Abus de Jean Vanier: comment l'expliquer aux personnes handicapées?

Les membres de l’Arche en Suisse sont atterrés par les révélations d’abus sexuels commis par Jean Vanier, le fondateur de la communauté qui accueille des handicapés. A présent, l’une des priorités de l’Arche est d’accompagner au mieux ces personnes, face à des informations susceptibles de les perturber profondément.

Aujourd’hui, l’on peut juste «pleurer avec ceux qui pleurent», confie Pierre Epiney. Le délégué de l’Arche Suisse, qui œuvre depuis quarante ans au sein de la fédération d’associations, a appris avec stupeur les révélations d’abus sexuels commis par Jean Vanier. La communauté qui accueille depuis les années 1950 des personnes en situation de handicap mental a présenté, le 22 février 2020, les conclusions accablantes, pour son fondateur, d’une enquête qu’elle a elle-même lancée en juin 2019.

Père spirituel indigne

Le document démontre que Jean Vanier, décédé en 2019, aurait abusé sexuellement d’au moins six femmes adultes et non handicapées. Des actes perpétrés alors qu’elles étaient sous l’emprise psychologique et spirituelle du théologien canadien. Le rapport note qu’il usait d’une «mystique dévoyée» pour convaincre ses victimes. Ce mode opératoire lui ayant été transmis par le prêtre dominicain Thomas Philippe, co-fondateur de l’Arche, duquel il avait toujours été très proche.

Ces révélations ont provoqué une onde de choc d’autant plus grande que Jean Vanier bénéficiait d’une estime très élevée au sein du monde catholique et au-delà. «Pour beaucoup il était un guide spirituel, une figure paternelle», relève Pierre Epiney. Un grand nombre des personnes handicapées accueillies à l’Arche étaient également attachées à lui. «Certains ont dans leur chambre des photos d’eux avec Jean Vanier», précise le délégué de la communauté.

Accompagnement et prévention

Les membres de l’Arche sont ainsi conscients de la nécessité de mettre en place un accompagnement. Diverses démarches ont été décidées alors que les responsables de la communauté ont été informés un peu avant la conférence de presse du 22 février des principaux points du rapport d’enquête. «C’est comme pour un deuil, note Pierre Epiney, il ne suffit pas de faire une cérémonie d’enterrement et puis de passer à autre chose. Il est important d’être entouré sur le long terme, pour gérer la déception, la colère, la révolte et faire de cette situation quelque chose d’aussi constructif que possible».

Des temps de rassemblement seront ainsi organisés dans les centres de l’Arche en Suisse, à Fribourg, Versoix (GE) et Dornach (SO). Des dessins explicatifs et un document Powerpoint seront présentés pour faire saisir le plus largement les enjeux de la situation. «Il est clair que chacun comprendra ce qui se passe selon ses possibilités», indique Pierre Epiney. Il souligne que cela peut être très perturbant pour des personnes handicapées qui sont parfois «toute entières dans l’émotionnel». Des actions qui serviront aussi un objectif de sensibilisation aux abus potentiels.

Dégât d’image

Sur ce point, le délégué suisse souligne que l’Arche n’a pas attendu ces révélations pour consolider son dispositif de prévention. Elle met notamment en place, en coordination avec les autorités publiques, des protocoles destinés à repérer plus facilement les comportements délictueux.

Pierre Epiney signale également la transparence totale dont a fait preuve l’Arche. «Je n’ai pas plus d’informations que ce qui est sur le site international».

Le membre de la communauté est conscient de l’immense dégât d’image provoqué. Il estime probable que les prochaines récoltes de dons en soient affectées. Il pense toutefois que le public saura finalement faire la part des choses entre un individu déviant et l’immense travail réalisé par la communauté depuis des décennies. Son espérance est que «le cœur de la vie communautaire ne soit pas touché». «Il faut que l’on évite, également au niveau du personnel de l’Arche, la tentation de tout jeter à la poubelle». (cath.ch/rz)

Les dominicains veulent faire toute la lumière sur le Père Thomas Philippe

L’enquête interne de l’Arche avait été décidée quelque temps avant la mort de Jean Vanier, informe Pierre Epiney. Le documentaire Esclaves sexuelles de l’Eglise, diffusé par la chaîne Arte en avril 2019, semble avoir été l’élément déclencheur. L’émission documente les méthodes perverses utilisées par le Père dominicain Thomas Philippe et par son frère Marie-Dominique pour abuser de femmes sous emprise, notamment des religieuses. «Thomas Philippe étant considéré comme le père spirituel de Jean Vanier, la question s’est tout de suite posée de ce qu’il savait», note Pierre Epiney. Suite à cela, une première victime a osé briser le silence et le reste s’est enchaîné.

La province dominicaine de France, qui collabore pleinement avec l’Arche, condamne, dans un communiqué du 22 février 2020, «ces faits graves, s’associant à la douleur des personnes ayant pu en être victimes et de leurs proches». La province y annonce sa volonté de poursuivre sa coopération à la recherche de la vérité, non seulement avec les instituts concernés mais aussi en interne.

Pour ce faire, le provincial de France a constitué un double groupe d’experts: un groupe de recherche historique, constitué d’historiens indépendants dont la mission est de faire la vérité sur l’affaire Thomas Philippe, notamment en montrant le rôle de l’institution dominicaine dans l’accompagnement de ce frère.

Le second groupe est chargé de la recherche théologique. Sa mission est d’étudier la doctrine théologique du frère Thomas Philippe et d’en préciser les déviations.

Ce travail interdisciplinaire doit permettre de «comprendre l’origine des graves dérives dont ont eu à souffrir les victimes et mettre en lumière ce qui a pu conduire à ce qu’elles se perpétuent dans le temps. Il doit permettre ainsi de tirer les leçons pour l’avenir, en vérifiant que nos moyens de prévention des abus et d’accompagnement des personnes sont idoines».

La Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF) a affirmé son engagement auprès de l’Arche, auprès des frères dominicains, «dans leur difficile ouvrage en faveur de la connaissance des faits, de leurs circonstances comme de la théologie plus que déviante qui les a justifiés». La Conférence des évêques de France (CEF) a également apporté son soutien à la démarche des dominicains. RZ

L’Arche, dont le siège international est à Paris, est une fédération d’associations qui anime 154 lieux dans 38 pays où des personnes handicapées mentales vivent avec leurs accompagnants, salariés ou volontaires, ce qui est une spécificité de ces communautés.

Jean Vanier a aussi cofondé en 1971 le réseau chrétien «Foi et Lumière», qui compte plus de 1’400 «communautés de rencontre» autour de personnes handicapées, dans 86 pays. RZ

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/abus-de-jean-vanier-comment-lexpliquer-aux-personnes-handicapees/