Silvana Bassetti: «L'Eglise doit être la porte-parole des exclus»

Silvana Bassetti est en charge de la communication de l’Eglise catholique romaine de Genève (ECR). Elle est aussi journaliste pour l’agence de presse italienne Ansa. Elle voit dans les récits positifs prônés par le pape l’opportunité de témoigner de ce qui se vit en Eglise, à un moment où l’institution a fait un douloureux travail de transparence sur les cas d’abus sexuels.

Dans l’édito du Courrier pastoral du mois de mars, vous évoquez le peu d’intérêt des journalistes pour le fait religieux et encore moins pour l’Eglise catholique et son actualité, si ce ne sont les scandales. 
Silvana Bassetti: Je me suis posé la question suivante: qu’est-ce que cela signifie quand les évêques suisses prennent position sur le suicide assisté ou, plus récemment, sur l’accueil en Suisses de quelques milliers de requérants d’asile qui vivent dans des conditions indignes en Grèce, et que la presse quotidienne romande n’en donne pas ou peu d’échos? Ces propos ne suscitent pas de réaction. Qu’est-ce que cela signifie lorsque l’on cherche les mots «catholique» ou «Eglise» dans les pages des quotidiens et que les résultats conduisent très souvent aux annonces mortuaires? Je laisse à d’autres les grandes analyses sociologiques, mais cela m’interpelle.

«Dans la confusion des voix et des messages qui nous entourent, nous avons besoin d’un récit humain, qui parle de nous et de la beauté qui nous habite», dit le pape. Qu’en pensez-vous?
Le message du pape est une bonne indication sur ce que l’Eglise doit transmettre. Elle doit donner, comme dit le pape, des récits qui parlent de l’héroïsme ignoré de la vie de tous les jours, du quotidien difficile de tant de personnes, de cette «sainteté ordinaire». Il y a des récits de vie à mettre en lumière. Comme le souligne le pape, la Bible est avant tout un recueil de récits, ce n’est pas un traité, avec une liste de normes, mais un recueil de récits qui résonnent. Jésus a souvent choisi les paraboles pour nous parler. Dans son message, le pape nous demande de donner la priorité à des récits positifs: la voix de l’Eglise doit donc raconter la beauté de la rencontre de l’autre, du frère et de la dignité humaine. Elle doit être aussi la porte-parole des sans-voix, des exclus.

Le pape évoque la nécessité de récits «qui construisent, et non qui détruisent; des récits qui aident à retrouver des racines et la force d’aller de l’avant ensemble». Comment concilier cette nécessité et le devoir de vérité sur les abus commis dans l’Eglise?
L’occultation d’informations, l’ombre et l’ignorance détruisent. L’Eglise a aujourd’hui clairement affirmé qu’elle regrettait d’avoir longtemps dissimulé ce qui se passait. Elle a ensuite affiché sa volonté de dénoncer les faits, d’enquêter, de connaître la vérité. Elle l’a fait, même si ce fut très douloureux sur le moment. Surtout, elle a pris de nombreuses dispositions pour prévenir de nouveaux scandales et les souffrances qu’ils infligent aux victimes et au-delà. La vérité est une condition fondamentale pour aller de l’avant.

«La voix de l’Eglise doit raconter la beauté de la rencontre de l’autre, du frère et de la dignité humaine.»

Outre la pédophilie, la baisse de la pratique religieuse et la déchristianisation de notre société sont régulièrement évoqués quand on parle de l’Eglise. Comment tramer un récit qui raconte la beauté de l’Eglise et sa richesse aussi?
Je crois qu’aujourd’hui la force du message de l’Eglise est avant tout dans le témoignage d’une foi vécue. Cela rejoint le message du pape qui appelle à des récits positifs de rencontre, d’amour du prochain et qui peuvent atteindre les croyants et les non croyants. Il nous faut parler de l’humain. En tant que porte-parole de l’Eglise à Genève, je tente de rendre compte de ce qu’est et de ce que fait l’Eglise dans le canton, des engagements des hommes et des femmes qui agissent dans les nombreux terrains d’action de notre pastorale, avec des témoignages qui éclairent notre message, notre vision de l’humain et du monde. Mais sans faire «la morale» car cette attitude est rejetée par les médias et l’opinion publique, a fortiori après les révélations des abus sexuels. 

