Homélie du 5 juillet 2020 (Mt 11, 25-30)

Sr Claire Isabelle Siegrist – Chapelle de la Pelouse, Bex

Frères et sœurs, sans doute avez-vous déjà été frappés de l’étendue des rayons bien-être et développement personnel dans les librairies. Peut-être peut-on y entendre une difficulté grandissante, pour nos contemporains, à vivre dans une société qui exige que nous soyons forts, efficaces, sans parler du discours plus ou moins formulé qui affirme que rien n’est gratuit en ce monde. Nous ne pouvons que constater la fatigue d’être que cela engendre et qui marque notre société occidentale. Les lectures de ce jour prennent le contre-pied de cette course au mérite, à l’efficacité et à l’affirmation de soi par soi-même.

C’est un cri de louange qui ouvre la 1ère lecture tirée du prophète Zacharie : « Exulte de toutes tes forces, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem, ! Voici ton roi qui vient à toi… » (Za 9, 9)

La louange jaillit du cœur de Jésus

L’Evangile que nous venons d’entendre commence également par la louange : celle que Jésus adresse au Père. Le contexte est pourtant celui de la tension et de l’échec : les villes où ont eu lieu des miracles ne se sont pas converties, n’ont pas accueilli le message de Jésus, les scribes et les pharisiens cherchent à Le piéger. C’est pourtant bien une prière de louange qui jaillit de Lui. Ce qui fait vivre Jésus, ce qui fait sa joie, ce n’est pas le succès ou une vie tranquille mais sa relation unique avec son Père. Jésus reconnaît que tout lui vient du Père, qu’Il se reçoit de Lui et c’est pour cela que la louange jaillit de son cœur.

Le mouvement descendant du Don

Frères et sœurs, nous pouvons, à sa suite entrer dans la louange parce qu’il ne s’agit pas de réussir ou d’en savoir beaucoup, mais d’être, à l’image des petits, accueillant à cet Amour donné : apprendre à se laisser aimer encore et encore. Cette image du petit est importante parce que le tout-petit ne peut que se laisser faire pour grandir. Tout lui est donné. La prière de louange de Jésus montre qu’Il vit de cet Amour et le révèle, en se donnant jusqu’à l’extrême. C’est donc le mouvement descendant du Don qui marque les lectures de ce jour. Il y a là un renversement sur lequel je vous propose de nous arrêter.

Dieu offre gratuitement

Le père Christian Salenson parle de ce renversement. Il explique que dans les sacrifices anciens, l’homme offrait à Dieu pour le remercier, s’attirer sa bienveillance, expier ses fautes. Dans ce mouvement, l’homme offre et Dieu reçoit. Or, le Christ inverse le mouvement du sacrifice. Dans le sacrifice du Christ explique Christian Salenson, « Dieu lui-même s’offre aux hommes. (…) Mais là où l’homme offrait à Dieu pour recevoir en retour, Dieu offre gratuitement. (…) Il offre sans attendre de retour. Il laisse l’homme libre de répondre. » [1]

Les textes de ce dimanche invitent à nous arrêter sur ce renversement : « notre roi vient à nous… » (Za 9, 9), nous sommes aimés gratuitement, nous recevons la vie. Notre part, c’est de vivre de cet Amour et consentir à en faire ce qui conduit nos existences. Consentir à nous livrer amoureusement à Celui qui se livre à nous. Sortir du « je te donne pour que tu m’aimes », je fais des efforts, je donne pour être aimée. Ce renversement nous appelle à recevoir l’Amour qui vient de Dieu et à entrer, à notre tour, dans ce mouvement du don de la vie.

Et cela nous fait rejoindre l’appel de Jésus à aller à Lui pour nous mettre sous son joug. Le joug est cette pièce de bois qui relie les animaux, permet de répartir la charge et les faire avancer dans la même direction. Pour un Juif, parler du joug, c’est également parler du joug de la Loi, des commandements, ce que l’homme fait pour répondre aux exigences de Dieu. Or, il n’y a rien à faire pour être aimé de Lui ! Dieu n’exige rien : Il aime, « son Esprit habite en nous et donne vie à nos corps mortels » (Rm 8, 11) dit saint Paul dans la lettre aux Romains. Le fardeau des préceptes, des efforts, dit Jésus, est pesant. Il s’agit désormais de se mettre sous son joug à Lui, car le joug reste. Mais Jésus est avec nous, Il le porte avec nous et nous marchons ensemble dans le flux de la vie donnée.

Notre action de grâce : une vie qui se donne

C’est un appel à nous en remettre entièrement à cet Amour. Il ne s’agit donc pas de faire des sacrifices, mais de devenir un sacrifice par toute notre vie. Le Psaume 144 que nous avons entendu, en disant « Que tes œuvres, Seigneur, te rendent grâce et que tes fidèles te bénissent » ne dit pas autre chose. Notre action de grâce, c’est une vie qui se donne, là où nous sommes. Frères et sœurs, n’imaginons pas des actes impressionnants. Il s’agit d’une vie donnée au quotidien : celle du malade fatigué et éprouvé qui encourage le personnel soignant par un merci ou un sourire, celle des parents qui donnent leur vie à leurs enfants, celle des grand-parents, des soignants, de tous ceux et celles que nous avons applaudi chaque soir ces derniers mois. Vie donnée de chacun, chacune d’entre nous, dans l’humilité du quotidien.

Disciples de Jésus doux et humble de cœur

Nous mettre sous le joug du Christ, c’est, comme Lui, inverser le mouvement du sacrifice pour nous en remettre entièrement à Dieu afin « que notre vie ne soit plus à nous-même mais au Christ qui est mort et ressuscité. » comme le dit la prière eucharistique IV. De Lui nous recevons la Vie… Frères et sœurs, notre expérience nous l’apprend : la vie ne remonte pas vers la source : nous recevons la vie de nos parents et nous ne pouvons leur rendre cela. Nous accueillons ce don en donnant la vie à notre tour. Entrer dans le mouvement du flux de la vie donnée et s’offrir les mains ouvertes, dépouillées, disciples d’un roi qui vient à nous victorieux, pauvre et monté sur un ânon, disciple de Jésus doux et humble de cœur.

Frères et sœurs, oui nous sommes appelés à donner nos vies, non à la force du poignet, mais par Lui, avec Lui et en Lui, sous le joug de la vie donnée du Christ, ce joug qu’Il porte avec nous. Fr. Christian de Chergé, moine de Tibhirine, nous donne la feuille de route pour ce renversement à opérer en nos vies ; il dit : « Moi qui rêvais de l’amour comme d’une fusion de moi en Lui, c’est une transfusion qu’il me faut : son sang dans mon sang, sa chair dans ma chair, son Cœur dans le mien, présence réelle d’homme marchant en présence du Père. » [2]

[1] Christian Salenson, Les sacrements. Sept clés pour la vie, éd. DDB, 2012, p. 81.

[2] Christian De Chergé, L’invincible espérance, Bayard éditions / Centurion, 1997, p. 253.

14ème dimanche du Temps ordinaire
Lectures bibliques :
Zacharie 9, 9-10 ; Psaume 144 ; Romains 8, 9.11-13 ; Matthieu 11, 25-30

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