L'image de Staline dans la cathédrale des Forces armées a scandalisé

La présence d’une mosaïque représentant Joseph Staline, un sanglant «persécuteur de l’Eglise», sur le mur de la toute nouvelle cathédrale principale des Forces armées russes dans le parc militaire «Patriote» à Koubinka, à 50 kilomètres de Moscou, a profondément divisé les fidèles et l’Eglise orthodoxe russe. Elle est désormais retirée, tout comme l’a été l’effigie du président Poutine.

En raison de l’épidémie de COVID-19, la cathédrale, affichant près de 100 m de haut et couronnée de six dômes dorés – la troisième plus grande église orthodoxe de Russie – n’a pas pu être ouverte le 9 mai 2020 pour les cérémonies à Moscou du 75e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie.

Le métropolite Hilarion, responsable du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, a réagi aux polémiques qui débordent largement la seule Eglise orthodoxe russe. Le «numéro 2» du Patriarcat s’est prononcé à son tour contre la présence d’une image de Staline dans une église orthodoxe, «parce que Staline était un persécuteur de l’Eglise».

Le dictateur a fait des millions de victimes

Staline «a sur la conscience le sang de millions de victimes, y compris les nouveaux martyrs et confesseurs de l’Eglise russe», a déclaré le «ministre des affaires étrangères» de l’Eglise orthodoxe russe, dans l’émission «Eglise et monde» sur la chaîne» de télévision russe Rossiya 24 (VGTRK).

De plus, a-t-il ajouté, une église n’est pas une salle d’exposition, pas un panorama de Borodino [la plus sanglante bataille de la campagne de Russie, opposant la Grande Armée commandée par Napoléon à l’armée impériale russe menée par le feld-maréchal Mikhaïl Koutouzov, le 7 septembre 1812 à 125 kilomètres de Moscou, ndlr], pas l’endroit où les défilés militaires devraient être représentés. «Le temple est un lieu de prière, et je pense que toute la décoration  du temple –  devrait être subordonnée à cet objectif», a-t-il déclaré. 

Les effigies des persécuteurs de l’Eglise n’ont pas leur place dans les églises

Le métropolite Hilarion admet qu’une cathédrale militaire puisse également être un lieu de souvenir, par conséquent, il peut contenir des images liées aux opérations militaires. Mais, estime-t-il,  ces images ne devraient pas être politisées, elles ne devraient pas provoquer de division ou de désaccord. Et, bien sûr, dans les églises, il ne devrait pas y avoir d’effigies des persécuteurs de l’Eglise», a insisté le métropolite.

Des intellectuels russes indignés

Une quarantaine d’intellectuels – professeurs, chercheurs, historiens, publicistes, journalistes, écrivains russes – ont lancé début mai 2020 un appel au patriarche de Moscou et de toute la Russie Cyrille exprimant leur rejet de la présence d’une image de Staline dans l’église principale des Forces armées de la Fédération de Russie. Ils dénoncent la représentation dans cette église d’un portrait de Joseph Staline porté par les participants au défilé de la victoire sur la place Rouge à Moscou. Ils demandent au chef de l’Eglise orthodoxe russe «d’interdire l’image de Staline dans l’église de la Résurrection du Christ, l’église principale des Forces armées de Russie».

«Malgré le fait que cette image ne soit pas une icône, écrivent-ils, l’apparition même du portrait de Staline dans l’Eglise de Dieu, dans un contexte complètement positif et glorifiant, deviendra une tentation pénible pour de nombreux croyants en Russie et dans d’autres pays (…) Toute image positive de Staline dans une église orthodoxe est inévitablement perçue par les chrétiens orthodoxes comme blasphématoire et antichrétienne. Rien d’étonnant à ce que cette image a déjà provoqué un scandale médiatique international!»

Vagues de répressions antireligieuses massives

Et de rappeler que Staline était le chef d’un parti politique qui professait un athéisme militant et qui a mis en œuvre des vagues de répressions antireligieuses massives. «Au cours des décennies de son règne, et avec son consentement, dénoncent-ils, de nombreuses personnes innocentes ont été soumises aux tourments et à la mort, notamment des évêques, des prêtres et des laïcs de l’Eglise orthodoxe russe». Durant la période où il était au pouvoir, la plupart des églises et des monastères ont été détruits ou fermés.

La cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou a été détruite sous Staline le 5 décembre 1931 | wikipedia domaine public

Staline était engagé dans la campagne antireligieuse de 1922-1923, aux côtés de Vladimir Lénine et de Léon Trotzki. Staline a participé à titre personnel à la répression du clergé et des laïcs en 1922 ainsi qu’au procès du patriarche Tikhon. Il est aussi responsable des persécutions antireligieuses à l’époque de la «grande terreur» (1937-1938).

