«Les célibataires portent eux aussi une fécondité qui est très forte»

Sophie Delhalle/Cathobel

J’existe! Un autre regard sur le célibat. Un titre qui résonne comme un cri. Dans cet essai, le Père Olivier Bonnewijn, docteur et enseignant en théologie, ose une parole sur un sujet délicat: il nous invite surtout à changer notre regard et notre manière de questionner le célibat en se référant à notre condition commune de baptisé.

J’ai beaucoup travaillé, écrit et enseigné sur le mystère de la famille et je me suis rendu compte que, de manière générale, et dans l’Eglise en particulier, beaucoup de temps était consacré aux familles alors que beaucoup de gens vivent sans famille.» Le Père Olivier Bonnewijn, prêtre en paroisse, docteur et enseignant en théologie, s’attaque donc à ce qu’il appelle un «impensé», ou peu pensé, de l’Histoire; il veut aussi briser cette habitude d’opposer le célibat à la vie maritale ou consacrée.

«J’ai écrit ce livre comme une réponse à un appel du terrain. Je le portais en moi depuis très longtemps, c’est un projet qui a mûri au fil des rencontres et des questions qui se sont posées à moi.» Des visages et des rencontres qui l’ont donc invité à prendre le temps de réfléchir au mystère des célibataires à partir d’eux-mêmes et non pas en vis-à-vis des autres états de vie.

Un statut positif

Sans prétendre à une quelconque originalité, le Père Bonnewijn propose une approche clairement innovante. Mais il cherchait avant tout «à comprendre les personnes que j’avais en face de moi».

En abordant ce sujet du célibat, «j’ai été extrêmement choqué du regard des autres mais surtout du regard que les célibataires portent sur eux-mêmes». Leur situation est souvent réduite à un non-état, les célibataires ont même fini par intégrer ce discours négatif. «Or, expliquer le célibat uniquement par la négative, rend la situation invivable», alerte le Père Bonnewijn. «Je connais des personnes célibataires qui sont magnifiques.»

«j’ai été extrêmement choqué du regard des autres mais surtout du regard que les célibataires portent sur eux-mêmes.»

Il entreprend alors cette démarche audacieuse: partir à la recherche d’un statut positif pour faire prendre conscience aux célibataires, et aux autres, des fruits qu’ils portent en eux et qui restent trop souvent cachés à leurs yeux.

«Chaque célibataire est unique», martèle le Père Bonnewijn, qui creuse la question du célibat d’un point de vue théologique et spirituel, en partant de la réalité et non de la théorie. Même si, le projet ayant pris de l’ampleur, le prêtre a interrogé non seulement les écritures mais aussi la psychologie par exemple ou encore la culture populaire.

Une identité source

«Je me rends compte qu’avec le temps la question de la fécondité devient centrale pour tout le monde et pour les célibataires aussi.» Un mot difficile à entendre pour une catégorie de personnes jugées par beaucoup comme inutiles, «stériles». «Les célibataires portent eux aussi une fécondité qui est très forte. Quand ils suivent le Christ, quand ils mettent les évangiles au cœur de leur vie, celle-ci porte une véritable fécondité non pas physique mais multiforme.»

Car, la thèse centrale de cet essai est de montrer que l’identité profonde du chrétien ne tient pas tant à son état de vie mais relève de son identité de baptisé et de confirmé. «Etre baptisé, c’est recevoir un appel, être élu par quelqu’un. Or, la souffrance du célibataire est de se dire «personne ne m’a choisi et je n’ai pas été capable de choisir quelqu’un». Or, insiste le Père Bonnewijn, le baptême et la confirmation révèlent l’identité source du chrétien, qui est celle, aussi, de la personne célibataire. Ainsi, le prêtre entend montrer la consistance évangélique du célibat et surtout décloisonner les états de vie sans pour autant amener de confusion.

«La souffrance du célibataire est de se dire «personne ne m’a choisi et je n’ai pas été capable de choisir quelqu’un.»

«Il est essentiel pour les non-célibataires de bien comprendre la réalité des célibataires parce que ce que vivent les autres, je le vis aussi en moi-même.» Pour le Père Bonnewijn, le mystère des célibataires éclaire ce que vivent les gens mariés ou consacrés. «Comme prêtre, j’ai beaucoup appris en discutant avec des célibataires sur ma propre vocation.»

