Le Covid-19 menace des millions d’ouvriers du textile en Asie

Le confinement décrété en Europe a poussé des grandes multinationales du prêt-à-porter à repousser ou annuler un grand nombre de commandes de vêtements aux usines textiles asiatiques, plongeant dans la précarité des millions de travailleurs.

Chiffre d’affaire presque réduit à néant, stocks qui s’accumulent, trésorerie qui fond, etc. En Europe, plusieurs géants du vêtement sont en difficulté en raison de la pandémie. La marque espagnole Zara dont la moitié des 7500 magasins à travers le monde ont dû fermer, admet un impact «très significatif» du Covid-19 sur ses ventes au premier trimestre 2020. Celles de sa concurrente suédoise H&M ont baissé de 46% en mars. En France, le chausseur André est placé en redressement judiciaire tandis qu’une cession totale de La Halle n’est plus exclue: la plateforme qui permettait d’approvisionner les 860 magasins de l’enseigne au départ de l’Asie a fermé, annonce la radio publique France Inter.

Face à la chute brutale de consommation de vêtements dans un Occident confiné, les grandes marques de la mode ont, elles-mêmes, repoussé voire totalement annulé leurs commandes de produits fabriqués en Asie. Au Bangladesh, cela équivaut à au moins 3,1 milliards de dollars de perte, estime l’Association nationale des fabricants et exportateurs de vêtements (BGMEA).

Avec ses équivalents chinois, vietnamien, pakistanais, cambodgien et birman, la BGMEA a plaidé auprès des enseignes de prêt-à-porter. «Il est temps pour les entreprises mondiales de maintenir et d’honorer leur engagement envers les droits du travail, la responsabilité sociale et des chaînes d’approvisionnement durables», écrivent-ils dans un communiqué commun.

Le chômage pour des milliers de travailleurs

Dans ces pays, les annulations et fin mars les mesures de confinement prises par leurs pays ont eu pour conséquence la fermeture d’usines en cascade, avec la crainte de faillite définitive et la mise sur le carreau de milliers d’employés, dont de très nombreuses femmes pauvres venues de zones rurales.

En avril, des ouvriers du textile ont manifesté par milliers dans différentes villes du Bangladesh pour réclamer le paiement de leur salaire. Dans ce pays, le revenu moyen des 4 millions d’employés du textile s’élève à peine à 100 dollars par mois.

Usines rouvertes malgré le Covid

Finalement, des centaines d’usines ont rouvert, malgré le confinement. Selon un porte-parole de la police interrogé par l’AFP, le 25 avril dernier, pas moins de 200 000 ouvriers ont repris le travail dans près de 600 usines d’Ashulia, centre industriel en périphérie de la capitale Dacca. Il y a la peur de ne pas pouvoir honorer les commandes maintenues et de se voir ravir les clients par leurs concurrents asiatiques qui pratiquent également de bas tarifs.

«Certains travailleurs sont rentrés au village sans qu’on ait la capacité de les tracer pour voir s’ils étaient porteurs ou non de symptômes. D’autres usines ont rapidement rouvert et fait revenir les ouvriers mais sans visibilité pour s’assurer qu’ils puissent s’isoler, avoir des masques ou pouvoir prendre un arrêt maladie», affirme Nayla Ajaltouni du collectif Ethique sur l’étiquette.

Le pays compte officiellement 145 morts pour quelque 5.500 cas de contaminations au Covid-19, des chiffres qui pourraient être inférieurs à la réalité. Sept ans après l’effondrement du Rana Plaza, qui avait tué 1127 ouvriers de l’industrie textile le 24 avril 2013, les affaires ont repris et, avec elles, la pression sur les coûts du travail «ce qui implique qu’on produise moins cher pour augmenter les profits et que l’on rogne sur la protection sociale» se désole Nayla Ajaltouni. Parce qu’ils sont «défaillants ou démunis pour instaurer des mesures de protection salariale», certains États «ont fait appel aux entreprises de l’habillement pour qu’elles contribuent à cet effort», précise-t-elle.

L’espoir d’une prise de conscience éthique

Au Bangladesh, les exportations de vêtements fabriqués pour le compte de grandes marques occidentales représentent 84% des exportations totales. Or, dans ce nouvel eldorado depuis l’augmentation des prix en Chine dans les années 1990/2000, «le modèle de développement est presque exclusivement tourné vers l’exportation» et il a été «encouragé par des aides européennes» car il permettait de «fournir des opportunités économiques aux multinationales», explique Nayla Ajaltouni.

«Le collectif Éthique critique un modèle fondé sur la performance et la rémunération des actionnaires aux dépends de l’économie réelle.»

Le collectif Éthique sur l’étiquette estime important de se saisir de la crise née de la pandémie pour repenser la question de «l’interdépendance entre nos modes de consommation et la production de ces biens» pour revoir les modèles de développement avec une nouvelle manière d’envisager «la répartition de la valeur», afin que «les maillons les plus faibles de la chaîne et les moins protégés» ne soient pas les victimes des fluctuations de l’économie. Il critique un modèle fondé sur la performance et la rémunération des actionnaires aux dépends de l’économie réelle.

Avec d’autres organisations associatives telle que le CCFD-Terre solidaire ou syndicales comme la CFDT, Éthique sur l’étiquette a fait pression et obtenu des autorités françaises une «loi de vigilance» adoptée en 2017. Elle a «ouvert une brèche dans l’impunité des multinationales» affirme Nayla Ajaltouni mais son collectif aimerait maintenant qu’une directive européenne réglemente la responsabilité des multinationales vis-à-vis de sa chaîne de sous-traitance. Il espère également que le traité «multinational et droits humains», en cours d’élaboration à l’ONU depuis 2014, puisse être ratifié par le plus grand nombre afin que soit promu un modèle économique qui soit soucieux tant des hommes que de l’environnement. (cath.ch/vatnews/md/cp)

Carole Pirker

Portail catholique suisse

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