Pandémie: les paroissiens dessinent des pistes pour l’avenir

À quelques jours de la reprise des célébrations publiques, les paroissiens sortent peu à peu du confinement. Comment l’ont-ils vécu et quel regard portent-il sur la façon dont l’Eglise a géré la pandémie? Tour d’horizon romand.

«La parole chrétienne n’est plus au premier plan de la société, mais le confinement a montré que la soif d’une transcendance existe et que sans les autres, la vie est fade, car c’est la communauté qui rend heureux». Sébastien Baertschi, 39 ans, travaille pour le service de la catéchèse et la pastorale cantonale des jeunes à Genève. Suite à l’annonce du Conseil fédéral autorisant la reprise des célébrations religieuses dès le 28 mai, il se réjouit de pouvoir à nouveau animer la prière œcuménique de Taizé, au temple de Plainpalais.

«Je ne pense pas qu’il y aura foule, car les personnes âgées auront des craintes»

Anne-Lise Gachoud

Si certains, comme l’animateur jeunesse Bernard Voisard, se disent impatients et confiants face à cette reprise, le sentiment partagé reste celui d’une rentrée pas comme les autres: «Bien sûr que je me réjouis, mais ce ne sera pas simple au niveau du dispositif de protection. Faudra-t-il par exemple réserver sa place?», s’interroge de son côté Jean-Paul Glasson, paroissien de l’église Notre-Dame de la Compassion à Bulle (FR) et ancien syndic de la ville. A Villars-sur-Glâne (FR), Anne-Lise Gachoud, 77 ans, estime, elle, «qu’il n’y aura pas foule, car les personnes âgées auront des craintes».

L’appel de la cloche

Elle qui chante à la paroisse Saint-Pierre, se demande si les chœurs pourront reprendre, vu les deux mètres de distance imposées par les nouvelles directives, et l’âge des choristes, tous au-delà de 65 ans: «Pour la Fête-Dieu, le 11 juin, ils ont proposé des choristes plus jeunes qui ne font pas partie des groupes à risque et cette ségrégation a été terriblement mal vécue», lâche-t-elle. «Le fait qu’il ne sera pas possible de reprendre normalement l’activité des chœurs sera douloureux», confirme dans le Jura Bernard Voisard, 45 ans.

«Donner la communion et devoir chaque fois se désinfecter les mains me semble lourd».

Jean-Paul Glasson

Mais l’appel de la cloche sera-t-il plus fort que l’appréhension? Jean-Paul Glasson l’ignore, mais il a décidé d’attendre un peu. A Bulle, il a annoncé à sa paroisse qu’il suspendait son office de ministre extraordinaire de la communion et de lecteur, «car donner la communion et devoir chaque fois se désinfecter les mains me semble lourd».

Alors que les églises mettent en place leur plan de protection pour ouvrir à la Pentecôte, les pratiquants reviennent sur cette étrange période du confinement. «L’office m’a manqué», murmure Philippe Favre, 83 ans, paroissien de l’église Saint-Jean, à Echallens (VD). Nombreux aussi sont celles et ceux qui ont prié tous les jours, comme Anne-Lise Gachoud, isolée et alitée en raison de problèmes de santé. Triste de ne plus pouvoir aller à la messe, elle s’est débrouillée seule pour obtenir la communion à Pâques: «Au niveau de la paroisse, tout était arrêté. C’est une laïque qui m’a apporté quelques hosties dans une custode, mais je ne savais pas si c’était illégal…».

Messe à distance

Pour beaucoup, les vedettes du confinement ont été les messes à distance, «pour garder le lien». En direct ou en «replay», la messe quotidienne du pape François sur la chaîne catholique française KTO, les offices religieux de la RTS et des chaînes françaises, ou encore d’autres services religieux sur Youtube: toutes ont vu leur audience exploser.

Vedettes du confinement, les messes à huis clos appartiendront bientôt au passé. Ici, celle filmée pour la RTS le 10 mai 2020 à l’église St-Loup de Versoix (GE) | © Bernard Litzler

Faire Eglise sur Zoom

Si l’absence de célébrations publiques a pesé, «c’est surtout la dimension communautaire que l’on vit durant la célébration qui a manqué», estime pour sa part le Jurassien Bernard Voisard. Pour faire Eglise, des rencontres se sont ainsi organisées sur Zoom, le logiciel de vidéo-conférence favori de cette pandémie: «On l’a utilisé dès le début du confinement pour la prière commune, raconte Sébastien Baertschi à Genève. Un tiers des personnes qui venaient d’habitude y ont participé et nous allons continuer à la diffuser».

«Il y eu une prise de conscience que l’Eglise, c’est nous, et pas seulement l’institution»

Pierre Frachebourg

Des groupes WhatsApp se sont aussi créées, et de nombreuses initiatives informelles et spontanées ont vu le jour sur les réseaux sociaux: «On a proposé à nos jeunes des films, des quizz, des témoignages sur Instagram, Facebook et le site internet de la pastorale des jeunes du Jura», relate Bernard Voisard. «Il y eu une prise de conscience que l’Eglise, c’est nous, et pas seulement l’institution», résume Pierre Frachebourg, 62 ans, membre de la paroisse de St-Sigismond, dans le secteur de St-Maurice (VS).

