La moniale belge Marie-Jean Noville comprend l'initiative d'Anne Soupa

La postulation d’Anne Soupa au poste d’archevêque de Lyon a réactivé le débat sur l’ordination des femmes dans l’Eglise catholique. Interrogée par le média catholique belge Cathobel, Sœur Marie-Jean Noville estime que «l’Eglise doit prendre son geste en compte car il est posé dans un souci pastoral».   

Moniale bénédictine du couvent de Hurtebise, près de Saint-Hubert, dans les Ardennes belges, Sœur Marie-Jean Noville est née à Rocourt, dans le diocèse de Liège, le 17 décembre 1975. Elle est active au sein du Centre National des Vocations (CNV) qui participe notamment aux initiatives pastorales et aux rassemblements d’Eglise dans les diocèses belges francophones (Bruxelles, Tournai, Namur et Liège).

«Ce genre d’initiative peut secouer notre Eglise»

Pour la jeune religieuse, «ce genre d’initiative peut secouer notre Eglise. Les gestes forts peuvent changer la donne. Ils nous amènent déjà à réfléchir et ouvrent de nouvelles voies. Je trouve que la démarche d’Anne Soupa est respectueuse de l’Eglise, c’est une femme qui aime l’Eglise, qui l’a servie pendant 35 ans, elle est formée, apporte une réflexion et dispose d’une pratique pastorale de longue durée. Elle n’agit pas comme une iconoclaste. Elle veut servir et non détruire l’Eglise».  

«Dans cette question de l’ordination des femmes – et d’hommes mariés aussi ajouterais-je -, il y a pour moi cette autre question: que faisons-nous des communautés? Réserver la prêtrise aux hommes, c’est ne pas tenir compte des réalités des communautés qui ne reçoivent pas ce dont elles ont besoin. Par exemple, dans le concret du confinement, des besoins, des réalités et des manques ont vu le jour avec l’impossibilité pour les prêtres de célébrer».

Plus d’eucharistie depuis le 13 mars

Au monastère Notre-Dame d’Hurtebise, il n’y a plus eu d’eucharistie depuis le 13 mars. «Nous avions pourtant la possibilité de nous voir assigner un prêtre résident, dans le respect des règles sanitaires, relève Sœur Marie-Jean Noville. Mais pour nous, cela revenait à accepter un privilège puisque nous serions les seules à en bénéficier, et nous avons refusé».

Les bénédictines se sont donc recentrées sur la liturgie des heures et ne reçoivent la communion que le dimanche et les jours de solennité. «Ainsi, nous avons remis la parole de Dieu au centre de notre vie liturgique».

Désir de devenir prêtre

Quand elle avait 17-18 ans, la future religieuse avait personnellement ressenti le désir de devenir prêtre. «J’avais vraiment ce fort désir en moi et je voulais écrire une lettre au pape. J’en ai discuté avec le prêtre de ma paroisse qui a été interpellé par ma lettre. Nous avons écrit au cardinal Danneels qui nous a renvoyés vers l’évêque diocésain. Notre courrier est resté sans réponse. Alors, je suis allée rencontrer le cardinal. Et la réponse fut un non catégorique: ‘Ça ne peut pas exister'».

«Puisque des femmes prêtres ne pouvaient pas exister, alors il n’était pas possible que je ressente cet appel à la prêtrise. A l’époque, j’ai dû me résoudre, mais aujourd’hui, avec le recul, je trouve que l’argumentation était faible. Et rien ne m’a été proposé. J’ai continué à cultiver ma foi et j’ai poursuivi mon chemin pour devenir moniale».

Ne pas alimenter le cléricalisme ambiant

«La question brûlante de l’ordination des femmes, je la regarde différemment. Comme moniale, je me dis: pourquoi ne pas tenir davantage compte des besoins des communautés. Et effectivement, ne pas alimenter le cléricalisme ambiant mais regarder avant tout les besoins des communautés dans un souci pastoral. Et mettre au centre du débat, le droit à recevoir l’eucharistie, à recevoir Jésus et aussi d’autres sacrements. Je ne dis pas que n’importe qui peut donner les sacrements mais des personnes formées avec une pratique pastorale éprouvée qui ont accompagné des personnes et leur délivreraient par exemple le sacrement des malades ou de la réconciliation, cela permettrait d’assurer une continuité, d’achever le geste sacramentel. Recevoir une confession, c’est déjà un sacrement en soi, le sacrement du frère».

Et Sœur Marie-Jean Noville d’affirmer que «pour nous, moniales bénédictines, faire appel à un prêtre extérieur pour les célébrations eucharistiques pose question. Dans sa règle, saint Benoît suggère d’ordonner des prêtres pour le service de la communauté. Pourquoi notre Prieure, qui est habilitée et reconnue, ne pourrait-elle pas désigner au sein de la communauté des personnes aptes à rendre ce service ?»

Les femmes ont souvent été traitées comme des êtres inférieurs

La question de l’ordination des femmes, les bénédictines de Notre-Dame d’Hurtebise en parlent en communauté, mais rarement avec des prêtres. «Je vois toutefois que les avis ont évolué, comme l’a notamment exprimé le Père jésuite Charles Delhez dans le journal français La Croix».

La religieuse belge rappelle, en ce qui concerne le rôle de la femme et la discipline de l’Eglise, «ce qui se vivait en Palestine au Ier siècle n’a rien à voir avec ce que nous vivons aujourd’hui en Europe. Mais on voit bien au cours de l’Histoire que les femmes ont souvent été traitées comme des êtres inférieurs. Certains hommes ont peur de perdre leur pouvoir. D’autres, hommes et femmes, préfèrent ne pas réfléchir et s’enliser dans le confort des habitudes et des traditions».

Jésus accueillait les hommes et les femmes

Or, souligne la moniale bénédictine, Jésus accueillait les hommes et les femmes. «Certes, on ne peut pas se calquer sur ce qui se vivait à son époque, mais reconnaître que le Christ a abattu des frontières, que des femmes le suivaient, qu’elles ont recueilli la première annonce de sa Résurrection».

Sœur Marie-Jean Noville pense qu’il faut aussi abandonner cette idée de complémentarité pour ‘dire ensemble’ et sans confusion, et amener chacun sa créativité, son imagination, son souci pastoral qui est différent. «Comme dans la Trinité, formée de personnes unies et proches, sans lutte et sans concurrence». Pourquoi les hommes et les femmes ne pourraient-ils pas avancer ensemble, se demande-t-elle ? Et de se réjouir que l’on encourage la présence de femmes dans les corps professoraux des séminaires, «pour mettre fin à un monde d’hommes qui pensent et planifient entre eux». Pour elle, le geste d’Anne Soupa et d’autres font avancer les choses, car «dire librement son opinion ne peut que faire avancer l’Eglise». La religieuse belge dit prier «pour que l’Esprit Saint continue de souffler sur l’Eglise pour ouvrir des portes». (cath.ch/cathobel/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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