Covid-19: Les indiens d’Amazonie «en danger d’extinction»

Selon des chiffres officiels largement sous-estimés, plusieurs dizaines de milliers d’indigènes de la région amazonienne ont déjà contracté le virus du Covid-19. Une situation sanitaire à laquelle se rajoute la destruction toujours plus importante de la forêt et pour laquelle l’Eglise catholique tente de se mobiliser.

«L’Amazonie vit une tragédie humanitaire et environnementale. Ce territoire de plus de 5 millions de km2 qui abrite 33 millions d’individus, incluant 3 millions d’indigènes de plus de 400 peuples différents, en plus des 120 peuples en isolement volontaire, est menacé par différents périls depuis de très nombreuses années. Mais la situation s’est accélérée ces dernières semaines avec la propagation du Covid-19, ce qui peut entraîner un effondrement structurel des peuples indigènes». 

Ces propos proviennent du Réseau Ecclésial Pan-Amazonien (Repam). Le 18 mai, l’organisme a publié un communiqué demandant une aide internationale urgente et coordonnée pour les peuples indigènes de la région qui regroupe neuf pays. «La situation s’aggrave chaque jour. Bien que les chiffres officiels soient largement sous-estimés, nous avons déjà recensé, au 13 mai, plus de 70’000 personnes infectées et 4’000 morts». Et le pire est sans doute à venir, car «au sein d’au moins 40 peuples de la région amazonienne, les taux de mortalité atteignent jusqu’à 28 %».

Ni médecins, ni équipements

José Gregorio Diaz, le président de la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien (Coica), est lui aussi inquiet. Celui qui faisait partie des 55 auditeurs et auditrices invités par le pape François au Synode pour l’Amazonie (du 6 au 27 octobre 2019, ndlr) a, lors d’une conférence de presse destinée à initier une campagne internationale de récolte de fonds, lancé un cri d’alarme encore plus direct: «Comme peuples indigènes, nous sommes en danger d’extinction. Si nous continuons à attendre [une intervention de] l’Etat, nous allons mourir, et nous ne voulons pas disparaître».

Le cacique vénézuélien estime que les «politiques sociales des gouvernements des neuf pays ne parviennent pas» jusqu’à ces populations. Et il a alerté sur le fait qu’«il n’y a ni médecins ni équipements de prévention contre cette pandémie» dans ces communautés indigènes, pourtant reconnues comme gardiennes de la biodiversité par l’IPCC, groupe d’experts de l’ONU sur le changement climatique.

«Virus de la violence et du pillage»

Cette absence de moyens face à la pandémie est d’autant plus inquiétante que dans un rapport publié fin avril, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), alerte sur quatre facteurs communs de vulnérabilité des peuples indigènes: la fragilité immunologique des peuples indigènes, en particulier des peuples isolés; Le manque d’accès aux services de base, comme l’eau pour les peuples indigènes vivant en milieu urbain; Le changement forcé du régime alimentaire et la menace d’autres maladies comme la dengue et la malaria. Sans compter l’immensité du territoire et les difficulté d’accès pour les services sanitaires.

L’Amazonie brésilienne fait face à une grave déforestation, accélérée depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro | © Rogério Assis, Greenpeace

Parallèlement au danger de la pandémie, le Réseau ecclésial Pan-amazonien dénonce «la présence du virus de la violence et du pillage en Amazonie». Le Repam pointe «l’industrie minière et la déforestation illégale en terres indigènes en plein essor». Une position partagée par José Francisco Cali Tzay, Rapporteur au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour les droits des peuples indigènes. «Le Covid-19 est en train de dévaster les communautés indigènes et il ne s’agit pas seulement de santé». Le responsable remarque que «les états d’urgence décrétés exacerbent la marginalisation des communauté indigènes, le non respect de leurs droits et, dans certaines situations, va jusqu’à une militarisation des territoires».