Plus de 100’000 membres du clergé ont péri

Durant toute la période du régime communiste en Union soviétique, plus de 100’000 membres du clergé orthodoxe, dont de nombreux évêques, et des centaines de milliers de laïcs, ont été exécutés ou ont péri dans les camps du goulag soviétique.

Les signataires de l’appel au patriarche de Moscou rappellent que de nombreuses victimes des persécutions staliniennes ont été canonisées et vénérées en tant que nouveaux martyrs et confesseurs de l’Eglise russe. «Par conséquent, l’apparition du portrait de Staline dans une église orthodoxe serait une manifestation de négligence flagrante à l’égard des chrétiens orthodoxes qui ont témoigné de leur fidélité au Christ et ont subi de graves tourments et la mort pour Lui».

Staline, un «Antéchrist»

De plus, argumentent-ils, «pendant son règne, Staline a mis en place un véritable culte de sa propre personnalité et il a reçu des honneurs qui ne peuvent que concerner notre Seigneur Jésus-Christ lui-même».

Dans la doctrine orthodoxe, poursuivent les signataires, une personne qui prétend à la gloire, à l’adoration, à des actions de grâce et à la dévotion, est perçue comme l’Antéchrist. «C’est un faux Christ, l’un des nombreux Antéchrist mentionnés par le saint apôtre Jean le Théologien».

L’archiprêtre Léonide Kalinine, chef du Conseil d’experts de l’Eglise orthodoxe russe sur l’art, l’architecture et les travaux de restauration des églises, a longtemps refusé de faire retirer la mosaïque figurant Staline de l’intérieur de l’église principale des forces armées russes.

«Construite pour unir tous les chrétiens orthodoxes servant dans les forces armées de la Fédération de Russie et pour symboliser la spiritualité des Forces armées russes qui ne dégainent l’épée que pour défendre leur Patrie» Ministère russe de la défense

«Le généralissime Staline»

«Personne ne s’intéresse à la façon dont la Victoire est représentée, tout le monde s’intéresse uniquement à savoir s’il y a Staline ou non. Il sera là ! Il y sera sûrement ! S’ils disent de le retirer, qu’ils le fassent, mais je ne donnerai pas de tels ordres. Je n’ai ni le droit ni l’autorité de déchirer la page du livre d’histoire», déclarait-il encore récemment à l’agence de presse russe Interfax.

«L’histoire de la Russie, son indépendance forgée dans les guerres contre les envahisseurs étrangers, est étroitement liée à l’histoire des cathédrales, des chapelles, des enseignes commémoratives et des complexes architecturaux orthodoxes construits pour rendre hommage aux défenseurs de la Patrie». Ministère russe de la défense

S’il ne nie pas l’ampleur des crimes staliniens, Léonide Kalinine relève qu’en tant que personnage historique, «le généralissime Staline» restera comme commandant suprême, «qu’on le veuille ou non», c’est l’histoire de notre pays et tous les maréchaux de la Victoire ont travaillé sous sa supervision directe».

Un centre intitulé «Armée spirituelle russe»

Le 19 septembre le patriarche de Moscou Cyrille a béni la première pierre de la cathédrale de la Résurrection, en présence du président Vladimir Poutine. Dédié aux forces militaires russes, l’édifice de 95 mètres de haut matérialise les liens très étroits entre l’Eglise orthodoxe russe et les forces armées de la Fédération de Russie. Un musée multimédia ultramoderne à la gloire de l’armée russe ainsi qu’un vaste complexe d’exposition, intitulé «Armée spirituelle russe», ont été construits au sein du complexe de la cathédrale. Il abritera des «expositions uniques consacrées à divers épisodes de l’histoire héroïque de l’armée russe», peut-on lire sur le site du Ministère de la défense de la Fédération de Russie. (cath.ch/be)

Poutine ne figure plus sur les fresques
L’image du président Vladimir Poutine, prévue sur les murs de la cathédrale, a été supprimée, ainsi que celle du ministre de la Défense Sergei Shoigu, du gouverneur de Crimée Sergei Aksyonov et d’autres responsables russes. L’image de Poutine a été ôtée le 5 mai. Les visages des responsables russes étaient au centre de la mosaïque dédiée à l’annexion de la Crimée à la Russie. Maintenant au même endroit se trouvent des images de prêtres. Et une icône a été mise sur l’emplacement où se trouvait le chef de l’Etat, ce qui n’était pas le cas dans la version originale de la mosaïque. Les décorateurs ont de plus remplacé le slogan «Notre Crimée» par la phrase plus neutre «Nous ensemble». La représentation de Staline, qui avait scandalisé plus d’un fidèle, a été remplacée le 7 mai 2020. JB

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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