L’Eglise a-t-elle maintenu les liens?

Or si les croyants ont maintenu entre eux les liens, l’Eglise ne l’a pas toujours fait avec ses paroissiens. Selon les unités paroissiales, certains se sont sentis en effet accompagnés, tel Philippe Favre, contacté par un prêtre qui a pris de ses nouvelles, alors que d’autres abandonnés: «Ici à Marly, la commune m’a téléphoné, comme à toutes les personnes de plus de 80 ans, mais la paroisse ne l’a pas fait», remarque René Canzali, 83 ans. Même son de cloche à Bulle, où «la paroisse a failli à sa mission de proximité», estime l’ancien syndic Jean-Paul Glasson.

Le constat est aussi celui d’une différence entre générations. Les personnes peu familières des outils numériques se sont senties moins accompagnées que celles, plus jeunes, qui les utilisent au quotidien. Même si, se réjouit Bernard Voisard, «les jeunes n’en pouvaient plus des vidéo-conférences et ont constaté, eux aussi, que l’écran ne pouvait pas remplacer une vraie rencontre, car il manquait toujours quelque chose».

Certains, durant le confinement, ont redécouvert la famille comme Eglise domestique | © archidiocèse de Montréal

Père de sept enfants, Pierre Frachebourg, qui a vécu le confinement comme une occasion de vivre sa foi en famille, a senti les prêtres et les «professionnels» en Eglise désemparés et un peu perdus pour garder le contact avec les paroissiens: «Cela révèle une fragilité de notre Eglise, car celle-ci n’est pas que les sacrements, mais aussi la vie des chrétiens. Or elle est encore beaucoup trop institutionnelle».

L’Eglise, à la hauteur de la crise?

Interrogé sur le point de vue du prêtre Bernard Miserez qui estime que l’Eglise n’a pas été à la hauteur de cette crise et qu’«il faudra regarder en face ces rendez-vous manqués», l’ancien syndic de Bulle trouve le constat de son ancien curé sévère mais assez juste: «Je crains que l’Eglise ait été aux abonnés absents pour certains.»

«Je pourrais signer, renchérit Anne-Lise Gachoud à Villars-sur-Glâne, mais qui voudra regarder en face ces rendez-vous manqués? L’Eglise a été déconnectée de la réalité de cette pandémie. Elle s’est contentée de donner des directives sanitaires, mais n’a pas rejoint les paroissiens sur le terrain».

Autre écho à Genève, où Sébastien Baertschi estime que dans son entourage, «les gens d’Eglise ont fait de leur mieux pour que le réseau soit toujours vivant, que les contacts soient maintenus et que les supports spirituels (prière, échanges, temps de partage, approfondissements théologiques, ndlr) soient accessibles».

«Les gens d’Eglise ont fait de leur mieux pour que le réseau soit toujours vivant, que les contacts soient maintenus.»

Sébastien Baertschi

Dans le Gros-de-Vaud, Philippe Favre fait la distinction entre sa réalité d’église au plan local et au plan national. Là, dit-il, «l’Eglise est restée en retrait, alors qu’elle aurait dû profiter de cette crise pour mieux s’affirmer en tant qu’Eglise qui va s’occuper des victimes de cette pandémie, l’ouvrier qui perd son travail, par exemple». Pour le Valaisan Pierre Frachebourg, le point de vue de Bernard Miserez n’est pas à prendre comme une critique, mais «comme le constat d’une Eglise désemparée». Plus conciliant, Bernard Voisard estime quant à lui que «L’Eglise a fait ce qu’elle pouvait».

Revaloriser l’Eglise domestique

Tous espèrent que l’Eglise tire elle aussi les leçons de cette pandémie. Car les paroissiens, eux, ont déjà leur idée sur ce qu’il faudrait changer. Pour Anne-Lise Gachoud, il s’agit de «réinventer d’autres façons de contacter les gens». Selon Pierre Frachebourg, «il faudrait aussi diminuer le poids du cléricalisme et revaloriser cette dimension de la foi à deux ou trois, pour partager dans la simplicité ce que l’Evangile signifie au quotidien, et ne laisser personne de côté».

Pour Bernard Voisard, l’attention aux autres doit être priorisée, car les élans de solidarité et de soutien du confinement doivent se poursuivre. Philippe Favre estime qu’en situation de crise, «l’Eglise devrait oser s’opposer davantage à l’économie». Face aux nombreuses paroisses qui ont diffusé des messes sur Youtube, Sébastien Baertschi pense enfin que l’Eglise doit mieux se concerter et mettre plus de moyens pour accompagner les gens, jeunes comme moins jeunes. (cath.ch/cp)

Carole Pirker

Portail catholique suisse

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