Le pape invite à la patience et au discernement «pour redécouvrir des récits qui nous aident à ne pas perdre le fil au milieu des nombreuses afflictions d’aujourd’hui». Les journalistes doivent-il réapprendre à «prendre du temps»?
Dans la profession il y a deux exercices: celui de suivre les événements au fur et à mesure de leur déroulement. C’est le direct. Le rythme est dicté par l’actualité. Et il y a aussi cet autre aspect du travail du journaliste qui consiste à approfondir et prendre du recul, pour élargir le regard sur ce qui se passe. Ces deux exercices, différents et très utiles, participent à une bonne information. Je ne les oppose pas. 
Cela dit, le danger de la vitesse est bien là. Les professionnels de l’information en sont conscients. De nos jours, ils subissent aussi la forte pression d’une information véhiculée par d’autres canaux: les réseaux sociaux, les blogs de «citoyens reporters». C’est une saine concurrence, en dépit du fléau des «fake news». Mais il est d’autant plus important pour les journalistes de se distinguer par un travail approfondi de vérification avant la diffusion de toute information. 

Durant cette crise sanitaire qui éloigne les fidèles des églises et des paroisses, travaillant à la communication de l’ECR, quel a été votre rôle?
Informer. Je me suis fixé pour but d’informer correctement en interne et en externe, en partageant les informations sur les nombreuses initiatives mise sur pied par nos paroisses, nos services et nos aumôneries dans ce contexte inédit, en donnant la parole à quelques fidèles et d’autres témoins. Cela pour mettre en récit cette crise, ce qu’elle nous apporte et ce dont elle nous prive. Nous avons essayé de donner un reflet aussi vaste que possible. Malgré le confinement, qui n’a pas rendu la tâche très aisée, nous avons tenté d’alimenter au mieux notre site, avec des moyens assez limités…

…Mais très rapides. On pense à la messe à la chapelle du vicariat disponible sur Youtube dès le 15 mars. L’Eglise a bel et bien apprivoisé le web et le multimédia.
Nous avons effectivement accru l’offre spirituelle sur le site de l’ECR. Très vite, l’abbé Pascal Desthieux, Vicaire épiscopal, a souhaité diffuser en ligne la messe hebdomadaire dans la chapelle du Vicariat. Nous avons également proposé des méditations quotidiennes signées par des agents pastoraux femmes durant toute la semaine sainte, un texte de l’homélie du dimanche, rédigé chaque semaine par un prêtre différent, des prières. 
Nous sommes toutefois conscients que, durant cette crise sanitaire, ce sont les paroisses, les différents services et les aumôneries, qui ont été et sont en première ligne pour permettre aux personnes de rester en lien avec leur communauté. Et ils ont fait un travail formidable. Le service d’information et de communication du vicariat a eu le rôle de donner de la visibilité à cette mobilisation.
Nous avons ainsi relayé l’offre «digitale» proposée par les services, par exemple celles pour la Montée vers Pâques pour les jeunes ou pour les familles ou encore les offres spirituelles du Service catholique de catéchèse. Nous avons tenté de donner à voir la diversité de notre Eglise à Genève. En cette drôle de période, nous nous sommes épaulés les uns les autres. (cath.ch/bh)

Silvana Bassetti
Silvana Bassetti est née à Rome en 1965. Elle a étudié à l’Institut Universitaire des Hautes Etudes Internationales, à Genève. Depuis 1988, elle travaille en tant que journaliste accréditée auprès de l’ONU et des organisations internationales et est correspondante en Suisse pour l’agence de presse italienne ANSA. Elle est, depuis 2013, déléguée à l’information du Vicariat épiscopal pour le canton de Genève. Elle a pris la responsabilité de l’information du Vicariat épiscopal pour le canton de Genève en 2016.

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

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