’on utilise un calice, par exemple. Un tel parcours pourrait passer à travers nos bâtiments, qui mettent en lumière la spiritualité bénédictine, et ses dimensions d’espace, de temps, de lecture, d’écriture, la prière et le silence. C’est ma vision d’un musée.

Et j’ai aussi une autre idée. À côté du monastère, nous avons des anciennes résidences de collaborateurs qui ne sont plus utilisées. On passe un tunnel et on arrive dans la cour de ce vaste bâtiment annexe. On lève les yeux et on voit devant nous la nature, la ferme avec les animaux, les ateliers où on travaille le bois et la pierre, qui pourraient devenir des lieux pédagogiques, par exemple pour des enfants vivant en ville. De l’autre côté on entrevoit les caves de vin, les jardins… Et je me suis dit: il faut faire quelque chose avec cet endroit, afin de pouvoir mettre davantage en valeur l’homme, comme élément de la création, ainsi que sa relation avec son Créateur.

En conclusion, quel est votre vœu principal pour 2020?
Que chacun et chacune ait le courage de sortir de la dépendance de la pensée contemporaine, et de chercher, jour après jour, la liberté intérieure. (cath.ch/dp)

Davide Pesenti

Portail catholique suisse

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