«La crise du coronavirus est une chance pour la sobriété heureuse»

Pour partir A la découverte de la sobriété heureuse, Mayeul Jamin a effectué, de 2016 à 2017, un tour de France à la rencontre de personnes qui ont choisi un mode de vie différent pour préserver la création. Il leur donne la parole dans un livre publié à fin 2019. Engagé aujourd’hui dans un projet de vie communautaire aux portes de Paris, il vit le confinement du coronavirus comme une «chance incroyable».  

Au départ de votre tour de France, vous n’aviez pas un projet très clair.
Mayeul Jamin: Je pensais partir pour six mois, dans une démarche individuelle pour répondre à mes questions personnelles, sans avoir une vision beaucoup plus large. Je voulais me prouver que le mode de vie qu’on appelle la sobriété heureuse était possible en allant à la rencontre de gens qui le vivaient. A l’inverse, je voulais aussi voir leurs difficultés. Le travail de la terre n’est pas quelque chose d’évident. Il ne faut pas l’idéaliser.

De quoi avez-vous vécu durant ce périple qui a finalement duré un an et demi?
Je vivais en partie des aides sociales auxquelles j’avais droit après avoir travaillé un certain temps. Cet argent servait surtout à payer l’essence de ma voiture. Mais j’ai pu compter sur l’hospitalité des gens. Je récupérais aussi les restes invendus dans les marchés. J’admets aujourd’hui qu’il y avait un certain paradoxe à vivre d’allocations de l’Etat et à me déplacer en voiture. Je reconnais que c’était un ‘luxe’.

Quelles ont été vos découvertes importantes?
Je m’attendais à trouver surtout des personnes indifférentes voire hostiles à la religion ainsi qu’à la foi et à l’éthique catholiques qui étaient les miennes. J’ai découvert des gens très ouverts à la vie et à sa transmission, avec souvent des familles nombreuses. J’ai commencé à me rendre compte que la question écologique allait au-delà d’une démarche militante vers une conversion personnelle, que pour changer le monde, il fallait d’abord changer soi-même. Je me suis remis à une échelle personnelle et locale avant de passer à un niveau plus global.

«J’ai commencé à me rendre compte (…) que pour changer le monde, il fallait d’abord changer soi-même.»

Comment est né ce projet de faire un livre à partir de ces rencontres?
Au départ, je n’avais même pas le projet de faire des interviews, ni même d’écrire. J’ai créé mon blog la veille de mon départ dans l’optique d’un journal de bord destiné à ma famille et quelques amis. Peu à peu, lorsque j’ai commencé à interroger les gens, je suis entré dans une démarche plus journalistique. L’idée d’un livre ne m’a été suggérée que plusieurs mois plus tard par un ami qui connaissait un éditeur. C’est ainsi que les éditions du CERF m’ont sollicité. Je ne m’y attendais pas du tout.

A partir de vos expériences vécues, quelle serait votre définition de l’écologie?
La première définition de l’écologie scientifique remonte à la fin du XIXe siècle. Elle est l’étude des relations entre un organisme et son environnement. Dès le départ, nous avons donc la notion de relation. Dans l’encyclique Laudato si, le pape François développe cette idée sur quatre axes: la relation à Dieu, à soi, aux autres et à la création.

Pour moi, c’est l’unité de ces quatre lieux de relations qui définit l’écologie intégrale. Même pour des non-croyants ou des non-chrétiens qui ne partagent pas la relation à Dieu, les autres relations restent centrales. C’est ce qui unit les diverses visions et tendances de l’écologie. Pour un catholique Dieu est relation. Il devient donc évident d’être écologiste.

«En plaçant l’écologie dans une réflexion anthropologique, on s’aperçoit qu’il est question de mesure»

Vous avez repris dans le titre de votre ouvrage la mention de la ‘sobriété heureuse’.
En plaçant l’écologie dans une réflexion anthropologique, on s’aperçoit qu’il est question de mesure comme l’explique le philosophe et mathématicien Olivier Rey. Un de ses livres s’intitule Une question de taille. Cela signifie qu’il faut revenir à une échelle à la mesure de l’homme. Nous sommes partis dans des modes de vie beaucoup trop ‘grands’. Selon moi la question de la sobriété s’inscrit dans ce cadre.

