Venezuela: un missionnaire tessinois face à une situation dramatique

Au Venezuela, la diffusion du Covid-19 risque de faire exploser une situation socio-économique déjà très difficile. Le confinement imposé par le gouvernement fait craindre un renforcement du contrôle sur les citoyens. Le missionnaire tessinois don Angelo Treccani témoigne d’une situation gravissime pour la grande majorité des Vénézuéliens.

catt.ch/Silvia Guggiari; traduction et adaptation Davide Pesenti

Pour le moment, le coronavirus n’a pas touché de manière frontale le Venezuela. L’invitation à rester à la maison est toutefois en vigueur pour tous les habitants. Mais les mesures d’urgences prises par le gouvernement de Nicolàs Maduro ne font pas l’unanimité.

«La raison de la quarantaine imposée n’est certainement pas d’éviter la propagation de la contagion», explique don Angelo Treccani. Le missionnaire tessinois vit depuis plusieurs décennies dans le pays d’Amérique du Sud. Il y a fondé une exploitation agricole qui bénéficie d’une activité florissante.

Contrôle renforcé

Les injustices du gouvernement vénézuélien, qui a nationalisé les entreprises et les activités locales, sont au centre des critiques. «Le gouvernement, désormais en pleine désintégration, a considéré la mesure de l’isolement comme un autre dispositif pour pouvoir contrôler les citoyens qui, de cette façon, ne peuvent créer ni rassemblements ni manifestations», s’inquiète don Treccani.

Actuellement, le Venezuela a enregistré environ 300 personnes positives au Covid-19 et une dizaine de décès. Si l’épidémie de coronavirus n’a pas ravagé le pays, ce n’est toutefois pas grâce aux mesures mises en œuvre par le gouvernement.

La situation économique, politique et sociale du pays est indescriptible. C’est l’anarchie totale.

«Depuis plus de dix ans, le Venezuela est isolé, rappelle le tessinois émigré. Il n’y a pas de sécurité et le contexte socio-économique dramatique n’attire certainement pas les touristes et les visiteurs».

À ce stade, don Treccani espère donc que la pandémie puisse rester sous contrôle. Car si elle devait frapper avec plus de virulence, ce serait une tragédie pour le pays. «Rien ne fonctionne plus comme auparavant. Les hôpitaux et les cliniques sont depuis longtemps dans une situation désespérée, témoigne-t-il. Les centres médicaux n’ont pas de matériel, et le peu qu’ils ont est vendu par les médecins et les infirmières».

«Anarchie totale»

Le missionnaire tessinois dresse un tableau dramatique de la situation sur place. Dans ce contexte difficile, il essaie quotidiennement de venir en aide aux personnes et aux familles qui souffrent de la faim. Une condition qui touche aujourd’hui presque 90% de la population.

L’essence a disparu. Le peu restant est vendu par les militaires à 3-4 dollars le litre.

«La situation au Venezuela est de plus en plus désespérée, s’exclame don Treccani, presque résigné. En ce moment, la situation économique, politique et sociale du pays est indescriptible. C’est l’anarchie totale! En effet, depuis plusieurs années, l’économie est entre les mains des militaires qui ont exploité les filières de l’alimentation et des produits de première nécessité pour gagner de l’argent», confirme le prêtre suisse italien.

Le manque de ressources à disposition de la population touche tous les domaines de la vie quotidienne. «Et depuis quinze jours, c’est l’essence qui a disparu dans le pays. Le peu qui reste est vendu par les militaires à 3 ou 4 dollars le litre. En ce moment, l’économie est au point mort. Et cela non pas à cause du coronavirus, mais à cause du manque de carburant», assure don Treccani.

Envolée des prix

Les conséquences de cette situation sont particulièrement graves pour les agriculteurs. La carence de carburant a bloqué leurs tracteurs alors que la période de plantation commence.

«Les prix ont été changés en dollars, le coût de la vie a fortement augmenté. Il n’y a pas de gouvernement et les lois ne sont plus respectées. Les industries, les usines et les fermes ont été nationalisées et la corruption est immense dans le pays», explique le missionnaire.

Il y a quelques années encore, le Venezuela était un grand exportateur de maïs et de café. Après les gouvernements de Hugo Chavez et Nicolàs Maduro, le Venezuela s’est retrouvé dans une situation d’extrême urgence. Tous les secteurs économiques ont été dévastés.

«Le Venezuela est maintenant obligé d’importer presque tout», explique don Treccani. Même semer est devenue une activité très compliquée et improductive. Cela, parce que le coût des semailles, entre les mains du gouvernement, est trop élevé».

Population manipulée

Ces dernières années, pas moins de cinq millions de Vénézuéliens ont fui leur pays. Beaucoup sont en train de revenir de Colombie et du Pérou. Par crainte du coronavirus.

«Beaucoup ne se rendent pas compte de la misère dans laquelle ils vivent. Mais ils sont calmes et sereins. Et souvent ils ne se rendent pas compte de la façon dont ils ont été manipulés», explique don Angelo, convaincu qu’une partie de la responsabilité de la situation actuelle vient aussi de ces personnes qui, pendant trop d’années, ont été habituées à tout avoir.

«Le gouvernement vénézuélien, qui disposait de beaucoup d’argent grâce aux revenus de la vente du pétrole, a tout donné en échange de votes. Aujourd’hui, on n’est pas organisé pour faire face à une telle crise et on ne fait rien pour essayer d’en sortir».

Le tessinois don Angelo Treccani est missionnaire au Venezuela depuis presque 40 ans.
| © catt.ch (capture d’écran)

La «farine du père»

Dans ce contexte de grande détresse, la ferme dirigée par l’abbé tessinois semble être un îlot de bien être. On y produit en effet 500 kg de farine par semaine, en plus du sucre brut, du millet, des melons, des pastèques et des bananes.

Depuis les villages environnants, les gens viennent chercher la «farine du père», comme ils appellent la farine qu’on y produit.

Dans son entreprise, don Angelo donne du travail à de nombreux travailleurs vénézuéliens. «C’est une zone agricole, où tout pousse. La terre est fertile, le climat est favorable et il y a beaucoup d’eau», se réjouit-il.

Cependant, la politique agricole du gouvernement et la formation des agriculteurs font défaut au Venezuela. «Il n’y a aucune raison pour qu’un pays aussi fertile ne dispose pas d’assez de nourriture, affirme don Treccani. Et pourtant, il s’est retrouvé dans la misère. Le peuple n’était pas préparé à une telle situation».

L’Eglise au front

L’Eglise catholique a dénoncé cette situation de corruption à plusieurs reprises au fil des ans.

«En réponse, le gouvernement l’a isolée, confirme don Angelo. Bien qu’il ne l’ait jamais persécutée. Car l’attachement de la population à l’Eglise est encore très fort ici. Dans le diocèse où je vis, par exemple, toutes les paroisses ont organisé l’aide aux plus pauvres».

Mais dans ces circonstances de crise, il est difficile de comprendre comment distribuer ces vivres au mieux. «Car en ce moment, même le gouvernement n’a pas les moyens d’aider tout le monde», conclut, soucieux, don Angelo Treccani. (cath.ch/catt/sg/dp)

Davide Pesenti

Portail catholique suisse

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