Les dents du Covid

Quels sont les points communs entre Les Dents de la mer et le Covid-19? Eh bien il y en a, et même significatifs. Les deux «histoires» ont effectivement leur «monstre». Ils diffèrent en taille, c’est sûr. Le premier est un requin de sept mètres de long. Le second a un diamètre de quelques centièmes de micron (un millionième de mètre).

Ils sont tous deux meurtriers, bien que n’exerçant pas dans la même catégorie. Le requin du film de 1975 fait une dizaine de victimes. Alors que le SARS-CoV-2 a déjà tué plus de 50’000 personnes sur le globe, en cinq mois.

Des «monstres» assez différents donc, mais qui mettent l’être humain devant le même type d’enjeu.

Un petit rappel de l’histoire de Jaws (le titre anglais des Dents de la mer): Alors que le corps déchiqueté d’une femme a été découvert sur une plage de la petite île balnéaire d’Amity, le shérif des lieux, Martin Brody, pressentant qu’il s’agit d’une attaque de requin, demande que les plages soient fermées à la baignade. Le conseil municipal et notamment le maire, Larry Vaughn, refusent de le faire, craignant pour l’économie de la bourgade, alors que la saison touristique vient de commencer. Dans le film, cette malheureuse décision coûte la vie à plusieurs personnes, dont un enfant de 12 ans.

Pas besoin d’être un consommateur de cinéma américain pour distinguer, dans ce genre d’affaires, le bien du mal. L’éthique chrétienne enjoint naturellement à mettre la vie humaine au-dessus de toute autre considération. Alors que le politicien texan Dan Patrick disait, mi-mars 2020, «préférer que les vieux (dont lui-même, ndlr) meurent plutôt que l’Amérique ferme», le pape François a qualifié le fait de privilégier l’économie à un «génocide viral». Quelques jours avant, le pontife avait rappelé le cœur du message de l’encyclique de Jean Paul II Evangelium Vitae (1995), selon lequel chaque vie humaine, qui est unique, «constitue une valeur inestimable».

«La créature marine n’est que ‘la révélatrice’ des comportements méprisables (et héroïques) des humains»

Le cinéma, c’est bien connu, en particulier grand public, est un vecteur et un révélateur puissant des schémas de pensée archétypiques des sociétés. Ils reflètent, souvent en filigrane, nos aspirations morales et éthiques. En l’occurrence, pour le cinéma américain, les peurs, les espoirs et les croyances de l’homme occidental.

Au cœur de Jaws, il y a bien une véritable morale. Que l’on pourrait qualifier de «bateau», car elle se retrouve dans d’autres films dits «de monstres»: le requin, l’alien ou le zombie, bien qu’ils représentent les entités à combattre et à détruire, ne sont jamais «les vrai méchants» de l’histoire. Le spectateur est amené à comprendre que le mal se cache en l’homme lui-même. Par exemple, dans le film de Steven Spielberg, la créature marine n’est que «la révélatrice» des comportements méprisables (et héroïques) des humains. Concernant le maire Vaughn, sa cupidité et son goût du pouvoir – puisqu’il craint de ne pas être réélu s’il mécontente les commerçants – sont ainsi mis au pilori.

En référence à la situation actuelle, toute ressemblance entre le maire Vaughn et certains dirigeants ou partis politiques existants du Brésil, des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou même de Suisse est bien sûr fortuite. Quand retombera le rideau sur le «Covid-19», on se demandera toutefois sans doute où sont les «bons» et où sont les «méchants».

Raphaël Zbinden

5 avril 2020

Portail catholique suisse

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