Garde suisse: quand le Covid rompt la tradition du 6 mai

Le 6 mai 2020, l’ex garde suisse Christian Richard l’a vécu en pensées avec ses collègues. En raison du Covid-19, leur assermentation n’a pas pu avoir lieu. Il revient sur les 15 ans qu’il a passés dans la Garde pontificale, et sur le livre qu’il y a écrit.

«C’était vraiment une très grande émotion et je crois qu’avec mes collègues, on ne s’est rendu compte qu’à la fin de la cérémonie du serment que nous avions fait». Ce 6 mai 2020, vingt-sept ans après son assermentation, l’ancien garde suisse Christian Richard a eu une pensée pour ses jeunes collègues.

En 1993, il a eu droit à belle cérémonie, celle qui marque chaque année le sacrifice des 147 gardes suisses tombés pour le pape Clément VII, le 6 mai 1527, lors du sac de Rome. Mais cette année, le Covid-19 est passé par là, rompant avec une tradition longue de 492 ans: «Tous les nouveaux gardes qui devaient prêter serment ce 6 mai le feront le 4 octobre, sans exception», soupire-t-il.

Des gardes masqués

Méconnaissable, la place Saint-Pierre à Rome est déserte. Les soldats du pape y montent la garde avec un masque. «C’est le colonel Repond (ndlr. qui a créé les costumes des gardes), qui doit se retourner dans sa tombe, s’exclame-t-il, mais au niveau sanitaire c’est une nécessité, vu la levée de confinement en Italie et la lente reprise du trafic quotidien aux entrées de la Cité du Vatican».

Seule la cérémonie de remise des médailles a été maintenue, celles décernées aux gardes qui ont fidèlement servi le Saint-Siège: «D’habitude, un grand détachement y participe, mais cette année, seuls les gardes concernés y ont pris part, avec, pour représenter l’ensemble du Corps, quatre gardes de chaque région linguistique de la Suisse. C’est triste…».

Des médailles, Christian Richard en a lui-même reçu trois. Il faut dire que le Valaisan originaire de Fully a fait un beau parcours: «J’ai terminé sergent. Le dernier Romand promu à ce grade, précise-t-il avec une pointe de fierté, c’était il y a plus de 34 ans…». 

«J’avais alors onze ans et l’envie de faire quelque chose pour le pape…»

L’attentat contre Jean Paul II

Mais pourquoi garde suisse? «J’avais été très marqué par l’attentat contre le pape Jean Paul II, survenu le 13 mai 1981, se souvient-t-il. J’avais alors onze ans et l’envie de pouvoir faire quelque chose pour le pape…». Parti à Rome pour accomplir ses deux ans réglementaires, il est rentré en Valais quinze ans plus tard.

Pourtant, alors qu’il avait entre 23 et 38 ans, son quotidien s’apparentait à un régime militaire: lever à 6h30, messe à 8h, sans parler des pénibles rondes de nuit: «Nous effectuons un service qui est réparti sur 24h. Donc, la journée, lorsqu’il y a des visiteurs ou des audiences, c’est agréable, mais accomplir le service à 4h du matin ou à minuit, dans les corridors à courant d’air du Palais apostolique, là, il faut de la conviction…»

Cette conviction religieuse, à la base du serment qu’il a prêté, explique aussi la surprise de certains visiteurs: «A Castel Gandolfo, au sud de Rome, je faisais l’escorte de Georges W. Bush, et je me souviens qu’il n’arrivait pas à concevoir que le pape puisse être protégé avec des gardes qui n’avaient qu’une hallebarde et une épée. Il n’avait pas réalisé que notre serment implique réellement le sacrifice de notre vie, si nécessaire…».

Un livre, pour en savoir plus

Pour occuper ses longues heures de service de nuit, Christian Richard s’est aussi mis à travailler à l’écriture d’un livre, «pour en savoir plus sur le service que j’effectuais». Trois mille heures plus tard, il met la dernière main à «La garde suisse pontificale au cours des siècles», publiée en 2019 dans sa version française. 

L’ancien garde Christian Richard (au centre), lors de la messe en souvenir de Jean Paul II, à la cathédrale de Sion, le 20.10.2019 | © DR

Richement illustré, l’ouvrage nous plonge d’abord dans son histoire, de la naissance de la Garde, le 22 janvier 1506 à nos jours, en passant par la fin des Etats pontificaux, en 1870, les accords de Latran de 1929, qui reconnaissaient la souveraineté du Saint-Siège sur la Cité du Vatican, et l’occupation de Rome par les nazis. Le second volet du livre nous dévoile, lui, le visage actuel de la Garde: «Tout le monde connaît la Garde, mais personne ne sait vraiment le service qu’elle effectue à Rome. Cela fait partie du mythe populaire».

Durant ses années au Vatican, de 1993 à 2008, sa position au sein de la Garde lui a permis de côtoyer tous les grands de ce monde: «Un que l’on voyait souvent, s’amuse-t-il, c’était Yasser Arafat. Il se promenait toujours avec son habit militaire et à chaque garde qui le saluait, il répondait au salut». 

Jean Paul II

Le Valaisan, qui a servi douze ans sous Jean Paul II, reste marqué par sa première rencontre: «Je venais d’arriver à Rome et quand il m’a serré la main et regardé dans les yeux, c’est comme s’il me scannait. Avec le temps, j’ai vu cette même émotion chez les personnes qui l’approchaient lors des audiences… C’est indescriptible». Un pape que son passé d’acteur en Pologne avait rendu très proche des personnes, selon Christian Richard, et qui a bousculé le protocole du Vatican: «S’il voyait un enfant, il concluait rapidement sa discussion pour aller le saluer». 

«Lorsque Jean Paul II est décédé, j’ai senti comme quelqu’un de la famille qui partait».

Une proximité telle qu’à sa mort, témoigne-t-il, tous les gardes présents eurent le sentiment d’avoir perdu un membre de leur famillle: «C’est ce qu’on a pu ressentir du fait du lien qui nous unit à lui, par le serment que nous avons effectué. On jure de donner notre vie pour lui. C’est pour ça que lorsqu’il est décédé, j’ai senti comme quelqu’un de la famille qui partait».

Les voyages

Même si le Valaisan n’a servi que deux ans Benoît VXI, ce temps était tout aussi intense, dit-il, car il l’a accompagné en voyage en Turquie et en France: «Vous mangez le soir avec lui. Nous étions une douzaine de personnes. Même un chef d’Etat n’a pas cet honneur-là». Un silence retombe: «Et ça, c’est vraiment des moments auxquels je pense encore aujourd’hui». 

Depuis son retour de Rome, Christian Richard travaille comme technicien à la médiathèque de Sion. Il participe aussi en uniforme à deux ou trois cérémonies par an, comme en octobre dernier, à la messe en l’honneur de Jean Paul II, dans la cathédrale de Sion, ou avant cela à la Fête des Vignerons. 

Garde pour un jour…

Si douze ans le séparent de son expérience romaine, Christian Richard en est aujourd’hui encore habité. Lors du jubilé marquant les 500 ans de la Garde suisse, en 2005, Benoît XIV n’avait-il pas dit: «Le service effectif peut cesser mais au-dedans, on reste toujours garde suisse»? (cath.ch/cp)

> «La garde suisse pontificale au cours des siècles»,
de Christian Richard, 2019, 288p, éd. Faim de siècle

> Christian Richard sera l’invité de l’émission «Babel», le 10.05.2020, à 11h, sur Espace 2

Carole Pirker

Portail catholique suisse

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