Homélie du 22 mars 2020 (Jn 9, 1 – 41)

Fr. Michel Fontaine, OP – Eglise St-Paul, Cologny, GE

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Thème : À qui irions-nous, Seigneur ? Tu as les Paroles de la Vie éternelle (Jn 6,68) – Jésus, Parole de Vie en abondance.

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C’est vrai, ce qui se passe maintenant nous concerne tous et toutes sans exception et ce qui se passe n’est pas uniquement ailleurs, au-delà de nos écrans de télévision et de nos journaux. Ce qui se passe est à côté de nous, dans nos familles, nos communautés, nos paroisses, nos rues, nos maisons, nos appartements,  nos lieux de travail…Ce qui se passe est, en fait, au cœur de tout ce que nous vivons.

Alors peut-être que la question du psalmiste surgit « Où est-il ton Dieu?». Cette interpellation du Psaume 42 peut traverser notre désarroi.

Et bien, malgré cette tempête insidieuse qui vient nous déstabiliser, ce Temps de carême, loin de nous tirer vers le bas est une lumière et un repère fondamental pour activer en nous la confiance, la solidarité et l’espérance. N’oublions jamais la réalité de l’incarnation dans laquelle nous puisons, comme une source de vie, la certitude que Jésus partage tout de notre condition humaine, jusque dans sa vulnérabilité. C’est probablement ce qui est le plus difficile à comprendre : tenir ensemble l’amour totalement gratuit de Dieu et en même temps, le sentiment d’une absence, d’un abandon, déjà … ce sont les prémices du Vendredi saint.

Invités à aller plus loin

Pour notre quatrième étape de Carême, toute notre foi est ici convoquée dans ce combat à l’image de ce qu’a vécu cet aveugle né de naissance. Cet homme vient à nous, vulnérable mais confiant, au travers de l’évangile de Jean. Cet homme a fait l’expérience d’un chemin de foi qui l’a conduit au cœur de la Bonne Nouvelle. Il nous aide par son expérience à répondre à la question du psalmiste en nous invitant à aller plus loin.

Écoutons cet homme aveugle de naissance, image de notre humanité depuis les origines. Reprenons cet évangile qui vient nous rappeler l’essentiel, au plus profond de nos creux et de nos aspérités. Trouverons-nous dans cet évangile une respiration pour traverser ce que nous vivons en ce moment ? J’en suis sûr.

Un chemin personnel de foi et de conversion

Jésus est avec ses apôtres. Il voit un homme aveugle de naissance qui mendie. Ses disciples aussi le voient et ils posent une question à Jésus : « Qui a péché, lui ou ses parents…? » Sa réponse est claire : « Ni lui, ni ses parents ». Il rejette en quelques mots tous les raccourcis que nous avons pu faire au cours des siècles, entre le péché, la culpabilité et la maladie. Jésus EST la Parole du Père. Il n’est pas l’Envoyé d’un Dieu rétributeur. La Parole de Jésus, bien au contraire, va affirmer, par son geste de guérison sur cet homme qui recouvre la vue, le don de la vie en abondance. Et ce don nous est sans cesse proposé depuis que le monde existe. Il y a là, en quelques mots toute la réalité d’un chemin personnel de foi et de conversion, symbole de toute notre famille humaine, en quête d’un chemin de vie et de bonheur. Cette découverte que nous avons à faire d’un amour totalement gratuit est l’histoire de chacune de nos existences. Ce que nous vivons aujourd’hui avec cette pandémie participe pleinement de ce chemin et nous renvoie à la question que Jésus posera à cet homme qui a recouvré la vue « Crois-tu au Fils de l’Homme ? »

Jésus continue la création

Pourquoi Jésus pose-t-il cette question après l’avoir guéri ? La réponse encore une fois déplace nos schémas d’une compréhension souvent rétrécie de l’évangile. Rappelez-vous : « Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l’appliqua sur les yeux de l’aveugle » (v.6). Il refait  les gestes mêmes du Créateur dans la Genèse qui sculpta l’humain dans le limon du sol (Gn 2,7). « Je dois réaliser l’action de celui qui m’a envoyé » dira-t-il pour éclairer son geste (v.9,4). Jésus se présente devant nous comme celui qui continue la Création déjà commencée et non encore achevée. 

Un homme debout

L’homme alors, vit un acte de renaissance mais il est dans un environnement hostile, comme aujourd’hui. Alors qu’il vient de recouvrer la vue et qu’il est sur un nouveau chemin d’humanité, il est expulsé, exclu de la communauté, tel un contagieux… Sa vie n’est pas plus facile après qu’avant… Mais parce que cet homme est bien plus qu’un aveugle qui a recouvré sa vue, il est fort de cette expérience d’engagement, d’affirmation de foi en la vie et rien ne le fera changer. Cet homme est désormais debout. Quelque chose est en train de naître en lui.

Il se découvre l’ami de Dieu

Et voilà que Jésus pour la deuxième fois a l’initiative (v.35). Il vient à lui pour se faire reconnaître comme le Fils de l’Homme. A la question bouleversante : « Toi, crois-tu, au Fils de l’homme ? », il répond : « Je crois, Seigneur ». C’est là, le jaillissement d’une lumière intérieure… Cet homme découvre qu’il est l’ami de Dieu.

Alors, ne sommes-nous pas au creux d’une interpellation propre à notre carême ? Elle rejoint l’humain en nous dans ce qu’il a de plus grand et de plus beau à offrir, sa capacité d’aimer. C’est le lieu privilégié pour témoigner de la Bonne nouvelle, tel un sacrement de la vie.

Laissons-nous enlever la boue de nos yeux. Jésus vient frapper à notre porte aujourd’hui.

La question n’est plus « où est-il ton Dieu », mais avec l’homme qui a recouvré la vue, nous osons enfin dire en confiance, en ce dimanche de Laetare : « Je crois, Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle».

Amen

4ème dimanche de Carême, de Lætare
Lectures bibliques : 1 Samuel 16, 1b.6-7.10-13a; Psaume 22, 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6; Éphésiens 5, 8-14; Jean 9, 1-41

https://www.cath.ch/homelie-du-22-mars-2020-jn-9-1-41/