Mgr Lovey: «Le jeûne de l’eucharistie est très rude!»

La pandémie de coronavirus a imposé, avec l’interdiction des rassemblements, le jeûne forcé de l’eucharistie aux chrétiens. Un carême inédit et difficile à vivre, mais Mgr Jean-Marie Lovey, l’évêque de Sion, y voit une forme de pénitence qui nous fera retrouver «un goût plus fort» à la communion et la joie des retrouvailles dans les communautés, une fois la crise passée.

Mgr Jean-Marie Lovey, évêque de Sion | © Bernard Hallet

Ce carême s’achève d’une manière inattendue: avec l’annulation des messes, les fidèles se sont vus imposer le jeûne de l’eucharistie.
Mgr Jean-Marie Lovey: La pandémie de coronavirus nous empêche de célébrer l’eucharistie et pour les chrétiens, ne pas participer à la messe dominicale, plus particulièrement pendant le temps pascal, est plus qu’une frustration. C’est un drame, tant la participation à la messe est essentielle pour les chrétiens!
«Pour nous, disaient les premiers chrétiens, sans le dimanche, nous ne pouvons pas vivre». Le dimanche est au cœur de l’expression la plus forte de la vie chrétienne, une communauté qui se rassemble pour célébrer le Christ mort et ressuscité. C’est essentiel! Je dirais avec confiance, qu’il faut accueillir cette crise comme un signe possible d’une autre forme de présence de Dieu. Il ne nous abandonne pas.

Le jeûne alimentaire s’accompagne cette année d’un jeûne spirituel avec la privation de l’eucharistie. Peut-on parler d’un carême total?
La privation de l’eucharistie est une forme de jeûne extrêmement rude. Mais il faut dire qu’il y a, en parallèle de l’eucharistie, des lieux de ressourcement possible, des lieux où Dieu se dit et se donne et où le chrétien peut se ressourcer. Je pense notamment à la prière. D’autres formes de prière ont pris beaucoup d’ampleur durant ce carême. La Parole de Dieu est une richesse. Elle est nourrissante, le Christ se transmet, se donne à travers l’eucharistie mais aussi à travers l’Evangile. C’est une nourriture réelle de retrouver ce chemin-là comme un chemin nourrissant. Cela a du sens.

«Je dirais qu’il faut accueillir cette crise comme un signe possible d’une autre forme de présence de Dieu.»

Mais ne dit-on pas que l’eucharistie est le sommet de la vie chrétienne?
Quand tout va bien et qu’on peut célébrer l’eucharistie, dans le meilleur des cas, sans juger les personnes, la célébration nous fait du bien et nous conforte car il y a une réelle présence du Christ et puis on se gargarise de vivre bien ce temps de célébration. Mais est-ce que j’y mets ma propre vie, dans l’eucharistie? Elle est d’abord l’offrande du Christ pour l’humanité à son Père, il se donne totalement, corps et sang. Ce sacrifice, ce corps du Christ ne le sera pas totalement si je n’y mets pas mon propre sang, ma vie. Le sang du Christ sera encore exsangue si je ne mêle pas à la célébration de l’eucharistie ma propre existence. Actuellement, alors que la communauté est privée de cette célébration, il reste la possibilité d’offrir son corps, son sang, sa personne, son humanité à Dieu et cette démarche est eucharistique.

Est-ce que vous faites allusion à la communion de désir?
Oui, et il est important, lorsqu’on suit une messe à la radio ou à la télévision, de pouvoir participer au plus juste en disant à Dieu notre désir de le recevoir alors que nous sommes dans l’incapacité de le faire. Notre cœur est disposé à le recevoir et on le lui demande comme une grâce. Il y a quelque chose de très spécifique qui est offert. Non pas une grâce sacramentelle en tant que telle, mais un signe de la bienveillance de Dieu qui nous vient en retour. Il est facile à comprendre qu’il peut y avoir communion sacramentelle sans une grande présence consciente et engagée de la part de celui qui reçoit l’eucharistie, tout comme il peut y avoir absence de communion physique mais un immense désir qui s’exprime dans le cœur de la personne. Sans doute le cœur de Dieu est-il davantage touché dans le second cas.