«Attitude anti-indigéniste»

Face à cette réalité, les gouvernements des pays de la région Pan-amazonienne ferment les yeux sur les invasions et les exploitations illégales de terres par des personnes qui peuvent être autant de vecteurs de contamination. Au Brésil, où les chiffres de la déforestation atteignent des records historiques depuis le début de l’année, les représentants de l’Eglise catholique en Amazonie ne cessent d’alerter l’opinion publique.

C’est le cas de Mgr Erwin Kräutler, évêque émérite de la Prélature du Xingu dans l’Etat du Para, et ancien président du Conseil Indigéniste Missionnaire (CIMI). Le prélat insiste sur le fait que la présence «des forestiers, des mineurs et des employés des fermes de bétail peut déclencher une chaîne de contamination».

L’évêque a également dénoncé «l’attitude anti-indigéniste» du gouvernement Bolsonaro. «En plus de minimiser le danger du Covid-19, Bolsonaro et son équipe estiment que l’Amazonie doit être ouverte aux entreprises nationales et internationales», rappelle Mgr Kraütler. La volonté de faire adopter une mesure provisoire (MP 910) qui amnistie les crimes d’invasion de terres publiques, y compris les terres indigènes, va aussi dans ce sens.

Pire, un projet de loi censé apporter de l’aide aux communautés indigènes risque de favoriser l’entrée et la permanence de missionnaires évangéliques dans les territoires peuplés d’indiens en isolement volontaire. Le texte a été adopté le 21 mai par l’Assemblée. La Conférence épiscopale (CNBB) a exprimé sa «profonde désapprobation».

«La présence des forestiers, des mineurs et des employés des fermes de bétail peut déclencher une chaîne de contamination», estime Mgr Kraütler.| © Jean-Claude Gerez

En Colombie aussi, l’inquiétude est grande. Avec plus de 2’000 cas de contamination chez les indigènes (chiffres du 14 mai), l’Eglise mais aussi la Justice se mobilisent. Début mai, Fernando Carrillo, Procureur général de Colombie a demandé une «urgente coordination des pays de la triple frontière (Colombie, Pérou et Brésil)» pour protéger les peuples natifs de cette région.

Il a été en partie entendu, puisque le 20 mai son pays et le Pérou ont signé «un partenariat pour protéger les indigènes du Covid-19». L’accord a été salué par l’Eglise catholique colombienne qui a rappelé l’urgence «d’apporter aide et soutien aux personnes les plus fragiles du pays, parmi lesquelles les communautés afro-colombiennes et indigènes».

Ne pas «attendre les larmes»

Au Pérou enfin, deuxième pays le plus touché du continent par le Covid-19 avec 120’000 cas, le virus menace aussi les quelque 5 millions d’indiens du pays, en grande majorité des communautés andines. Mais, selon le REPAM, 5’000 indigènes d’Amazonie ont déjà été contaminés. «En fait, personne ne sait vraiment combien d’indigènes ont été infectés dans le pays car dans les rapports du Ministère de la Santé, le critère ethnique n’est pas pris en considération», indique un expert. Face à la pandémie, l’Eglise catholique en Amazonie péruvienne se mobilise. À l’image de Mgr David Martínez de Aguirre Guinea, l’évêque du Vicariat de Puerto Maldonado, qui avait largement contribué à la visite du pape François sur place en janvier 2018.

Le prélat a présenté le 20 mai une initiative destinée à récolter des fonds pour acquérir des médicaments, des respirateurs et des lits d’hôpitaux pour les patientes affectés par le coronavirus dans la région. «Nous ne voulons pas attendre les larmes pour nous mettre en mouvement, a assuré le religieux. Nous voulons apprendre de ce qu’il se passe dans d’autres régions et tenter de nous avancer dans le temps pour éviter  autant de douleur et de souffrance comme nous le voyons dans d’autres villes d’Amazonie péruvienne». (cath.ch/jcg/bh)

Jean-Claude Gérez

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