La diversité, une «assurance vie» physique et spirituelle

Face aux lourdes tendances sociales et économiques actuelles d’homogénéisation et de globalisation, la diversité est en perte de vitesse. Cette notion semble pourtant être essentielle à la vie, non seulement naturelle et humaine, mais aussi sociale et spirituelle.

Raphaël Zbinden

Un million de morts. Tel a été le bilan des famines provoquées par la propagation du mildiou, qui a détruit, à partir de 1845, les cultures de pommes de terre en Irlande et en Europe du Nord. Une catastrophe due en particulier au manque de variété génétique dans les cultures de patates, une denrée de base des populations à cette époque.

La diversité est scientifiquement reconnue comme un élément essentiel de la perpétuation de la vie. Une donnée que nos sociétés ont parfois tendance à oublier, en particulier dans le domaine de l’agriculture, face aux avantages pratiques et économiques de la standardisation.

«La diversité, c’est comme l’amour, cela doit circuler librement»

La problématique a été mise en avant dans le cadre de la campagne de Carême 2020, menée par les œuvres d’entraide chrétiennes Action de Carême (AdC, catholique romaine), Pain pour le prochain (PPP, protestante) et Etre partenaire (catholique chrétienne). L’action, inscrite sous le slogan «Ensemble pour une agriculture qui préserve notre avenir», met l’accent sur les menaces pesant, au niveau mondial, sur le marché des semences. Alors qu’elles sont, avec les savoirs traditionnels, «les garants d’une alimentation et d’une agriculture écologiques et diversifiées».

La logique de «l’accaparement»

Une situation préoccupante confirmée par François Meienberg, directeur de projet à ProSpecieRara. Cette association, dont le siège se trouve à Bâle, se bat depuis 1982 pour la diversité patrimoniale et génétique liée aux animaux et aux végétaux, en Suisse et dans le monde.

«Nous assistons à une perte immense, actuellement, de l’agrobiodiversité globale», prévient l’activiste. «Il y a de plus en plus de gros producteurs et les petits ont tendance à disparaître». Les lois se multiplient, au niveau international, qui interdisent le libre échange des semences. Trois multinationales possèdent 50% de ce marché. «Beaucoup pensent que l’on peut préserver et continuer à développer  la diversité par la propriété, mais c’est faux, prévient François Meienberg. Seul un système ouvert d’échange le permet».

François Meienberg est directeur de projets à ProSpecieRara | © Marion Nitsch/Lunax

Le modèle traditionnel d’échange des semences entre petits paysans tend ainsi à disparaître dans de nombreux endroits du globe. Ce qui entraîne un déclin important de la diversité animale et végétale et de la transmission des savoir-faire agricoles ancestraux, avertit le responsable de ProSpecieRara. Aujourd’hui, en Suisse et ailleurs, il est important de sauvegarder les obtenteurs agricoles indépendants, qui sont également des garants de l’innovation dans ce domaine, précise-t-il.

Car la diversité, notamment végétale, est une «assurance vie» pour l’humanité. «Ce qui s’est passé en Irlande au 19e siècle doit nous servir de leçon».

Pour François Meienberg, ce qui est nocif, c’est «l’accaparement». «La diversité, c’est comme l’amour, souligne-t-il. Elle doit circuler librement, se donner, si on la garde pour soi-même, elle dépérit».

L’unité dans la diversité

Des thématiques que l’on peut retrouver dans la vie chrétienne. L’accaparement, en particulier des terres, par une seule personne est souvent fustigée dans l’Ancien Testament, souligne Vincent Lafargue, vicaire dans le secteur d’Aigle (VD). Le chiffre ‘douze’ symbolise cet aspect de diversité vécue comme essentielle. Ainsi les douze tribus d’Israël, qui se partagent douze territoires en Palestine. «Les douze apôtres composent également un groupe de personnalités très différentes», souligne le prêtre.

C’est Paul qui met spécialement en avant l’importance de la diversité dans la Bible. Aux Corinthiens, il explique qu’il y a variété de dons, de ministères et d’opérations. «Mais cette diversité se conçoit toujours dans l’unité», relève Vincent Lafargue. Car Paul note bien que «c’est le même Esprit» qui anime ces différents charismes. De même pour les douze apôtres qui constituaient un seul groupe, les douze tribus d’Israël une même nation…Une diversité dans l’unité que l’on retrouve aussi dans l’Eglise, à la fois multiple et une.

Vincent Lafargue est vicaire dans le secteur d’Aigle | © Raphaël Zbinden

Pour Vincent Lafargue, la Bible elle-même reflète cette notion: composée de plus de septante Livres, de nombreux styles, types de récits et auteurs, elle n’en est pas moins une, «parce qu’inspirée par le même auteur, qui est l’Esprit Saint». De même, la Bible couvre des siècles d’histoire, mais nous parle toujours dans l’aujourd’hui de notre vie.

La diversité dans l’ADN de la création

Le prêtre d’Aigle distingue pourtant «unité» et «unicité». En cela, la Parabole du semeur, la seule expliquée par Jésus, est éclairante. «Le Christ montre que la graine peut tomber dans beaucoup d’endroits différents, la bonne terre, la terre aride…Le geste du semeur est le même, mais la récolte ne lui appartient pas, ce qui va ensuite germer, c’est l’affaire de Dieu.» Il ne s’agit donc pas des semences «uniques» que les multinationales veulent imposer, mais des semences d’union dans le Christ. «Unifie mon cœur», dit le psalmiste (86,11).

Pour Vincent Lafargue, «si la Bible met en avant cette diversité , c’est qu’il s’agit d’un aspect essentiel de la création». Il n’y a pas un flocon de neige pareil à un autre et même les jumeaux ne sont jamais totalement semblables, remarque-t-il.

Il y a certainement aussi une mise en garde contre la tendance humaine à l’homogénéisation, à la standardisation, à la simplification. «La Bible nous rappelle, par exemple, que le pouvoir n’est valable que s’il est partagé. C’est le cas également dans l’Eglise. Le pape François l’a bien compris en créant le Conseil des cardinaux (C8) et en s’attaquant au cléricalisme».

Carême et coronavirus

Vincent Lafargue relève aussi que la pensée est mortifère quand elle est «unique» et non pas «unifiée». «Dans la vie politique, c’est un risque, actuellement, avec la polarisation des débats. Et avec le populisme qui se nourrit de la généralisation, qui est une forme de déni de la diversité. Le discours de bien des gens aujourd’hui est exclusif et mène à l’exclusion».

Sans tomber dans le relativisme, on constate de plus en plus que la vérité est complexe, note le vicaire. Une complexité qui mène vers un inconnu qui déstabilise et fait peur.

Aujourd’hui, la crise du coronavirus bouleverse nos habitudes. «Notre économie basée sur la globalisation est remise en question. Serons-nous forcés d’aller vers une diversification plus conforme au message de la Bible?» Pour le prêtre, il est peut-être significatif que cela arrive durant le temps de Carême, qui appelle le chrétien à changer son mode de vie, à voir au-delà de son quotidien. «Il n’est pas inintéressant de nous confronter à cet inconnu, qui est la dimension de Dieu qui surgit dans nos vies», relève Vincent Lafargue. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

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