Vous critiquez aussi le fait d’être défini par ce que l’on fait et non pas par ce que l’on est.
Depuis l’écriture du livre, ma réflexion a progressé. Je crois qu’aujourd’hui il faut nuancer et préciser. La question n’est pas si simple. Depuis toujours, l’homme s’est défini par son travail. Il n’est qu’à voir tous les noms de famille qui se réfèrent à un métier. Le problème est plutôt d’être classé par le salaire que nous rapporte notre travail. Les questions du juste salaire et de la redistribution des biens sont plutôt la vraie problématique. On peut aussi évoquer la question de la propriété de son outil de travail. 

En matière de consommation, il faut privilégier le local, même avant le bio | © Mayeul Jamin

Comment voyez-vous la crise du coronavirus qui remet en cause notre système?
Je ne suis ni un philosophe, ni un intellectuel. Il est assez difficile de penser ce qui nous arrive. C’est tout à fait inédit, au moins dans sa vitesse et dans son extension, avec la moitié de la planète confinée. Je constate deux comportements opposés. D’un côté, il y a indéniablement de beaux élans d’entraide et de solidarité. De l’autre il y a la suspicion généralisée, la dénonciation, le fait de voir l’autre comme un danger. Il y a donc à la fois une chance et un risque.

On discute beaucoup de la sortie de crise.
Suite à la prise de conscience liée à la crise va-t-on essayer de changer de modèle société ou va-t-on tout vouloir reprendre comme avant? A mon avis les deux options sont possibles et vont cohabiter. C’est très difficile à prédire.

Pour beaucoup la crise est due à la mondialisation et à la technologie.
La crise est sans doute aggravée par le système de la mondialisation des échanges. Mais il faut reconnaître aussi que ce système nous fournit les moyens de lutter contre la pandémie. Pensons simplement aux masques et au matériel médical fournis par la Chine aujourd’hui. Un rejet massif du système ou des technologies actuelles ne ferait donc pas sens. Nous nous appelons sur un portable, nous communiquons par internet… Par contre, nous devons nous poser constamment la question de la mesure des moyens que nous utilisons. Même si nos comportements sont parfois paradoxaux. Aujourd’hui, nous sommes satisfaits d’avoir des supermarchés encore ouverts et qui offrent un approvisionnement suffisant.

La crise peut aussi représenter une opportunité.
J’ai d’abord été très en colère de la fermeture des marchés en plein air. Je ne voyais pas en quoi le risque de contamination était plus grand que dans les supermarchés et je considérais comme injuste de priver les producteurs de leurs revenus. Avant de m’apercevoir que les producteurs ont été capables de développer d’autres moyens de distribution: vente à la ferme, livraison à domicile, paniers de fruits ou de légumes etc. Je dois même avouer en avoir profité personnellement puisque j’ai trouvé un emploi pour tenir la boutique d’un paysan qui fait de la vente à la ferme et qui a engagé trois personnes pour cela. En outre, beaucoup de gens ont redécouvert le producteur qui habite à côté de chez eux au lieu de se rendre au supermarché.

«En termes de consommation, je pense qu’il faut privilégier le local, avant même le bio»

C’est le retour du local.
Encore une fois, nous revenons à cette question de mesure ou d’échelle. En termes de consommation, je pense qu’il faut privilégier le local, avant même le bio. Je préfère acheter un produit local plutôt qu’un produit bio venu de l’autre bout de la planète. En outre, si je connais le producteur, je pourrai aussi l’interroger sur ses modes de production, pour l’encourager vers quelque chose de moins polluant et de plus sain.

Une maison avec un potager, où partager cette réflexion, mener une vie communautaire et spirituelle | © Mayeul Jamin

Vous avez développé depuis quelques mois, avec un petit groupe d’amis, un projet de vie communautaire. Ne ressemble-t-il pas beaucoup à une vie monastique ou religieuse?
C’est un débat. Mais je prendrais la question par l’autre bout. N’est-ce pas dommage que la vie communautaire soit aujourd’hui quasiment le seul fait des monastères? Pourquoi ne pourrait-elle pas s’épanouir ailleurs et autrement. Un petit village, une paroisse sont des communautés.
Cela dit, notre communauté a quelque chose de monastique avec la prière en commun plusieurs fois par jour et la mutualisation des biens. Mais nous conservons tous une activité externe et nous n’avons pas de production artisanale ou commerciale propre. Cependant nous ne fonctionnons que depuis septembre 2019, tout peut donc évoluer.

