Désir de changement et monde nouveau

Dans un petit essai (1), je me suis surpris moi-même à tenir un peu le journal de ma vie avant le confinement. Car nous en sommes tous là: le choc du confinement et les incertitudes du déconfinement nous ont subitement replongés dans notre passé, dans la vie telle qu’elle était «avant».

C’est une donnée fondamentale de l’existence humaine: lorsque l’espérance d’un avenir meilleur s’estompe, nous avons tendance à idéaliser le monde ancien, le monde d’avant. C’est ainsi que je me suis reconstruit des pans entiers de ma vie, pour me redonner du courage, pour retrouver mon assise (2).

Les interrogations contemporaines vont dans le même sens. A force de vivre dans la routine et dans l’insouciance, nous avons construit de nous-mêmes une image stéréotypée, comme si nous vivions de manière naturelle et spontanée dans un monde sans problèmes, sans tensions, sans combats. Devant la violence de la pandémie, nous nous sommes alors repliés sur le bon vieux temps, et nous avons mis toute notre espérance dans un monde «nouveau» qui ressemblerait à s’y méprendre aux schémas confortables d’hier et de jadis.

Or, le paradis sur terre n’a jamais existé. Le royaume de Dieu dont se nourrissent l’espérance juive et l’espérance chrétienne n’est pas un opium du peuple, un «paradise now» dont nous pourrions rêver béatement ou naïvement. Le royaume de Dieu annoncé par Jésus de Nazareth dans sa prédication et dans ses miracles est une force de transformation, une puissance de vie qui vient bouleverser notre existence et critiquer le monde ancien.

«Il s’agit maintenant de revenir à une vie sociale ‘pleine'»

Le confinement dont nous sommes péniblement en train de sortir sur toute la planète ressemble en quelque sorte à l’exil biblique. Nous avons été retirés du monde et des places publiques, interdits de déplacement et de distraction. Nous avons dû nous exiler des restaurants, des théâtres, des stades et même des temples et des églises, tous ces lieux de convivialité et de culture qui forment d’ordinaire le tissu de notre vie sociale. Nous avons dû avaler bien des couleuvres. Accepter, en particulier, cette notion barbare de «distance sociale» ou de «distanciation sociale», comme si une distance physique ou spatiale d’un mètre ou de deux mètres nous éloignait des autres membres de la société! A vrai dire, nous avons continué à cultiver nos liens sociaux, que ce soit par les réseaux sociaux, par le courrier électronique, par le bon vieux téléphone ou par Skype, Zoom et compagnie. Il s’agit maintenant de revenir à une vie sociale «pleine», même si celle que nous avons pu mener auparavant n’a jamais été parfaite ou pleinement satisfaisante.

«Ce monde nouveau nous rappelle l’horizon exigeant et prometteur du royaume de Dieu»

La crise de la pandémie a créé en nous un désir de changement. Nous nous sommes rendu compte que le retour en arrière ne suffisait pas. Ce sont déjà les causes de la pandémie qui nous ont interrogés. Didier Sicard nous a rappelé avec force, dans la revue Esprit du mois d’avril, comment le virus a passé de l’animal à l’homme et comment, dans ce passage, la responsabilité scientifique et morale de l’être humain est totalement engagée. Élargissant son point de vue à toutes les infections, Sicard conclut son analyse par ces mots terribles et justes: «Va-t-on arrêter ces élevages concentrationnaires de poulets et de porcs? En un mot, va-t-on devenir lucide et responsable plutôt que des pompiers indifférents aux départs de feu? Nous faisons tous partie d’un vivant en équilibre, et le détruisons avec mépris par notre appétit de consommation sans limites. Ce n’est pas d’intelligence artificielle que nous avons besoin, mais de l’intelligence de l’humilité» (»La transmission infectieuse d’animal à humain»). Toutes les questions que nous nous posions déjà avant le coronavirus n’en sont devenues que plus pointues au sortir de la crise: comment éviter les erreurs du passé, nos fautes morales de type écologique et économique? Comment trouver un nouveau style de vie, plus responsable et plus pacifique?

Le désir de changement débouche ainsi sur l’espérance d’un monde nouveau. Ce monde nouveau n’est pas un objet idéologique non identifié, une nouvelle idole destinée à faire le buzz et à exciter la curiosité bien-pensante. Ce monde nouveau nous rappelle l’horizon exigeant et prometteur du royaume de Dieu.

Denis Müller

13 mai 2020

(1) Virages. Confinement, désir de changement et monde nouveau, Lyon, Olivétan, 2020.

(2) J’ai poursuivi ainsi la quête commencée dans La marche en avant de l’écrevisse. Mémoires d’un théologien à livre ouvert, Vevey, L’Aire, 2019, ainsi que dans mon essai Dieu. Le désir de toute une vie, Genève, Labor et Fides, 2016.

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