Chère solitude

Cette démarche nous ouvre aussi, par exemple, à une meilleure compréhension de ce qu’est la solitude et ce qu’elle dit de la condition humaine. «Je me souviens quand j’étais étudiant, nous discutions de la solitude et nombreux sont ceux qui disaient qu’elle était «l’ennemi numéro 1» à abattre. Notre professeur a voulu tordre le cou à cette idée en nous expliquant combien la solitude nous constitue, elle est aussi une chance en quelque sorte.»

La solitude est une réalité métaphysique qui nous constitue dans notre identité la plus profonde, affirme le prêtre, et ne concerne donc pas uniquement les célibataires. «La solitude est nourrie par les relations et nourrit les relations.» La vie est contrastée, se déploie dans une tension féconde, notamment entre solitude et communion. C’est parce qu’il était seul qu’Adam sentit le besoin d’entrer en relation avec un être semblable et différent de lui. Les célibataires aussi sont des êtres de don, appelés à la communion par une vie relationnelle riche et variée.

«La solitude est nourrie par les relations et nourrit les relations.»

Une parole libérée

Dans cette recherche d’un statut positif du «célibat ouvert», pas de place néanmoins pour un optimisme naïf. «Il ne faut pas passer sous silence les grandes souffrances que vivent les célibataires. Il reste un non-sens, une part d’absurdité quand on désire ardemment se marier et que, pour différentes raisons, on n’y parvient pas mais on ne peut pas non plus réduire leur condition aux seules souffrances vécues.»

Un essai pour briser l’habitude d’opposer le célibat à la vie maritale ou consacrée | DR

La parole des célibataires occupe d’ailleurs une place de choix dans l’écriture de cet essai, il était important pour l’auteur de pouvoir échanger avec les principaux concernés, «certains chapitres ont pris une autre tournure grâce à leur éclairage». Nous vivons un changement de civilisation, poursuit-il, «avant, la grande majorité des gens étaient mariés, aujourd’hui, le monde compte de plus en plus de célibataires.»

Faire Eglise à la lumière de l’Evangile, c’est donc aussi vivre avec ceux-ci, découvrir leur mystère et les voir autrement que comme des êtres inconsistants. «Nous avons besoin d’une réflexion pastorale afin d’éliminer, dans le cœur des célibataires, ce sentiment de ne pas exister aux yeux de l’Eglise. Plus que d’un discours, ils ont besoin d’attention au sein de nos communautés.»

Communion fraternelle

Et donc, au-delà de l’état de vie de chacun – marié, consacré, célibataire –, «ce qui est le plus important comme chrétien, c’est cette vie baptismale». Ccomment se convertir toujours plus au Christ sans absolutiser tel ou tel état de vie mais en en reconnaissant la valeur pour chacun ? Telle est la question centrale pour le Père Bonnewijn.

Avec «J’existe!», il parvient à démontrer que la réalité concrète du célibat nous concerne tous, dans une Eglise, communion de frères, telle que dessinée par Vatican II. Derrière la question du célibat, il y a donc celle de la communion des états de vie et d’une conversion à une ecclésiologie de la communion.

«Je crois en cette communion des états de vie et à cette fraternité dont parle très souvent le pape François.» Fraternité rendue possible par notre condition de baptisé-appelé, également partagée par les personnes mariées, consacrées et célibataires. (cath.ch/sd/ctbl/bh)

>J’existe! Un autre regard sur le célibat, Olivier Bonnewijn, Editions de l’Emmanuel

Olivier Bonnewijn
Né le 29 septembre 1966 à Bruxelles, Olivier Bonnewijn est un prêtre catholique de l’archidiocèse de Malines-Bruxelles, membre de la Communauté de l’Emmanuel. Vicaire épiscopal à la formation aux ministères ordonnés et non ordonnés, il enseigne à l’Institut d’études théologiques de Bruxelles. En juin 1988, il a obtenu une maîtrise en philosophie à l’université catholique de Louvain (UCL) et son agrégation à l’enseignement supérieur. Il poursuit ses études en théologie à l’Institut d’études théologiques (IET) de Bruxelles fondé par le jésuite Albert Chapelle, puis à l’université pontificale grégorienne de Rome où il a obtenu une licence canonique.
Il est professeur invité à l’Institut pontifical Jean-Paul II, et, depuis septembre 2004, directeur du certificat d’études théologiques et pastorales «Amour et Vérité» à la Communauté de l’Emmanuel.

Rédaction

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