Votre communauté a aussi été confronté au confinement sanitaire.
Aucun de nous a décidé de retourner dans sa famille. Nous sommes donc tous restés et nous sommes neuf dans la maison. Cela a été une vraie chance pour renforcer les temps communautaires. En temps normal, nous étions tous aspirés par nos activités personnelles, pour la plupart à Paris qui est assez proche.    
En outre, et j’ai un peu honte de l’avouer, être confiné dans un appartement avec son balcon pour seul horizon n’a pas grand-chose à voir avec être confiné dans un parc forestier de 24 hectares. Nous avons réorganisé notre fonctionnement avec les repas en commun et leur préparation, le ménage, les courses etc. Enfin, nous avons même pu introduire une prière commune du milieu du jour. Nous avons vécu ensemble une très belle Semaine-Sainte durant laquelle le sentiment communautaire a été très fort.   

«Je crois profondément que la question de la vie communautaire peut être posée à tout le monde»

Vous vivez donc ce confinement comme une chance.
Même si nous sommes séparés de nos proches, inquiets pour eux et tristes de ne pas le voir, nous avons une chance incroyable. A contrario, une vie communautaire plus intense met aussi plus en relief les défauts, les miens et ceux des autres. Je pense que cela nous aidera dans notre réflexion et notre cheminement futur.

Comment cet idéal communautaire peut-il être partagé dans un cadre plus large?
Je crois profondément que la question de la vie communautaire peut être posée à tout le monde. Je reprends toujours la notion d’échelle. Entre un monastère et un village, il y a un degré de vie communautaire différent. L’individualisme des grands ensembles où l’on connaît à peine son voisin doit être dépassé. Quand on habite à Paris, on ne peut pas connaître les millions de personnes qui y vivent. Cela rejoint aussi la question de la relation et donc de l’écologie. (cath.ch/mp)  

Mayeul Jamin 
«J’ai toujours fuit les parcours conventionnels, sans forcément être capable de dire pourquoi à l’époque, explique Mayeul Jamin. Après un collège agité et peu travailleur, je décide de partir en lycée professionnel pour y apprendre l’ébénisterie. Je passe ensuite quelques mois dans l’Aude chez un artisan-paysan, le temps de découvrir un mode de vie que je n’imaginais pas possible.
Retour à Paris pour quelques mois de galère, avant de trouver un travail en isolation de fenêtres anciennes.
Mais après un an, j’estime en avoir fait le tour et je romps mon contrat pour débuter en 2016 un tour de France de l’écologie. Je le termine en août 2017 et me lance alors dans une année d’études en philosophie et théologie à l’institut Philanthropos, à Fribourg en Suisse. Je reste à Fribourg pour travailler, avec un ami, à relancer l’activité agricole et artisanale dans deux monastères jusqu’en décembre 2018.
Je rentre alors en France pour fonder, à la rentrée de septembre 2019, la communauté Sainte-Angèle Merici, dans les murs du Foyer de Charité de la Part-Dieu, havre de 24 hectares de nature aux portes de Paris, à Poissy. Une maison avec un potager, où partager cette réflexion, mener une vie communautaire et spirituelle, en priant l’office du jour, avec le projet de monter un patronage avec la paroisse d’à côté dans la cité HLM voisine.

A la découverte de la sobriété heureuse
Le projet de ce livre? Raconter simplement la vie de gens simples. Cet ouvrage dévoile l’histoire de personnes qui, aujourd’hui en France, tentent de préserver la création.
Il s’agit d’une galerie de portraits: Avec Ségolène, restauratrice de livres anciens; Luc, troubadour des temps modernes et ancien candidat de The Voice; Daniel, astro-poète boulanger; Josué, fabriquant de yourtes; ou encore Massoud, maçon rénovateur de châteaux…
Tous vivent simplement, différemment. Leur vie, dans des petits villages, des communautés, des monastères est la preuve qu’un autre monde est possible.  

Mayeul Jamin: A la découverte de la sobriété heureuse, Paris 2019, Editions du Cerf.

Maurice Page

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