La canonisation de Charles de Foucauld, pour le dialogue avec l'islam

par Jacques Berset

Le pape François a reconnu le 26 mai 2020 l’attribution au bienheureux Charles de Foucauld (1858 – 1916) d’un deuxième miracle, ce qui ouvre la voie à la canonisation de «Frère Charles», abattu le 1er décembre 1916 dans son ermitage de Tamanrasset, au cœur du Sahara algérien. Ce geste de Rome pourrait servir le dialogue avec le monde musulman.

Ce «frère universel», comme on l’appelle souvent, a vécu la majeure partie de sa vie en Algérie auprès de ceux qui ne connaissaient pas le Christ, laissant un héritage spirituel fort. Sœur Elodie Blondeau, religieuse de la congrégation des Petites Sœurs du Sacré-Cœur de Charles-de-Foucauld, a relevé pour cath.ch  le désir du futur saint de porter la Bonne Nouvelle du salut aux «brebis les plus délaissées».

«Se laisser sauver» par les Touaregs

La perspective de la canonisation de Charles de Foucauld est aux yeux des Petites Sœurs une occasion de mieux faire connaître sa vie et son message susceptibles de rejoindre de nombreuses personnes dans leur quête humaine et spirituelle. Et de souligner «son amour passionné du Christ… son désir profond de porter la Bonne Nouvelle du salut aux ‘brebis les plus délaissées’… sa recherche continuelle de la volonté de Dieu le conduisant sans cesse à se déplacer, géographiquement mais aussi et surtout intérieurement… le passage de son idéal de la ‘vie de Nazareth’ à l’acceptation de la réalité de ce qu’il avait à vivre au milieu des Touaregs…  le passage aussi de son désir de les ‘sauver en leur apportant l’Evangile’  au consentement à ‘se laisser sauver’ par eux, en vivant au milieu d’eux».

Un ‘grain tombé en terre’ qui a porté du fruit

Ce sont, pour Sœur Elodie, autant d’éléments qui peuvent faire résonance et éclairer les questionnements de nos contemporains quant à la manière d’incarner l’Evangile aujourd’hui au cœur d’un monde complexe. «Encore davantage que ses écrits, c’est sa vie qui nous semble être un témoignage à faire connaître… La canonisation, dans ce sens peut être une belle mise en valeur de cette vie cachée, du ‘grain tombé en terre’ qui a porté du fruit… un fruit vivant incarné aujourd’hui de multiples manières dans de nombreux disciples».

Charles de Foucauld n’était pas parfait

N’ayant pas toujours eu une vie exemplaire, Charles de Foucauld n’était pas parfait… Mais sa canonisation «peut-être une occasion pour les fidèles catholiques d’approfondir ce qu’est la vraie sainteté. En effet,  elle n’est pas de l’ordre d’une quête de perfection (dans le sens de perfection morale) mais plutôt d’une vie qui se laisse traverser, purifier et transformer par la Lumière de Dieu en consentant à offrir sa pauvreté. Elle n’est pas non plus à relier à une efficacité, une réussite qui se chiffrerait à un nombre de conversions à la foi catholique qu’aurait suscité notre vie. C’est ce que Charles de Foucauld a découvert, chemin faisant en se laissant purifier dans son désir de perfection et en apprivoisant sa pauvreté d’être».

Au-delà de l’image idéalisée

«Si nous acceptons de découvrir Charles de Foucauld au-delà de l’image idéalisée que nous en donnent les récits hagiographiques, nous le découvrons très ‘humain’, y compris après sa conversion: un homme avec ses défauts, ses ambivalences, ses traits de caractères… mais ses ‘imperfections’ sont les brèches à travers lesquelles l’Esprit s’est engouffré pour faire son œuvre de salut… Ce sont ses ‘pauvretés’ bien plus que ses ‘richesses’ qui ont permis à l’Esprit d’agir en lui et à travers lui…»

Pour Sœur Elodie, le bienheureux nous laisse non «une vie exemplaire», mais l’exemple d’une vie toujours en chemin, en évolution, en mouvement qui se laisse façonner et déplacer par les rencontres et les événements… une vie qui se laisse sauver continuellement.  «N’est-ce pas cela une ‘figure de sainteté’ ?»

Un homme touché par la foi des musulmans

Charles de Foucauld, dans son parcours spirituel, a été touché par la foi des musulmans, ce qui a suscité sa quête spirituelle et son retour à la foi catholique. «Il s’est ensuite senti poussé à vivre au milieu des musulmans, dans un désir de les convertir, animé par les idées sur l’islam qui étaient répandues de son temps dans le monde catholique. Mais l’expérience de partage de la vie des Touaregs et l’impressionnant travail linguistique qu’il a réalisé, l’ont fait entrer dans la dynamique du dialogue. Il n’a pas vécu le dialogue interreligieux tel que nous pouvons le concevoir aujourd’hui mais ce qu’il a vécu est un trésor pour penser ce dialogue…  il a lâché son désir de traduire l’Evangile pour entrer dans un recueil des mots des Touaregs et s’adonner pendant plus de dix ans et jusqu’à sa mort à mettre en valeur leur langue alors insignifiante et inconnue…. Sans en être conscient il a vécu une expérience de dialogue et en a ouvert le chemin pour d’autres…»

La religieuse estime que sa canonisation servira le dialogue avec les musulmans dans la mesure où c’est cette facette de Charles de Foucauld comme ‘homme en chemin de dialogue’ qui sera mise en avant et communiquée.

Espion défenseur de la civilisation française et chrétienne

«Nous savons combien l’image de l’espion défenseur de la civilisation française et chrétienne est celle qui prime encore beaucoup dans la tête des Algériens, et aussi dans la tête de certains catholiques… si cette image peut être quelque peu déplacée, alors oui, la canonisation pourra servir grandement le dialogue…»

Il ne faut pas, en s’appuyant seulement sur certains de ses écrits sans prendre en compte l’ensemble de sa vie dans son évolution, que l’avancée du dialogue soit compromise. «Face aux craintes qui pourraient surgir nous est donné un signe d’espérance dans la béatification des martyrs d’Algérie (à Oran, le 8 décembre 2018) où le message qui désirait être passé a bien été reçu tant dans le monde chrétien que dans le monde musulman. Et ce message sert aujourd’hui le dialogue !» (cath.ch/be)

Elodie Blondeau, des Petites Sœurs du Sacré-Cœur de Charles-de-Foucauld
La religieuse française, qui vit dans la communauté des Petites Sœurs du Sacré-Cœur à L’Île-St-Denis, en Seine-Saint-Denis, dans la banlieue parisienne, est engagée depuis 2013 dans le Service diocésain pour les relations avec les musulmans (SDRM). Sa première expérience de rencontre avec l’islam a eu lieu au cours d’une période de coopération au Mali, qu’elle a effectuée après ses études. C’est Sœur Isabel Lara Jáen, prieure générale des Petites Sœurs du Sacré Cœur de Charles de Foucauld, une religieuse d’origine espagnole, qui l’a chargée de s’en faire la porte-parole. JB

Jacques Berset

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