La pandémie du Covid-19 submerge les œuvres d'entraide

La pandémie du Covid-19, qui a imposé à la population suisse un semi-confinement depuis le 16 mars 2020, touche de plein fouet les personnes en recherche d’emploi. Elle précipite aussi de nombreuses personnes, qui vivaient déjà auparavant à la limite du minimum vital, dans une situation de grande détresse. C’est le constat commun que font les œuvres d’entraide sur le terrain, comme Caritas Vaud et l’Armée du Salut.

Face à l’irruption du COVID-19, qui touche de plein fouet de nombreuses personnes et familles connaissant déjà des difficultés et confrontés aux premiers appels de personnes en détresse, Caritas Vaud et le Centre Social Protestant (CSP) Vaud ont associé les forces de leurs deux services sociaux. Ils font font face, ensemble, aux demandes d’aides urgentes qui ne cessent d’affluer. Ils viennent en aide, de manière subsidiaire, aux personnes que le coronavirus plonge dans une grande détresse.

Les personnes en situation de précarité encore davantage fragilisées

«Ensemble, nous recevons 30 à 40 appels par jour; nous en avons déjà reçu quelque 600, et nous avons traité 360 demandes. Nous faisons également un travail d’aiguillage vers d’autres services sociaux, par exemple pour ceux qui ont le droit à l’aide sociale», explique Joëlle Jungo, responsable Fundraising et Communication à Caritas Vaud. Même constat de la part de Christine Volet-Sterckx, porte-parole de l’Armée du Salut à Berne, «une Eglise dont la mission est de prêcher l’Evangile de Jésus-Christ et de soulager, en son nom, sans distinction aucune, les détresses humaines».    

La crise du coronavirus fragilise encore davantage les personnes en situation de précarité et met crûment en lumière les inégalités sociales en Suisse, relèvent les œuvres d’entraide issues des Eglises. Les conséquences sanitaires et sociales de COVID-19 ne sont en effet pas les mêmes pour toutes et tous. Elles touchent avant tout les secteurs les plus précaires du monde du travail, notamment où les travailleurs et travailleuses sont au front  et ne peuvent pas faire du télétravail. Les plus exposées sont en majorité des femmes. Parmi les plus précarisées, les personnes migrantes sans-papiers, qui sont plusieurs dizaines de milliers en Suisse.

Travail domestique, hôtellerie, restauration, vente

Les principaux secteurs d’activités occupés par ces personnes fragilisées par la pandémie sont le travail domestique – ménage, garde d’enfant, aide aux seniors ou aux personnes en situation de handicap – l’hôtellerie, la restauration et la vente.

Les salariés les moins bien payés sont de fait les plus touchés par la perte de revenus, car les chômeurs indemnisés ne touchent que 80% du salaire. Quand le montant ainsi «raboté» se situe en-dessous de 3’000 francs, les risques d’endettement, voire de perte de son logement, sont grands, constatent les œuvres d’entraide suisses.

Des ordinateurs pour l‘e-learning

La situation est encore plus dramatique pour les personnes qui ne sont pas déclarées aux assurances sociales: elles n’y ont pas droit. C’est particulièrement le cas pour les femmes migrantes engagées dans des ménages privés, et qui pour la plupart ont été immédiatement «remerciées» sans plus aucun salaire ni indemnités.

Le confinement précarise également leurs enfants, qui, souvent, peuvent difficilement effectuer leur scolarité à distance avec un accès limité aux technologies de l‘e-learning. «Caritas Vaud fournit des ordinateurs à des familles qui n’en ont pas et qui touchent le revenu d’insertion (RI), afin que ces élèves défavorisés puissent suivre l’école à distance», précise Joëlle Jungo.

«L’économie du canton a été secouée, et les personnes les plus exposées sont en particulier les sans-papiers, dont certains travaillent chez nous depuis des années. Notamment les travailleurs et travailleuses domestiques payé-es à l’heure, les femmes de ménages non déclarées, qui ne peuvent bénéficier ni de l’assurance chômage ni de l’aide sociale publique, sans oublier les jeunes qui financent leurs études par de petits boulots qu’ils ont perdus à cause de la crise sanitaire». Et de signaler également le cas de personnes avec des permis B qui, craignant de ne pas voir renouveler leur permis de séjour, ne s’adressent pas à l’aide sociale publique.