Le jeûne est censé nous rapprocher de Dieu, celui de l’eucharistie nous en éloignerait-il?
Il faut appeler les choses par leur nom: nous vivons un réel éloignement puisque la démarche n’est pas possible. Ce qui est important: que fait-on dans ces circonstances? Les événements se présentent les uns après les autres, totalement imprévisibles. Qu’est-ce que je deviens à travers ces événements? Si je suis accablé ou écrasé et si je perds toutes mes facultés, c’est destructeur. Mais si à travers cette épreuve, je peux grandir, je peux confirmer des potentialités de ma foi demeurées enfouies, cela peut me renouveler.
Il faut envisager qu’à travers le jeûne, étant privé de l’eucharistie, mon désir de recevoir le Christ peut s’approfondir. Si ma faim et ma soif s’aiguisent, mon cœur se tourne encore davantage vers Dieu et que ma prière devient plus suppliante, plus reconnaissante pour les petits cadeaux que je ne vois pas habituellement, je pense que ce jeûne est fécond. Il ouvre des pans entiers de notre vie humaine qu’on met assez facilement de côté. Alors que si je participe à l’eucharistie et que je le fais sincèrement, sans plus, cela peut être assez stérile.

«Il faut envisager qu’à travers le jeûne, étant privé de l’eucharistie, mon désir de recevoir le Christ peut s’approfondir.»

Peut-on parler d’une pénitence pour nous redonner goût à l’eucharistie?
Oui. J’ai connu un prêtre qui avait vécu quelques temps avec une communauté pastorale en paroisse et ce groupe avait décidé de ne plus célébrer la messe pour avoir ensuite plus de goût à la célébrer quand la communauté serait présente. Une espèce de pénitence pour approfondir le désir et le goût de l’eucharistie. Si l’on peut accueillir cette pandémie comme un temps de privation et donc de pénitence par apport à l’eucharistie, on y retrouvera un goût plus fort.

Le jeûne de l’eucharistie n’est-il pas aussi le «jeûne» de la communauté?
Oui, d’ailleurs quand les chrétiens du premier temps disaient ne pas pouvoir vivre sans le dimanche, ils parlent aussi de la communauté. On parle de privation de l’autre qui est aussi un lieu de nourriture. Nous nous nourrissons les uns des autres et nous avons réellement besoin du témoignage de nos frères et sœurs qui participent à la même célébration.
L’Eglise est un corps qui se construit et dont chaque pierre est appelée à être pierre vivante et avoir sa place et sa fonction dans l’ensemble. Si cette période pouvait faire jaillir des trésors d’amitié des trésors de simplicité dans les relations humaines, ce serait magnifique! Peut-être nous faut-il découvrir d’autres lieux, d’autres moyens de vivifier ces liens. Il faut les nourrir, les réseaux sociaux permettent cela. Il faut prendre des nouvelles les uns des autres. C’est porteur. Nous en avons besoin.

«Si l’on peut accueillir cette pandémie comme un temps de privation et donc de pénitence par apport à l’eucharistie, on y retrouvera un goût plus fort.»

Comment vivez-vous cette situation en tant que prêtre qui célébrez face caméra sans assemblée?
Devant les caméras, nous devons prendre conscience de la présence multiple et nombreuse de gens qui sont chez eux, devant la télévision et en prière. C’est un petit exercice mental et intellectuel de se dire que je ne suis pas seul dans la chapelle vide. Je suis en lien et en communion avec une immense paroisse à travers les ondes et notre prière monte vers Dieu.

On imagine la joie des retrouvailles, une fois la crise sanitaire passée
Je crois qu’il y aura beaucoup d’émotion, dans la mesure où on a creusé le désir; il y a une attente qui sera comblée par la présence des uns aux autres. Nous allons reconnaître que l’autre nous est indispensable, qu’il nous est important dans la vie spirituelle, à l’opposé d’un pan culturel marqué par l’individualisme. Nous nous dirons les uns aux autres ce que Dieu dit à son peuple: «Tu as du prix à mes yeux». (cath.ch/bh)

Bernard Hallet

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