Connaissez-vous la «danse du pape»? 3/4

La danse a été une activité diversement considérée dans l’histoire de la papauté. Entre condamnation et passion, la pratique de ce «sport» est étroitement liée à la perception du corps et de la sexualité qu’ont pu avoir les différents pontifes.

Claire Guigou, I.MEDIA

«De tout mon cœur, Seigneur, je rendrai grâce, (…) pour toi, j’exulterai, je danserai, je fêterai ton nom». Le Psaume 9, comme de nombreux autres passages de la Bible, la plupart contenus dans l’Ancien Testament, donne la part belle à la danse et à la fête. L’histoire du peuple d’Israël nous rappelle que les femmes célébraient même les victoires militaires par ce biais, à l’image de la belle Myriam qui, après la traversée de la mer Rouge, s’empresse de former des «chœurs de danse» à la gloire de Dieu.

Et pourtant, aux premiers temps du christianisme, ces expressions corporelles furent bannies par l’Église, la danse se rattachant pour bon nombre d’ecclésiastiques à la sphère païenne. Cette fronde contre la danse semble perdurer au cours des siècles et il faut attendre 1914 pour qu’une danse, précisément le tango, devienne le centre des préoccupations vaticanes.

A l’époque, cette danse lascive venue des tréfonds de l’Argentine connaît un développement et un succès retentissant dans plusieurs pays européens dont la France et l’Italie. Devant cet engouement, bon nombre de prélats, tel le cardinal français Léon-Adolphe Amette, s’y opposent. L’affaire prend une telle proportion que le pape Pie X en personne aurait décidé de se faire sa propre idée sur le tango en demandant à un couple de jeunes aristocrates romains, frère et sœur bien entendu, d’exécuter devant lui quelques mouvements de cette danse si contestée.

Cet épisode, raconté par le célèbre journaliste Jean Carrière, alors correspondant pour le journal Le Temps, est publié le 28 janvier 1914. «Les deux jeunes gens, émus et surpris, murmurant à voix basse les notes mélancoliques de la populaire musique argentine, esquissèrent devant le Saint-Père attentif les va-et-vient compliqués de la danse à la mode», écrit-il.

La furlane, cette danse louée par saint Pie X

Devant les courbettes des deux romains, le pape se montre quelque peu déçu, raconte le journaliste en rapportant ce dialogue: «C’est cela le tango? demanda Pie X. Oui, Sainteté, fut-il répondu. Eh bien, mes chers enfants, vous ne devez pas beaucoup vous amuser! Je comprends que vous aimiez la danse. (…) Mais au lieu d’adopter ces ridicules contorsions (…) pourquoi ne pas choisir cette ravissante danse de Venise, que j’ai souvent regardée danser dans ma jeunesse, et qui est si élégante, si claire (…): la furlana?».

Il ne faut pas oublier que Pie X est né en Vénétie et qu’avant de devenir pape, il a été Patriarche de Venise, précise Jean Carrière dans ce récit. Et le journaliste de poursuivre que le pontife aurait ordonné à l’un de ses gens de s’adonner à une démonstration. Quelques jours plus tard, ces propos dignes d’un roman sont démentis avec véhémence par le Vatican: «Certains journaux [rapportent] qu’une démonstration de tango aurait été faite devant le pape, (…) ces propos offensent Sa Sainteté et sont totalement infondés», communique le Saint-Siège.

Fier du succès de cette belle histoire, Jean Carrière n’en démord pas et se défend: «Deux points seuls sont intéressants et méritent de passer à l’Histoire: oui ou non, le pape, après s’être moqué du tango, a-t-il fait l’éloge de la furlana, cette jolie danse vénitienne qu’il avait vue souvent dans le pays de son enfance, auquel il reste attaché de toutes ses fibres? Sur ces deux points, il n’y a aucune espèce de doute. On s’est occupé du tango au Vatican; on a vanté la furlana au Vatican. Voilà l’essentiel. Tout le reste n’est que bavardage et chronique!», conclut-il.

Quand Pie XI condamne la légèreté de la danse

Légende ou réalité, nul ne le saura jamais. Ce qui est certain, c’est que le saint pape a bel et bien levé les sanctions ecclésiastiques prévues pour les danseurs de tango, n’en déplaise au cardinal Amette. Ce dialogue qu’on lui attribua au sujet de la danse vénitienne suffit quant à lui à créer un véritable engouement autour de la furlane, ou furlana, à tel point qu’on la baptise au début de ce XXe siècle «la danse du pape», en opposition au tango, cette danse «du péché».

