Coronavirus: la presse catholique tire son épingle du jeu

Avec la pandémie de coronavirus, la presse écrite traverse une crise sans précédent alors qu’elle n’a jamais été autant consultée. L’effondrement de la publicité fait craindre le pire pour les titres romands. Dans ce marasme, les publications à orientation chrétienne, notamment les journaux paroissiaux ou encore l’Echo Magazine, s’en sortent mieux que la presse généraliste. Du moins pour le moment.

«Nous avons hésité avant de prendre la décision de continuer à publier le journal paroissial. A la rédaction, nous avons estimé qu’il était important de maintenir le lien avec les paroissiens», confie Yasmina Pot, responsable du journal paroissial Essentiel du secteur Monthey – édité par Saint-Augustin, dans le Chablais valaisan.

Les mesures de semi-confinement pour lutter contre l’épidémie de coronavirus, annoncées mi-mars par le Conseil fédéral, ont mis les rédactions des journaux paroissiaux en ébullition. En effet, l’interdiction de rassemblement a mis un coup d’arrêt à la célébration des messes et aux activités paroissiales. Dès lors, plus d’agenda, plus de messes à annoncer ni de compte-rendu, entre autres, de confirmation ou de première communion à publier. Passée la stupeur, les rédactions ont remanié leur chemin de fer dans l’urgence pour finalement sortir début avril.

Elles ont été encouragées en cela par le rédacteur en chef des journaux paroissiaux Nicolas Maury. Il a envoyé un mail à toutes les équipes pour les inciter à sortir malgré la crise sanitaire. «Ce n’est pas parce qu’il y avait le coronavirus que la vie des paroisses s’arrêtait complètement. Elle se vit différemment».

Adaptation en urgence des contenus

De leur côté, les équipes de Saint-Augustin ont connu une montée d’adrénaline en attendant de savoir si le confinement total serait prononcé. «Auquel cas les imprimeries fermaient et nous devions tout arrêter. Ça aurait été une catastrophe pour nous et pour les paroisses».

Nicolas Maury, rédacteur en chef des journaux paroissiaux lors de la journée | © B. Hallet

La situation s’est avérée compliquée à gérer pour des équipes dont la majorité ne sont pas composées de journalistes professionnels. L’annonce du semi-confinement est en effet tombée entre la remise des épreuves et le bouclage pour certaines éditions alors que d’autres étaient déjà imprimées – la périodicité des bulletins n’est pas la même dans tous les secteurs.

«La décision de semi-confinement a eu un impact important dans la production des journaux du mois d’avril. Dès l’annonce de la suspension des messes et d’entente avec les imprimeries, nous avons pris la décision d’interrompre l’impression des bulletins pour laisser le temps aux équipes d’adapter leur contenu à l’actualité».

Les rédactions ont rapidement réagi et tous les journaux sont sortis en avril, «certes avec un peu de retard et parfois avec une pagination réduite, mais ils sont sortis». Un motif de satisfaction pour Nicolas Maury.

«Nous avons eu des retours très positifs des paroissiens heureux de trouver leur bulletin dans la boîte aux lettres, indique pour sa part Yasmina Pot. Ces témoignages et le soutien de Nicolas Maury nous ont encouragés à continuer».

Rédactions en télétravail

Le rédacteur en chef annonce fièrement de «bons bulletins» pour le mois de mai: «Les équipes ont su saisir l’opportunité que présentait cette crise sanitaire pour produire des articles originaux, s’enthousiasme-t-il. Le rendu est très bon, avec des témoignages très personnels et très intéressants à lire». Il évoque l’avantage de l’ancrage local des équipes et la force de l’information de proximité. Certains bulletins ont gardé une pagination réduite et, à l’exception d’un journal, toutes les éditions romandes seront dans les boîtes aux lettres début mai.

Cela a montré d’une part la grande faculté d’adaptation des équipes, insiste Nicolas Maury et, d’autre part, qu’il n’y a pas que des agendas et des horaires de messe dans les journaux paroissiaux. Il espère même que les contenus de l’édition de mai séduiront de futurs abonnés.

Brigitte Deslarzes, responsable de l’Essentiel/Arc-En-Sierre espère que la suspension des messes ne va pas s’éterniser. «Sans événements d’Eglise à annoncer, nous sommes privés de notre identité de journal catholique. Il est difficile pour nous de faire un journal qui ressemble plus à un journal laïc, même si nous avons fait témoigner les religieuses de Géronde sur la manière dont elles vivent la crise. Cela dit, il n’est pas question de laisser tomber les paroissiens qui attendent leur journal». Elle avait à cœur, avec son équipe, de continuer à publier des contenus «moins anxiogènes» que ce que les médias diffusent actuellement.

Pour assurer la publication des journaux, l’équipe de Saint-Augustin a dû se réorganiser. Les metteurs en page ont pu continuer à venir à la rédaction de Saint-Maurice. «L’espace y est suffisant pour travailler selon les normes en vigueur avec masques et gel hydro-alcoolique». La rédaction qui produit le cahier romand est en revanche passée au télétravail.

