Ramadan 2020: moins de rituel, plus de spirituel

Les musulmans de Suisse romande et de nombreux endroits du monde débutent, le 24 avril 2020, un mois de Ramadan en confinement. Une situation qui complique les dimensions rituelle et communautaire de l’événement, mais qui peut avoir des avantages au plan spirituel, confirment des figures religieuses romandes.

«Le confinement en cas d’épidémie fait partie de la tradition islamique», note Hafid Ouardiri. Le directeur de la Fondation de l’entre-connaissance, basée à Genève, explique que cette tradition appelle les musulmans à rester 40 jours à la maison ou à ne pas rentrer chez eux si une maladie se propage.

Hafid Ouardiri, président de la Fondation pour l’entre-connaissance à Genève | © Keystone

Selon lui, les personnes de confessions musulmanes en Suisse romande comprennent tout à fait le sens des restrictions imposées depuis le début de la crise sanitaire. La fondation de Hafid Ouardiri s’occupe de relayer ce message de respect des directives publiques aux musulmans de la région de Genève. Il rappelle qu’éviter de se mettre en danger soi-même ainsi que les autres est un principe du Coran. «Il faut d’abord préserver la vie».

Il enjoint également à ne pas se plaindre de la situation. «Notre confinement est douillet comparé à celui de beaucoup de personnes», dans le monde, mais aussi en Suisse. En cette période de Ramadan, où tout musulman est amené à encore davantage penser à son prochain, il convient de garder cela à l’esprit.

Retour aux origines

Certes, la situation peut être douloureuse pour des personnes qui se sentent d’habitude seules et qui comptent sur les événements collectifs liés au Ramadan pour renforcer leur lien social, note Mohamed Ali Batbout, président des Associations musulmanes de Fribourg (AMF). Mais, sur le plan strictement religieux, la pratique islamique n’a pas absolument besoin de se réaliser dans un cadre collectif. «C’est comme cela que le pratiquaient le Prophète et ses premiers disciples, relève le Fribourgeois. Avec le confinement, nous effectuons donc une sorte de retour aux origines».

Les communautés musulmanes, contrairement aux communautés chrétiennes, de Suisse romande n’ont pas mis en place des dispositifs spécifiques pour vivre les rassemblements à distance, également par manque de moyens. «Fondamentalement, le musulman n’a pas besoin d’une personne particulière extérieure, tel un imam, pour exercer les rituels, confirme Mohamed Ali Batbout. Tout fidèle qui a une connaissance de base de sa religion peut le faire lui-même».

«La situation enlève beaucoup d’éléments perturbateurs que l’on peut avoir dans la vie de tous les jours»

Hafid Ouardiri

Il est clair que des événements importants ne pourront pas avoir lieu. Traditionnellement, le Ramadan commence avec la prière de ‘Tarawih’, la veille du mois sacré. Pendant tout le mois, les musulmans sont censés participer aux prières dans leur mosquée respective. Même chose pour la fête de l’Eid al Fitr, qui clôt le mois sacré. Des rites qui devront être pratiqués à la maison, en raison des interdictions de rassemblement.

Une contrainte qui peut également s’avérer constructive pour Hafid Ouardiri. «En islam, il n’y a pas de limitation territoriale en matière de foi. La prière a la même valeur où qu’elle soit réalisée». Cette situation permettrait en outre de tisser un lien spirituel spécifique à l’intérieur des familles.

Se retrouver avec soi-même

Concrètement, le jeûne, un élément essentiel du Ramadan, n’est pas affecté par le confinement. Pour Hafid Ouardiri, cela peut même avoir des effets bénéfiques. «Le jeûne nous permet d’éviter de nombreux éléments perturbateurs auxquels ont fait face souvent dans la vie de tous les jours. Il rend plus facile de se recentrer sur son être intérieur». Les contraintes actuelles peuvent aussi ramener vers une sobriété et une frugalité de mise dans la tradition islamique et parfois perdue dans la pratique contemporaine du Ramadan. «Dans certains pays, le Ramadan est devenu une fête de la consommation, où les tables doivent être le plus richement garnies, dès la nuit tombée», déplore Hafid Ouardiri.

En cette période où beaucoup de personnes s’inquiètent pour leur santé, Mohamed Ali Batbout rappelle que ne sont astreints au jeûne que ceux qui sont aptes à le suivre. «L’avis du médecin prévaut en tous les cas, assure-t-il. Si un fidèle est empêché de jeûner à cause d’une maladie temporaire, il peut rattraper plus tard son jeûne. S’il s’agit d’une affection chronique, il a d’autres moyens d’accomplir ses obligations, par exemple en compensant avec des dons aux personnes dans le besoin».

Séparés de corps, mais pas de cœurs

Car la charité est également l’un des piliers du mois sacré du Ramadan. Les communautés musulmanes de Suisse romande ont fait en sorte que celle-ci reste praticable malgré la situation. A Genève, par exemple, la Fondation de l’entre-connaissance a organisé, avec l’aide de jeunes volontaires, des distributions de nourriture pour les personnes vivant dans la rue. Elle propose aussi un système de bons à faire valoir dans des magasins d’alimentation, pour les étudiants ou les plus démunis. «Les personnes peuvent venir chercher les bons l’une après l’autre, précise Hafid Ouardiri. Le mot d’ordre est de continuer l’aide, tout en évitant les rassemblements».

Le Genevois espère en tout cas que cette période difficile pourra amener les musulmans et les autres membres de la société à un sursaut d’humanisme et de solidarité. «Nous devons faire en sorte que séparés de corps, nous ne soyons pas séparés de cœurs». (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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