Dans son livre Danser en société, le sociologue Henri Joannis Debern rapporte même que bon nombre d’hôtels de la Côte d’Azur, pragmatiques, disposent de professeurs de danse qui enseignent à la fois le tango et la furlane, pour satisfaire les bons catholiques comme les autres.

L’emballement autour de cette mystérieuse danse louée au Vatican ne dure qu’un temps et la furlane disparaît pendant la Première Guerre Mondiale. Quelques années plus tard, en 1922, le pape Pie XI semble, d’un même mouvement, condamner toutes les danses, sans faire d’exception pour la danse vénitienne. «Les limites imposées par la pudeur sont dépassées, surtout dans les modes et les danses, par suite de la légèreté des femmes et des jeunes filles, dont les toilettes fastueuses excitent la haine des déshérités», déplore-t-il dans un discours adressé aux évêques qui fait état des nombreux maux provoqués par le conflit. Nul salut pour le tutu…

Jean Paul II, entre valse et mazurkas

Il faut attendre Jean Paul II, poète et homme de théâtre, pour qu’un pape ose briller sur la piste, bien avant son élection, cela s’entend. Jeune homme, «Lolek», comme le surnomme l’un de ses amis juifs, rejoint le cours de danse du lycée. Valse polonaise, valse viennoise, anglaise ou encore polonaise, mazurkas….il se plaît à faire tournoyer ses cavalières dans les salons sans pour autant accepter d’invitations privées. «Lolek, grâce à son sens de la musique, était peut-être le meilleur, le plus gracieux des élèves du cours, en particulier lorsqu’il avait Halina Krolikiewicz pour partenaire», raconte avec humour son camarade en faisant référence à une jeune femme que Karol Wojtyla admirait.

S’il ne fait pas explicitement référence à l’art de la danse dans ses discours, le pape polonais place l’alliance nuptiale, entre l’homme et la femme, danse ô combien subtile, au cœur de son pontificat. En témoignent ses riches enseignements sur la théologie du corps, dans lesquels il rétablit le sens originel de l’union entre l’homme et la femme voulue par Dieu. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la comédienne Sophie Galitzine, dans son spectacle Le Fruit de nos entrailles, choisit la danse comme mode d’expression pour mieux valoriser son riche enseignement sur le mariage.

›Le pape des artistes’ ne cessera de défendre un christianisme incarné, où la chair a toute sa place et rappelle l’extraordinaire vocation du couple. «L’homme et la femme, s’éloignant de la concupiscence, trouvent l’exact dimension de la liberté du don (…) dans la vraie signification sponsale du corps», écrit-il. Avec le pape polonais, disparaît le mépris du corps. La vie conjugale et toutes ses expressions, dont la danse peut faire partie, sont soudainement élevées au rang de «liturgie».

François et la passion du Tango

Sans conteste le plus danseur de tous les papes réunis, François n’a pour sa part jamais caché son amour inconditionnel pour le tango, un comble quand on connaît les critiques dont celui-ci a pu faire l’objet dans le passé… «Jorge était un merveilleux danseur de tango», confie son amie d’enfance Anna Colonna. «Le pape des périphéries a effet toujours écouté cette musique», précise son biographe Austen Ivereigh.

Jésuite, le futur pape fait notamment la connaissance de l’une des plus grandes interprètes de tango qui soit, Azucena Maizani, et lui administre l’extrême-onction en 1970. Pas étonnant donc que pour célébrer ses 78 ans, une foule de passionnés de tango se presse place Saint-Pierre pour lui offrir, sous ses fenêtres, une démonstration de sa danse préférée. Lancée sur Facebook par Cristina Carmorani, professeur de danse de Conventello, cette initiative a permis de rassembler 3’200 danseurs.

Au-delà de sa passion pour la danse argentine, le pape François rétablit une fois pour toutes le sens biblique de la danse et voit en ce sport une manière de louer Dieu. «Danser c’est exprimer la joie, l’allégresse», confie-t-il simplement à une petite fille albanaise dans une lettre recensée dans un ouvrage publié en 2016. Dans l’une de ses catéchèses, en 2014, il n’hésite d’ailleurs pas à opposer «la danse de la joie» effectuée par le roi David à la prière froide. Plus de doute, l’art du ballet est désormais consacré par le Saint-Siège. (cath.ch/imedia/cg/rz)

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