Excepté le passage mouvementé en mode «coronavirus», les journaux paroissiaux ont continué à sortir des imprimeries normalement. La structure des journaux explique cette continuité: des rédactions locales rédigent les contenus. Les équipes étant bénévoles, la question du chômage partiel ne s’est pas posée. Les bulletins sont vendus uniquement sur abonnement. Un atout en ces temps de crise sanitaire qui laisse Nicolas Maury serein pour la suite.

Sérénité à l’Echo Magazine

Aude Pidoux, rédactrice en chef de l’hebdomadaire L’Echo Magazine, affiche, elle aussi, une certaine sérénité, du moins pour l’instant. A l’inverse de nombreux titres de la presse écrite, l’hebdomadaire culturel qui traite de sujets religieux, n’est pas vendu en kiosque. «Nous ne sommes diffusés que sur abonnement. Ils ont été payés, nous n’avons donc pas de problèmes de liquidité et nous ne sommes pas affectés par la crise… du moins pour l’instant. Nous verrons par la suite comment les choses évoluent dans la période de renouvellement des abonnements».

Aude Pidoux, rédactrice en chef de «L’Echo Magazine». | DR

La rédaction s’est mise en télétravail dès l’annonce des mesures sanitaires prononcées par le Conseil fédéral. La rédaction a pu se concentrer sur le contenu du journal. «J’ai souhaité garder un équilibre entre les nouvelles en lien direct avec la pandémie et des sujets qui l’expliquent avec du recul et des articles ‘bonne nouvelle'». Les retours ont été très positifs. La rédaction a reçu de nombreux remerciements de lecteurs contents de ne pas avoir été saturés de coronavirus.

La rédactrice en chef a craint un moment de devoir réduire la pagination du journal. «C’est le contraire qui s’est produit: n’ayant plus à nous déplacer, nous avons même plus de matière qu’en temps normal. Le journal se remplit très vite. Les journalistes ont le temps de rédiger des articles approfondis». Il n’a pas été question de chômage partiel quand tant de rédactions en Suisse romande ont dû y recourir.

La crise sanitaire a eu pour effet d’accélérer le développement du site internet de l’hebdomadaire genevois, jusque-là embryonnaire. Ne sachant pas si les imprimeries allaient pouvoir poursuivre leur activité, Dominique-Anne Puenzieux, la directrice de Saripresse – qui édite L’Echo Magazine – a décidé de développer le site.

«La refonte du site était prévue. C’est une base. Il n’a pas l’apparence que nous avions imaginée mais il a fallu faire vite. Il était impératif de garantir la livraison du journal sous forme digitale à nos abonnés en cas de fermeture des imprimeries». La nouvelle version de la plateforme a vu le jour en une semaine.

Ce renouvellement s’est avéré utile, notamment pour les abonnés à l’étranger et Outre-Mer qui n’ont plus reçu leur journal, suite à l’interruption du trafic aérien. Le site a permis de gagner quelques dizaines d’abonnés à la version digitale du magazine.

«Nous avons limité la casse»

Les abonnés de la version ‘print’ restent stables et, bonne nouvelle, la publicité a été peu impactée jusque-là. Alors que le volume de la publicité s’est effondré dans la presse écrite, «nous avons perdu 12% des recettes publicitaires depuis le début de la crise. «Cette faible baisse s’explique par le fait que nous dépendons d’annonceurs régionaux et locaux. Ce qui n’est pas le cas de grands quotidiens ou périodiques qui dépendent des annonceurs nationaux».  

Dominique-Anne Puenzieux, directrice de Saripress | © Bernard Hallet

Les secteurs touchés concernent sans surprise le tourisme et l’événementiel. Les abonnements assurent des revenus stables au journal «et la publicité ne se situe qu’à hauteur de 10% du chiffre d’affaire global de Saripress, contre 50 à 60% dans d’autres titres», détaille la directrice. Des annonceurs sont apparemment restés fidèles au magazine, même en temps de crise.

«Tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, relativise Aude Pidoux, mais nous avons limité la casse». Elle estime que cette crise, pour tragique qu’elle soit, ouvre un laboratoire vraiment intéressant et donne une opportunité de se renouveler et d’apprendre à travailler différemment. Comme par exemple rédiger des articles sur des thèmes qui nous tiennent à cœur, «en osant sortir des diktats journalistiques de l’angle, du timing, de l’actu. Simplement rédiger un sujet passionnant sans se justifier».

«En tant que journaliste, il est très intéressant de vivre cette crise. Nous avons dû apprendre à trouver la manière de l’aborder et de l’expliquer et, fait peu fréquent, nous avons le temps de la faire puisque l’événement dure dans le temps».

«Entre cette qualité professionnelle qu’ils ont donné à voir et la chute de la publicité due à la crise, nous nous situons dans un entre-deux. Les médias ont gagné une grande crédibilité et ont perdu beaucoup d’argent». Un des nombreux paradoxes que cette crise aura engendrés. (cath.ch/bh)

Bernard Hallet

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