De la pauvreté à la précarité

Caritas Vaud et le CSP disposent, pour venir en aide à ceux qui sont en situation de détresse, du Fonds spécial Corona, à hauteur, pour le moment, de CHF 150’000.-. Ce premier montant mis à disposition de ce dispositif est alimenté par leurs fonds propres, une contribution  de l’Entraide Protestante Suisse (EPER) et de la Chaîne du Bonheur par le biais de Caritas Suisse.

Ce fonds est destiné exclusivement au versement d’aides directes: dépannages financiers, prise en charge de certaines factures, de même que la distribution de bons alimentaires auprès des trois Epiceries Caritas d’Yverdon, Vevey et Lausanne.

Caritas Vaud distribue des bons alimentaires auprès des trois Epiceries Caritas d’Yverdon, Vevey et Lausanne | © Caritas Suisse

«Ces aides, pour le plus urgent – le loyer et la nourriture – sont libérées rapidement et sans tracasserie administrative. Mais comme les fonds actuellement disponibles restent limités, Caritas Vaud et le CSP Vaud lancent un appel auprès des institutions privées et publiques du canton afin qu’elles versent des contributions, avec la mention CORONA, au CSP Vaud ou à Caritas Vaud».

5’000 bénéficiaires par semaine

Joëlle Jungo note que la première touchée par les conséquences économiques de la pandémie sont les travailleurs sans-papiers», cette partie «cachée» de la population sans filet de sécurité, qui est définitivement passée de la pauvreté à la précarité. Elle précise également que Caritas Vaud a le mandat de la Ville de Lausanne de gérer la Centrale Alimentaire de la Région Lausannoise (CA-RL), une centrale d’acquisition, de stockage et de conditionnement de denrées alimentaires et produits de première nécessité qui redistribue la nourriture en priorité auprès des 22 associations membres. «La CA-RL vient en aide à quelque 5’000 bénéficiaires par semaine et depuis la crise, les demandes ont augmenté de près de 50%».

L’Armée du Salut redéploie ses activités

«La pandémie nous a aussi forcés à restructurer notre action diaconale dans nos divers postes (paroisses) à travers la Suisse», relève Christine Volet-Sterckx. Elle précise que si l’Armée du Salut a suspendu pour le moment tous les cultes et activités de ses postes, elle a très vite recherché des alternatives.

Les tables ouvertes et les repas communautaires ont été fermés, mais les bénévoles utilisent les mêmes tranches horaires pour distribuer des repas «take away» dans des boîtes. «De nombreux bénévoles s’engagent pour livrer des denrées alimentaires ou maintenir des contacts sociaux avec les personnes confinées».

«Nous collaborons avec les Caritas dans plusieurs cantons. Nous offrons des bons de nourriture, et nous accueillons par téléphone les personnes en situation d’urgence. Nous pouvons les aiguiller si nécessaire vers d’autres intervenants», assure Christine Volet-Sterckx.

L’Armée du Salut en première ligne avec les personnes précarisées | © www.armeedusalut.ch

Active dans le ‘Réseau Solidarités Vaud’

«A Genève, nous distribuons une centaine de repas par jour. A Lausanne, nous sommes dans le ‘Réseau Solidarités Vaud’ notamment avec Caritas Vaud et Point d’appui, l’Espace multiculturel des Eglises. Nous livrons 160 repas cuisinés deux fois par semaine. Le poste de l’Arc Lémanique (Lausanne, Renens et Morges) apporte ces repas à l’aide d’un bus en trois endroits différents. Nous distribuons une fois par semaine des colis de commissions avec des denrées de base».

L’Armée du Salut se fournit, dans le canton de Neuchâtel, auprès de Partage, un collectif de distribution alimentaire à La Chaux-de-Fonds, qui rassemble les invendus de grandes surfaces. Elle reçoit aussi des invendus des Boulangeries Mäder, à Neuchâtel, et Conrad, au Landeron, ainsi que des repas de la restauration d’entreprise Feel Eat.

Répondre à la solitude grandissante

«Mais nous devons aussi répondre à la solitude grandissante chez de nombreuses personnes isolées, en ces temps de confinement. Nous avons lancé une campagne de messages de solidarité pour les personnes isolées, qui se trouve sur notre site à côté du mur de prières. L’interdiction de contact isole encore plus les sans-abris, les personnes âgées et les gens vivant seuls. Celles et ceux qui sont déjà malades sont séparé-e-s de leur environnement social. La crise du coronavirus a changé beaucoup de nos pratiques. Nous avons été très réactifs et nous avons pu amplifier notre action». 

