Ces saints qui n’ont pas été canonisés

Chaque 12 juin, l’Eglise catholique commémore la mémoire de saint Léon III (795-816). Cependant, si ce pape est bien inscrit au martyrologe romain, la liste officielle des saints de l’Eglise catholique, il n’a jamais été à proprement parler canonisé. Comme de très nombreux saints, il fait partie de ceux que l’histoire a exempté du long processus juridique canonique qui existe de nos jours, mais qui témoignent de l’importance de cette institution aujourd’hui.

Par Camille Dalmas, I.MEDIA

Le 27 mai 2020, le pape François a accepté un décret promulgué par la Congrégation pour la cause des saints ouvrant la voix à la canonisation de plusieurs personnes, notamment du bienheureux Charles de Foucauld. Il mettait ainsi un terme au long chemin de reconnaissance entamé près de cent ans auparavant, après la mort du Français pour que l’Eglise en vienne à considérer cet homme comme saint.

Si le pape et la Congrégation pour la cause des saints ont aujourd’hui le «monopole» de la canonisation, il n’en a cependant pas toujours été ainsi dans l’histoire de l’Eglise. Le cas de Léon III, célébré le 12 juin, est éclairant sur la façon dont la reconnaissance de la sainteté a évolué au cours des temps. Le nom de Léon III n’est en effet ajouté au martyrologe romain qu’en 1673 par le pape Clément X, et ce sans procès.

Les premiers papes, saints par tradition

Comme lui, un grand nombre de papes ont été reconnus saints par l’Eglise dans le respect d’une mémoire traditionnelle. Tous sont saints à l’image du premier, saint Pierre, jusqu’au 35e, saint Jules Ier (337-352). Sur les cinquante premiers papes, seuls deux ne sont pas considérés comme saints: Libère (353-366) et Anastase II (496-498), ce dernier étant même envoyé en enfer par Dante dans la Divine Comédie, la tradition de l’époque du poète italien considérant ce pontife comme trop conciliant envers les hérétiques.

Dès les premiers temps de l’Eglise, la Tradition va considérer comme saints tous les compagnons de Jésus, disciples et apôtres, la Sainte Famille et chrétiens des premiers temps présents dans les Ecritures. Tous sont cités dans le premier Martyrologe romain de l’Histoire, édité pour la première fois en 1583 sous le pontificat de Grégoire XIII (1572-1583), sans qu’aucune procédure canonique ne soit envisagée.

La promulgation par le pape de la sainteté d’un homme est mise en place pour la première fois en 993 par Jean XV (985-996) qui rédige une bulle pour reconnaître officiellement la sainteté d’Ulrich d’Augsbourg. La canonisation est donc relativement récente et va être perfectionnée par la suite. Le terme de canonisation apparaît ainsi pour la première fois au début du 11e siècle sous le pontificat de Benoît VIII (1012-1024).

Le passage de la translation à la canonisation

Le processus de canonisation vient en fait peu à peu remplacer une autre forme de vénération plus ancienne, celle dite de la «translation» ou de l’»élévation», qui était un pouvoir épiscopal. La translation consiste à autoriser officiellement la vénération de reliques, ces dernières donnant souvent au culte une dimension essentiellement locale.

La vénération des saints précède cependant de longtemps son institutionnalisation, par le Saint-Siège comme par les pouvoirs ecclésiastiques locaux. Elle est en fait quasi-immédiate, dès les premiers temps de l’Eglise, pour les martyrs dont la mémoire et le «témoignage» sont célébrés au dies natalis, c’est-à-dire au jour de la mort. Des «Vies de saints», des martyrologes non officiels et des célébrations commémoratives ou d’intercession se multiplient dès cette époque, et viennent grossir très rapidement les rangs de cette liste informelle de «chrétiens exemplaires». Ils sont considérés comme dignes d’être pris en modèle, que ce soient en tant que «docteurs de l’Eglise» ou de confesseurs remarquables, puis plus largement comme chrétien vivant en plein accord avec la Parole de Dieu.

Le processus d’institutionnalisation progressive et continu dans l’histoire de la reconnaissance de la sainteté s’explique par la nécessité de prévenir les abus (les cas de «faux saints») et l’Eglise se dotera de structures de plus en plus sophistiquées afin de prendre en charge cette tâche délicate. En 1588 est créée par Sixte V (1585-1590) une «Congrégation des rites», qui a pour tâche notamment de traiter les procès en canonisation. Après de nombreuses réformes, elle sera transformée en Congrégation pour la cause des saints en 1969 par le pape Paul VI (1963-1978).

La sainteté, pas un «titre» mais un objectif essentiel

Reste que la sainteté n’est pas un simple titre décerné par l’Eglise, n’a-t-elle eu de cesse de rappeler pendant son Histoire, mais l’objectif le plus fondamental de tout chrétien. Saint Paul, dans sa lettre aux Thessaloniciens, souligne avec force que «Dieu ne nous a pas appelés à l’impureté, mais à la sanctification» (1 Th 4:7). Tout chrétien se doit de faire tendre son existence vers la sainteté.

Selon le Père de l’Eglise saint Cyrille d’Alexandrie, la mission de l’Eglise est un Mysterium Lunae, autrement dit un Mystère de la lune, astre singulier qui renvoie une lumière qui n’est pas la sienne. C’est sous ce prisme lunaire que l’apologiste G.K. Chesterton décrit saint François d’Assise comme «le miroir du Christ». En somme, comme l’avait exprimé en 2015 le cardinal Jorge Mario Bergoglio juste avant le début du conclave qui allait l’élire sur le trône de Pierre, «l’Eglise, comme la lune, ne vit qu’avec la lumière réfléchie, lorsque son corps opaque est illuminé par la grâce lumineuse du Christ».

L’Eglise sanctionne la sainteté de ses vénérables prédécesseurs, mais uniquement parce que la lumière de leur vie «en miroir» de celle du Christ continue à être reflétée par eux des années après leur mort. Les saints un peu oubliés, tel que le pape Léon III, sont en somme pareils à ces lointains corps célestes qui brillent au loin dans le ciel nocturne, et témoignent discrètement, mais avec permanence, de la sainteté à laquelle est appelée toute l’Eglise. (cath.ch/imedia/cd/rz)

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