La prophétie de saint Malachie, l'ombre d'un (sérieux) doute

La prophétie dite de «saint Malachie», selon laquelle François serait le dernier pape, bénéficie encore de beaucoup d’intérêt, notamment sur internet. Mais une recherche approfondie sur le document révèle de sérieux doutes sur sa crédibilité.

Avec le chamboulement actuel de l’ordre mondial, dans le sillage de la pandémie de coronavirus, les prophéties apocalyptiques trouvent un regain d’écho. Parmi ces dernières, il en est une directement liée à l’Eglise catholique: la «Prophétie des papes» dite de «saint Malachie».

Le document énumère 113 brèves sentences écrites en latin décrivant les papes devant succéder à Célestin II (en 1143). Le texte est «apocalyptique», dans le sens où le pape François y apparaît comme le dernier successeur de Célestin II, et que la devise qui lui est associée fait état d’une destruction de Rome et d’un «jugement». Le texte dit exactement: «Pierre le Romain, qui fera paître ses brebis à travers de nombreuses tribulations ; celles-ci terminées, la cité aux sept collines sera détruite, et un juge redoutable jugera son peuple». Des «exégètes» de ce texte en concluent que la fin du monde doit se produire sous le pontificat de Jorge Mario Bergoglio.

Des prophéties «capilloctractées»

De telles «prédictions» laissent certainement beaucoup de personnes perplexes, mais elles trouvent leur «public», si l’on en croit la popularité de ce thème de recherche sur internet. Les mots-clés «Malachy Prophecy» aboutissent en effet à près de 700’000 résultats. Le journaliste américain spécialisé dans la religion Joseph McHugh dit savoir, de son propre milieu d’origine, en Irlande, que «de nombreux catholiques prennent ces prophéties très au sérieux». Sa grand-mère redoutait déjà ainsi, à l’époque, que le successeur de Pie XII (1939-1958) choisisse le nom de «Pierre», donnant ainsi le signal de la fin du monde.

Nombre d’indices tendent néanmoins à démontrer que les prétendues prophéties ont été imaginées de toutes pièces et qu’elles ne sont le fruit d’aucune révélation mystique.

Un premier point à relever est le caractère passablement «tiré par les cheveux» des correspondances entre les papes et leurs devises. Un exemple frappant est la difficulté des «interprètes» du document à trouver des liens entre le pape François et la devise qui lui est associée. Principalement concernant le nom de Pierre. On trouve ainsi sur internet diverses explications. L’une d’elles rapproche le patronyme «Bergoglio» de «Berg» qui veut dire ‘montagne’ en allemand, le faisant correspondre à la roche et donc à la «pierre». On pourrait citer d’autres tentatives d’associations, également sur les autres papes, qui font tout autant froncer les sourcils.

Un document «antidaté»?

Certaines sentences semblent plus convaincantes. En fait, elles sont claires et précises jusqu’en 1590, note le site philosophieduchristianisme, qui présente un exposé complet sur ce thème. Après cette date, les devises deviennent «sibyllines et interchangeables». Cela viendrait du fait que c’est justement à cette époque que le document, censé dater du 12e siècle, a réellement été écrit. Les devises concernant les papes ayant vécu avant 1590 auraient donc été écrites sur la base de documents historiques disponibles au 16e siècle et ensuite attribuées à saint Malachie.

Ce dernier, né à Armagh, en actuelle Irlande du Nord vers 1094 et mort à l’abbaye de Clairvaux, dans l’Aube, en 1148, a été canonisé en 1199. Il a été moine bénédictin et archevêque d’Armagh. Il est difficile de dire pourquoi il aurait joué ce rôle de prête-nom à cette Fake News avant la lettre. Peut-être eu égard à son aura «mystique» venant de ses dons rapportés de guérisseur.

Ses prétendues prophéties auraient été découvertes par le moine bénédictin Arnold Wion, en Flandres, en 1590. Ce dernier les a présentées aux cardinaux lors du conclave d’octobre de cette même année. Il a ensuite fait publier, en 1595 à Venise, un volumineux ouvrage, intitulé Lignum vitæ, Ornamentum et decus Ecclesiæ, dont la prophétie des papes constitue l’un des passages.

Erreurs de copie

Philosophieduchristianisme relève au passage le fait intrigant que l’on ne trouve aucune trace de ces prophéties avant le 16e siècle. Ange Manrique, contemporain de saint Malachie, ne mentionne aucune prophétie dans les papiers de l’évêque irlandais qu’il a eus en sa possession après la mort de ce dernier à l’abbaye de Clairvaux.

Saint Bernard de Clairvaux, contemporain et ami de Malachie, a publié sa biographie peu de temps après sa mort, sans jamais évoquer de prophéties. Pierre le Vénérable et Jean de Salisbury, également contemporains de Malachie, ont travaillé sur son œuvre et n’évoquent pas davantage de telles choses.

Mais l’un des faits les plus confondants est peut-être la présence de malheureuses «erreurs de copie» dans les prophéties. Les sentences se trompent en effet pour Jean XXII et Eugène IV. La devise de Jean XXII est «Du cordonnier d’Os», ce que le Lignum vitæ rattache à l’idée que Jean XXII était «un Français, de la famille Ossa, fils d’un cordonnier». Or ce pape était fils de banquier et non de cordonnier. De même, la devise d’Eugène IV est «la louve célestine», ce que le Lignum vitæ fait correspondre à «un Vénitien, ancien chanoine des Célestins, évêque de Sienne». Mais Eugène IV était un moine augustin et non célestin.

Ces erreurs se trouvent en fait dans les Notices des papes, publiées quelques décennies plus tôt par Onofrio Panvinio en 1557. L’on peut donc raisonnablement penser que le faussaire des «prophéties» s’est basé sur ce texte erroné pour imaginer ses devises.

Manœuvre ratée

Ces dernières sont-elles issues des cogitations d’Arnold Wion lui-même, ou a-t-il été trompé par un faux plus ancien? Nul ne le sait. Certains pensent même que le texte proviendrait de Nostradamus, eu égard à des correspondances stylistiques et de termes.

D’après philosophieduchristianisme, les «prophéties» auraient pu servir à favoriser l’élection comme pape du cardinal Girolamo Simoncelli, lors du conclave de 1590. En effet, la devise décrivant le successeur d’Urbain VII, qui venait de décéder était Ex antiquitate Urbis (de la vieille ville). Et le cardinal Simoncelli venait d’Orvieto, en Ombrie, dont le nom dérive du mot «vieille ville» en latin. Le conclave ne fut cependant pas décisivement influencé car le cardinal ne fut jamais élu pape.

La manœuvre aurait-elle mieux fonctionné avec les internautes du 21e siècle?

(cath.ch/philosophieduchristianisme/ag/rz)

Bien assez de médaillons

Circule également sur internet une théorie selon laquelle les médaillons des papes dans la basilique de Saint-Paul-hors-les-Murs confirmeraient les prophéties de Malachie. Il y a en effet dans cette basilique une série de médaillons qui représentent tous les papes depuis saint Pierre. Selon certains, le nombre de médaillons disponibles correspondrait exactement à celui des devises prétendument écrites par Malachie. En fait, tout visiteur pourra constater sur place qu’il reste encore bien d’autre places libres après celle occupée par le pape François, souligne philosophieduchristianisme. RZ

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/la-prophetie-de-saint-malachie-lombre-dun-serieux-doute/