Et Christine Volet-Sterckx de citer l’exemple de l’Hôtel Bel’Espérance, un établissement trois étoiles situé en plein centre de Genève. C’est une entreprise destinée en temps normal à générer des revenus pour l’Armée du Salut. Face à l’annulation de plus de 90% de ses réservations en raison du Covid-19, l’Hôtel Bel’Espérance a proposé des chambres pour les SDF. Vingt chambres ont été mises à la disposition de femmes sans-abri et onze autres ont été attribuées à des mineurs non accompagnés. Dans la ville du bout du lac, l’Armée du Salut et d’autres organisations disposent depuis longtemps de centres d’hébergement d’urgence de quelques dizaines de lits. Mais jamais auparavant un tel service n’avait été fourni vingt-quatre heures sur vingt-quatre. (cath.ch/be)

L’appui de la Chaîne du Bonheur
La Chaîne du Bonheur a décidé de soutenir l’Armée du Salut durant la période de pandémie du COVID-19 avec un don de CHF 500’000. Grâce à ce soutien financier, l’Armée du Salut peut ainsi aider directement plus de 80’000 personnes avec des actions simples comme des distributions de repas, de l’hébergement d’urgence et de l’aide psychologique, sociale et financière.

L’Armée du Salut est proche des personnes qui vivent en marge de la société: sans-abri, personnes vivant déjà dans une situation de précarité avant la crise, personnes seules, familles monoparentales, migrants, ainsi que celles, particulièrement vulnérables, exerçant dans le milieu de la prostitution. Elle les accompagne «de manière inconditionnelle, sans distinction, quelque soient leur religion, leur origine ou leur style de vie». JB

Les plus bas revenus sont les plus touchés
Les secteurs économiques dont les salariés ont les revenus les plus bas sont aussi les plus touchés par le chômage partiel. En Suisse, près de la moitié du chômage partiel provient de ces branches, selon des calculs de l’Union syndicale suisse (USS). Les 1,75 million de salariés inscrits au chômage partiel en Suisse ont perdu en moyenne 600 francs de revenu en ce mois d’avril. Mais selon les premiers calculs de l’USS partagés avec l’émission de la RTS «pour mieux comprendre l’économie» TTC, 44% des travailleurs au chômage partiel proviennent des branches qui paient le moins bien, hôtellerie, restauration et vente en tête. Par contre, les secteurs qui offrent les meilleurs revenus ne sont à l’origine que de 7% du chômage partiel. JB

Aide de Caritas Vaud en avril 2020: témoignages
Madame R.: «Je suis une maman célibataire de deux petites filles (2 et 8 ans). Je travaille à mi-temps en qualité de concierge, avec un petit salaire, et je suis heureusement aidée par les PC-Famille. Malgré le confinement, j’ai dû continuer à travailler et comme les écoles ont fermé, j’ai dû trouver une baby-sitter pour veiller sur mes enfants. Comme cette garde n’est pas délivrée par un service officiel, l’aide sociale refuse de prendre les frais en charge. Et je n’arrive pas à faire face à cette dépense additionnelle». Le Fonds Corona permettra de payer la baby-sitter jusqu’à la réouverture des écoles.

Mme H.: «Originaire d’Albanie, j’ai obtenu mon permis B en début d’année. Je suis séparée et vis avec mes deux enfants en bas âge. Je gagne ma vie en faisant des ménages (déclarés) chez des particuliers. Depuis la pandémie, mes employeurs ne m’embauchent plus et je ne reçois plus aucun salaire. De toute façon, j’aurais dû arrêter de travailler parce que mon fils a des problèmes pulmonaires et je ne peux prendre aucun risque de contamination. Il est trop vulnérable. Je n’ai pas droit au chômage parce que mon permis est trop récent et je n’ai pas accès à l’aide sociale, le risque étant trop grand de perdre mon permis si j’y ai recours». Le Fonds Corona lui a permis de payer son loyer.

Luis: «Je dors depuis trois semaines dans le centre de nuit d’Yverdon-les-Bains, et je suis très heureux d’avoir maintenant aussi un endroit où passer mes journées. C’est un endroit sûr, où je me sens à l’aise. Sans plus de famille, d’origine espagnole, je n’ai plus aucune ressource. Je devais commencer un travail juste au moment où le confinement a été imposé. Je n’ai plus d’argent de côté, plus de logement et pas de permis, ce qui fait que je ne peux pas demander l’aide sociale. Grâce aux structures en place à Yverdon, je vais pouvoir manger tous les jours, dormir tranquille et attendre en toute sérénité la fin du confinement. Parce que je vais pouvoir recommencer à travailler, et dès ce moment-là je vais pouvoir me débrouiller tout seul». JB

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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